PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Commentaire – Mathieu Bock-Côté sait bien que le grand sujet actuel n’est pas de « sauver le droit d’asile » mais de sauver la France de la submersion migratoire qui sonnera le glas de son identité défunte ; il sait aussi, croyons-nous, que la négation de toute distinction entre qui est chez soi en France et qui ne l’est pas, ou pas encore, ou ne le sera jamais, il sait fort bien que le sansfrontiérisme universaliste, la négation de l’héritage collectif, la volonté de déconstruction de l’identité forgée au cours des siècles,constituant un héritage singulier par quoi notre communauté historique se distingue de toutes les autres, chacun à vrai sait ou devrait savoir que l’on a affaire là au corpus idéologie de la Révolution dressé contre toutes les forces, toutes les réalités subsistantes de la Tradition. Mathieu Bock-Côté tente de prendre et combattre cette idéologie anti ou a-nationale à revers. Il lui propose de « sauver le droit d’asile » en le ramenant à sa définition originelle. Soit. Mais sans une remise en cause globale des fondement de l’idéologie postmoderne, nous ne parierions pas grand chose sur les chances de cette proposition d’être seulement écoutée. Chronique » à laquelle nous ne voyons rien à objecter, parue dans Le Figaro de ce samedi 10 juin. G.P.
CHRONIQUE – L’agresseur ayant semé la terreur dans un parc d’Annecy est un demandeur d’asile, d’abord accueilli en Suède il y a une dizaine d’années. Il n’est ni clandestin, ni sous OQTF.
« Nos sociétés, enfermées dans un système philosophique paralysant, ne savent plus contenir ses vagues. Pire encore : elles sont de plus en plus invitées à lutter contre l’immigration « irrégulière » en la régularisant »
À Annecy, jeudi, un homme errant, désorienté, a semé la terreur dans un parc en cherchant à poignarder des bébés. On peine à caractériser son acte, qui ne semble pas s’accompagner d’un motif terroriste. On ne saurait non plus le réduire à un fait divers sanglant, d’autant que l’accumulation de ces derniers, qui prennent des formes nombreuses, a même poussé le président de la République à s’inquiéter d’un processus de décivilisation au cœur de la société française. On sait toutefois que l’agresseur était un demandeur d’asile, d’abord accueilli à ce titre en Suède il y a une dizaine d’années, et qui désirait l’être à nouveau, en France, cette fois. C’est donc un homme réclamant protection à l’Europe qui s’y est livré aux pires actes de barbarie.
Pour une partie significative du commentariat, l’information n’est pas pertinente. Il ne faut d’aucune manière se demander si cet homme était à sa place en Europe. L’agresseur n’étant ni un clandestin, ni sous OQTF, sa présence sur le territoire français n’aurait donc pas fait problème en soi. On a pourtant vu, dans les suites de l’affaire Lola, que le système médiatique peut soudainement décréter que ces critères non plus n’ont aucune signification, et que le simple fait de les rappeler suffirait à vous classer à «l’extrême droite».
Derrière cet arbitraire se trouve un grand malaise à l’idée de remettre en question le droit d’asile, ou du moins, ses modalités. Il représenterait une tradition d’accueil sacrée – tradition qu’il serait, pour une fois, interdit de déconstruire, et qui serait peut-être la seule ligne de fond de l’identité française, alors que toutes ses autres marques distinctes seraient arbitraires. La seule manière pour la France de demeurer fidèle à son identité serait d’accueillir sans réserve tous ceux qui cognent à sa porte – et même ceux qui ne prennent pas la peine de cogner. Inversement, ceux qui voudraient limiter les flux migratoires trahiraient l’identité française. On connaît cet argument par cœur.
Mais qui retracera l’évolution philosophique du droit d’asile au fil des dernières décennies constatera à quel point il a été dévoyé. Le droit d’asile a d’abord eu pour fonction d’accueillir les grands dissidents politiques, obligés de quitter leur pays car ils y étaient persécutés – en quelque sorte, il était là pour accueillir Soljenitsyne. Mais la révolution droit-de-l’hommiste, conjuguée aux premières grandes vagues migratoires l’a complètement transformé. Il est devenu une filière migratoire à part entière, avec la complicité d’une élite occidentale qui voit l’arrivée des migrantes comme un signe des temps conforme à la révélation diversitaire.
On trouve derrière cela un réflexe pénitentiel. L’Occident se serait développé en pillant le monde depuis cinq siècles – il ne devrait pas sa prospérité à sa propre dynamique civilisationnelle, mais à ses comportements prédateurs. Dès lors, dans un monde postcolonial, ce serait simple justice pour le Sud de remonter vers le Nord. Il s’agirait d’une forme de réparation historique. S’ajoute à cela l’idée voulant que les hasards de la naissance devraient être corrigés par un système de libre circulation planétaire, chacun devant pouvoir choisir le pays de son cœur tout en y vivant dans sa culture d’origine. La distinction entre le citoyen et celui qui ne l’est pas devra s’effacer: elle représenterait l’ultime système discriminatoire.
Partout, le Sud remonte vers le Nord, à travers des foules, qui réclament le droit de se rendre où elles le souhaitent, pour s’y installer ensuite à leurs propres conditions. Et nos sociétés, enfermées dans un système philosophique paralysant, ne savent plus contenir ses vagues. Pire encore: ils sont de plus en plus invités à lutter contre l’immigration «irrégulière» en la régularisant. À terme, l’immigration illégale ne devrait tout simplement plus exister. C’est d’ailleurs ce que soutiennent dès maintenant les juristes immigrationnistes: pour eux, un immigré illégal est une impossibilité théorique.
Mais les conditions mêmes d’une hospitalité véritable ne sont plus rassemblées dans une Europe démographiquement saturée aux systèmes sociaux débordés. Sans que cela ne soit dit ouvertement, on croit de moins en moins en l’intégration, tant la pression migratoire est forte. Ceux qui en ont les moyens cherchent plutôt à fuir, autant que possible, les régions démographiquement transformées. Mais ces régions n’existent plus vraiment, et même Annecy, qui se croyait à l’abri, ne l’était pas. L’homme qui y a semé la terreur aurait-il dû être en France, ou même en Europe? La France, à tout le moins, aurait dû être en droit de ne pas l’accueillir chez elle, si la Suède tenait à tout prix à lui ouvrir ses portes. La seule manière de sauver le droit d’asile, aujourd’hui, est de le ramener à sa définition originelle. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.