Par Elisabeth Lévy.
Commentaire de JSF – Cet article est paru dans Causeur hier 22 juin. La position adoptée par Élisabeth Lévy peut choquer. Les Soulèvements de la terre à l’évidence, ne relèvent-ils pas, cent fois, de l’interdiction, de la dissolution, et autres mesures destinées à mettre fin à leurs agissements ? Sans-doute. Pourtant, Elisabeth Lévy a raison de pointer la dissolution comme arme des faibles, coup de com, plus qu’autre chose, quand en pratique tout est permis, toléré, encouragé même, y compris par le Service Public ! et quand les « élites » gouvernementales, judiciaires, intellectuelles et communicantes au pouvoir dans le pays sont elles-mêmes parties prenantes des idées et des forces, des pratiques qui conduisent la déchéance politique et sociale où, par leur action et par leur faute, la France est entraînée. Causeur est aujourd’hui victime, lui aussi, de ce « désir d’interdire » qui est au fond de l’idéologie révolutionnaire. De l’exercice de ce désir, l’Action Française a d’ailleurs le privilège de l’antériorité, du 13 février 1936 où toutes ses organisations furent dissoutes, jusqu’à cette Fête de Jeanne d’Arc 2023, qui a eût été interdite si les velléités de Darmanin n’avaient avorté. La Révolution est en réalité portée bien davantage par ceux qui se sont aujourd’hui emparés de l’État que par ceux qui le combattent. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenter de maintenir dans le Pays ce minimum d’ordre sans lequel la vie deviendrait impossible. Et nous n’en sommes pas loin, d’ailleurs. Cela veut dire que nous devons savoir que ce minimum d’ordre fragile et, caution des destructions toujours en cours, n’est pas l’ordre vrai. N’est pas « l’ordre légitime et profond » dont, pour l’instant, nous ne pouvons que rêver.
Écoterrorisme ? « Aucune cause ne justifie les agissements particulièrement nombreux et violents auxquels appelle et provoque ce groupement » a avancé le gouvernement, qui a décidé hier la dissolution des Soulèvements de la terre. Le collectif était dans son viseur depuis les violences de Sainte-Soline, fin mars. Toutefois, la dissolution est en réalité l’arme des faibles, observe Elisabeth Lévy. Analyse.
Gérald Darmanin a donc finalement annoncé la dissolution du mouvement des Soulèvements de la terre. Pour autant, est-ce la fin de l’impuissance de l’État face à la violence ? On peut craindre que non, et peut-être même que c’est le contraire.
Bien sûr, nous n’avons aucune sympathie pour ces « mutins de Panurge » (cf. le bon mot de Philippe Muray) qui endossent toute la panoplie de l’extrême gauchisme tendance woke. Sur leur site, par exemple, ils sont très fiers d’écrire : «Nous avons lutté contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique». Ils ont oublié le « colonialisme » !
Ce sont des spécialistes de la manifestation interdite où des ultras-antifas viennent casser du flic. Ils se foutent du droit de propriété. Ils pratiquent l’arrachage de plants et les dégradations. Ces écolos détestent les agriculteurs et se moquent de la beauté de la nature.
Une fausse solution
Cependant, la dissolution est une fausse solution.
D’abord, il faudrait savoir : tous les membres du gouvernement sont-ils vraiment sur la même ligne ? Quand Gérald Darmanin les traitait d’écoterroristes il y a quelques semaines, Elisabeth Borne rappelait immédiatement que tout de même, leur cause était juste et que ce n’était peut-être pas tout à fait la même chose que des islamistes… Ensuite, il y a un problème d’efficacité et Gérald Darmanin est expert en annonces non suivies d’effets. Par exemple, citons la dissolution avortée du Gale (Groupe Antifasciste Lyon et Environs) à cause du Conseil d’État. Les Soulèvements de la terre, par ailleurs, est un mouvement avec une existence administrative et juridique très faible ; c’est un conglomérat de militants venus d’horizons et de causes diverses. Et, dernier problème de cohérence pour le gouvernement, il a nommé un « multiculti » à la tête de la section du contentieux du Conseil d’État (M. Thierry Tuot). Cela accroit évidemment le risque de censure dans ce genre de dossier.
Et même si la procédure aboutit, on peut craindre une reconstitution du mouvement. Ainsi, le CCIF est devenu le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) et il est toujours aussi nocif.
Mais c’est une question de principes, dira-t-on
Justement, cette affaire est très problématique sur le plan des principes aussi. La règle : c’est la liberté d’expression et de contestation, y compris pour les zozos et les révolutionnaires. Et l’exception, c’est l’interdiction. Les gens des Soulèvements de la terre racontent n’importe quoi, mais ils n’appellent pas explicitement à la violence dans leurs statuts – même s’ils la tolèrent et même s’ils la suscitent. On ne doit interdire qu’en dernier recours. Dissoudre ne sert à rien quand par ailleurs on se couche devant la violence. Rappelons le crime originel de Notre Dame des Landes. Pour se faire entendre en France, il faut désormais casser.
En réalité, les Soulèvements de la terre ce n’est pas une association qui commet des délits mais bien des individus. Aussi, le véritable sursaut de l’Etat serait que toute sortie de route, tout caillou jeté sur un policier soit sévèrement sanctionné. D’après Le Monde, il y a eu un coup de filet mardi matin dans la mouvance écolo-radicale – et notamment à Notre-Dame-des-Landes. Réalisée par l’anti-terrorisme, l’opération a mené 14 personnes soupçonnées de « dégradation en bande organisée », et d’ « association de malfaiteurs » en garde à vue. Une sanction pénale exemplaire aurait bien plus de poids qu’une dissolution décidée en Conseil des ministres !
Faut-il le répéter : on n’interdit pas les idées, on les combat. On ne dissout pas des délinquants, on les sanctionne. La dissolution, c’est l’arme des faibles. ■
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
fondatrice, webmestre et directrice de la rédaction de Causeur.