Par Gérald Pandelon et Vincent Tournier.
Cet entretien paru dans Atlantico, est daté du 27 juin. Et l’événement qui en est sinon le prétexte du moins l’origine a produit les suites que l’on sait qui ont pris en trois jours une ampleur extraordinairement grave. Et les échauffourées sont devenues des émeutes insurrectionnelle coordonnées. C’est à la lumière de la situation créée en ce matin du 30 juin, qu’on lira ces analyses lucides et intéressantes qui vont bien au-delà, en 2e partie, de l’étude des refus d’obtempérer. Ne les considérons pas, d’ailleurs, ces derniers, comme un simple détail. Ils sont en eux-mêmes révélateurs d’un refus d’ordre général qui relie au fond du drame actuel. Car, s’il remet en cause l’existence du régime, ce qui ne fera pleurer personne, mais l’existence de la nation elle-même en tant que telle, alors, c’en est un de toute évidence.
Atlantico : Après la mort d’un jeune homme de 17 ans suite à un refus d’obtempérer, beaucoup d’émotions, et de récupérations. Quelle est la réalité, en France, des refus d’obtempérer ? (combien y en a-t-il ? Est-ce en augmentation, dans combien de cas cela tourne-t-il mal pour la police ou pour les délinquants ?)
Gérald Pandelon : En France, les refus d’obtempérer sont en hausse depuis 7 ans. Depuis le début de l’année 2023, ce sont 9 personnes qui ont été tuées par des tirs de policiers après des refus d’obtempérer, selon un décompte jeudi effectué par franceinfo. En 2021, selon les chiffres de l’IGPN et de l’IGGN, quatre personnes avaient été tuées dans ces circonstances, une seule en 2020 en zone police. En réalité, les forces de l’ordre n’utilisent leurs armes que dans 0,5 % des cas et surtout lorsqu’eux-mêmes, le plus souvent, font l’objet d’une menace. Ces chiffres s’inscrivent dans une hausse continue depuis sept ans du nombre de refus d’obtempérer, puisqu’un rapport du Sénat avait déjà montré une hausse de 28% de ce délit entre 2015 et 2020. Cette hausse s’est poursuivie l’an dernier, passant de 25 871 refus d’obtempérer en 2020 à 26 320 refus d’obtempérer en 2021. Ce délit est aujourd’hui le principal motif pour lequel les policiers utilisent leurs armes de service. L’une des explications avancée de ce phénomène se trouve dans la réglementation : depuis 2017, comme pour les gendarmes, les policiers peuvent tirer sur un véhicule quand un conducteur n’obtempère pas et quand il est susceptible de porter atteinte à leur vie ou à celle d’autrui. Il n’est malheureusement pas rare que des usagers de la route cherchant à éviter un contrôle routier fassent le choix de ne pas s’arrêter après qu’un agent des forces de l’ordre lui ait intimé l’ordre de garer son véhicule sur l’accotement. S’ils cherchent souvent à éviter d’être sanctionné pour une première infraction, les usagers doivent savoir que ce comportement, nommé “refus d’obtempérer”, constitue une délit routier et qu’une sanction prononcée à suite à ce type de délit peut être très importante. Un délit en augmentation ces dernières années, et des policiers qui se sentent de plus en plus exposés. En effet, si les fonctionnaires de police ont tendance à utiliser de plus en plus fréquemment leurs armes c’est surtout parce que les violences qu’ils subissent sont également de plus en plus graves, jusques et y compris pour leurs propres vies. Il ne faudrait plus relever un quelconque refus d’obtempérer mais des violences avec arme subies par les forces de l’ordre, s’agissant d’individus qui, munis de leurs véhicules, tentent de percuter volontairement des fonctionnaires de police. Pourtant, cette infraction est constituée dès lors qu’un usager refuse de s’arrêter après qu’il en ait reçu l’ordre de la part d’agents de police ou de gendarmerie clairement reconnaissables, grâce à leurs insignes et à leur uniforme notamment. Il faut également que la sommation de s’arrêter émise par l’agent soit claire, et que l’absence d’arrêt soit intentionnelle, afin de montrer que le conducteur tenait absolument à échapper au contrôle de police. La définition ainsi que les sanctions passibles en cas de refus d’obtempérer sont définies dans l’article L233-1 du Code de la route. Cet article spécifie que “le fait pour tout conducteur d’omettre d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.” Les usagers de la route se rendant responsables d’un refus d’obtempérer pourront donc faire l’objet :
- d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre jusqu’à un an ;
- une amende pouvant grimper jusqu’à 7 500 € ;
- une perte de 6 points sur leur permis de conduire.
Des peines complémentaires pourront également être prononcées contre ces usagers, comme :
- une suspension pour une durée maximum de trois ans du permis de conduire (avec possibilité d’aménagement pour que l’usager puisse continuer à conduire dans le cadre de sa profession) ;
- une peine de travail d’intérêt général ;
- des peines de jours-amende ;
- une annulation du permis de conduire, assortie d’une interdiction de repasser l’examen pendant trois ans ;
- la confiscation du ou des véhicules du conducteur incriminé ;
- l’obligation de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière.
Des peines nettement plus lourdes pourront être retenues contre les conducteurs dont le comportement aura mis en danger la vie des autres usagers de la route. Ainsi, la peine de prison pourra être ramenée à 5 ans, assortie d’une amende pouvant atteindre jusqu’à 75 000 € et d’une suspension totale du permis de conduire (sans aménagements liés à l’activité professionnelle de l’usager condamné).
Comment expliquer que l’autorité, à commencer par celle de l’Etat, soit de moins en moins respectée ?
Gérald Pandelon : La France n’est plus en mesure aujourd’hui d’assurer la sécurité de ses citoyens. Nos gouvernants successifs, par laxisme et par crainte d’être taxés de raciste, ont fait le choix depuis 40 ans de ne pas dire la vérité concernant le phénomène de la délinquance car il existe un lien évident avec l’immigration, entre l’accroissement incontrôlé en France de l’immigration et la hausse des crimes et délits. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter la radio ou d’éclairer son poste de télévision au quotidien. Ce n’est pas être raciste de l’affirmer, c’est tout simplement vrai, à moins que ce ne soit la vérité qui soit aujourd’hui raciste. Or, ne pas le reconnaître constitue une faute très grave, une irresponsabilité même grandissante car ce sont les honnêtes citoyens qui, les premiers, sont confrontés à cette criminalité, il s’agit tout simplement d’une trahison car la sécurité de nos concitoyens n’est plus assurée. Comme indiqué dans une précédente tribune, nous sommes en effet bien loin d’une crise de l’Etat, d’une crise de l’autorité comme on le répète depuis plus de 30 ans dans tous les débats, mais bel et bien de son explosion. La situation par exemple des cités est celle d’une guerre qui se prépare. Ce sont également les mêmes qui nous expliquent que tout va bien qui ont laissé quasiment à l’abandon des pans entiers de leurs communes, dans un état de délabrement absolu, dans une précarité que ne connaissent que les villes du Tiers-Monde…Sur un plan quantitatif, la délinquance des cités induit en outre une recomposition qui se traduit par l’explosion des homicides entre gangs (un assassinat dans les quartiers Nord de Marseille coûte 500 euros, parfois moins) ou entre caïds locaux, de plus en plus jeunes et de plus en plus violents. Prolifèrent ainsi les vols à mains armées dont les enjeux financiers sont parfois assez minces, sans compter les jets de grenades et tirs d’armes de guerres visant les rivaux. Sur un plan axiologique, les valeurs qui structuraient le milieu insulaire des années 70, notamment le respect de la parole donnée, se sont délitées. Les bandits d’honneur ne sont pas légion parmi les voyous, je peux en témoigner en plusieurs années d’expérience pour avoir défendu davantage de bandits en tant qu’avocat que des personnes dotées d’un grand sens de l’honneur… Ce qui compte c’est le court terme, le gain rapide obtenu de manière violente et non une vision reposant sur une stratégie rationnelle. La confiance a cédé le pas à la défiance. Ces bandes qui se substituent au banditisme organisé ne sont pas structurées car elles ne sont animées d’aucun sens du groupe ou d’une vision d’ensemble de leur action. Le passage à l’acte est instinctif, peu maîtrisé, plus dangereux car plus risqué pour les personnes innocentes. Le banditisme s’est, d’une certaine manière, dé-professionnalisé. Dans les cités dites sensibles, pour ne pas dire des coupe-gorge, la violence ne réside plus véritablement et simplement dans l’usage de la force mais a désormais son siège dans l’absence ou l’oubli de ce qui devrait être intériorisé par le délinquant comme étant la règle, une règle qui aurait été impulsée par le politique. En effet, ce qui caractérise cette violence c’est précisément la négation de l’humain en l’homme en tant que cette négation est sa visée propre. C’est ainsi que la transformation actuelle du banditisme suit la crise de l’Etat-nation dépassée par les flux internationaux. La criminalité organisée profite de la déliquescence de l’Etat, de sa perte de légitimité et d’autorité. Cette délinquance féodale est dans l’air d’un temps néo-libéral qui ne reconnaît plus aucune légitimité ni à l’Etat ni à une quelconque institution. Quant à la loi de l’Etat elle est persona non grata. Il y aurait beaucoup à dire sur l’effet nocif de la décentralisation et la fin du modèle autoritaire jacobin.
Des émeutes et des échauffourées ont eu lieu dans plusieurs villes de France entre la police et les habitants. A quel point est-ce que ce sont, aussi, les lâchetés de l’Etat qui viennent causer cette situation ?
Gérald Pandelon : Il y a une crise globale du politique et une crise de l’Etat et de sa légitimité, ce n’est pas un secret. Je me souviens que ce thème constituait déjà la tarte à la crème à la fin des années 80 et au début des années 90 au cours de mes études de sciences po, il y a plus d’une trentaine d’années déjà. Mais c’est la défiance institutionnelle qui est l’alliée objective de la délinquance. Une défiance qui fait que les banques ne prêtent que difficilement de l’argent. Du coup le milieu criminel trouve une sorte de raison d’être en devenant une banque occulte ou parallèle dans un monde où les banques ne prêtent qu’avec parcimonie. Avez-vous entendu parler des critères prudentiels d’encadrement du crédit ? Ces mêmes critères créés par la commission européenne qui imposent des critères de prêts particulièrement drastiques. Tous ces facteurs nourrissent une économie informelle. D’une certaine manière, nous avons les criminels que nous méritons. Un monde sans crime ni pègre n’existe pas et ne peut pas exister à partir du moment où personne n’a intérêt à le juguler, au-delà des mots. Mais un monde où la pègre occupe une telle importance n’est pas concevable non plus. Or l’Etat en France n’est plus le plus fort et une société où l’Etat ne fait plus la loi face à des groupes mafieux dont la puissance occulte est en réalité devenue une super puissance, n’en est plus une. Aujourd’hui, nos édiles font mine de penser que les voyous vivent et s’exterminent entre eux pour des affaires marginales alors que les sommes d’argent colossales du trafic de drogue s’investissent partout dans la ville jusqu’à corrompre les hommes politiques.
(…) Des émeutes et échauffourées ont eu lieu dans plusieurs villes de France entre la police et les habitants. Avant cela, de très nombreuses réactions politiques se sont fait entendre, comme celle de Jean Luc Mélenchon qui a tweeté “Cette police incontrôlée par le pouvoir discrédite l’autorité de l’Etat. Elle doit être entièrement refondée. Condoléances affligées à la famille.” Qu’est-ce que cela nous dit de la situation du pays et de son état de division ?
Vincent Tournier : Les circonstances exactes de cette affaire, de même que les responsabilités, doivent naturellement être établies, mais on peut d’ores et déjà relever qu’on est face ici à un scénario archi-classique, vu et revu un nombre incalculable de fois depuis le début des années 1980 : d’abord la police tente d’arrêter un jeune, généralement issu de l’immigration ; l’interpellation se passe mal et se termine soit par un accident, soit par l’usage d’une arme ; finalement s’ensuivent des émeutes urbaines, avec parfois une extension à d’autres communes, ce qui est d’ailleurs la grande crainte des pouvoirs publics.
Les réactions politiques qui s’ensuivent empruntent alors deux narratifs : soit celui, plutôt de gauche, qui consiste à prendre la défense des jeunes et à dénoncer la violence des institutions publiques ; soit celui, plutôt de droite, qui prend le parti des policiers et dénonce un ensauvagement de la société.
Ces deux narratifs sont devenus instinctifs et irréconciliables. Il n’y a aucun espoir de les voir se convaincre mutuellement. Même si les enquêtes ultérieures permettent d’établir assez précisément les faits et leur enchaînement, les désaccords sur l’interprétation vont demeurer. Cette incompréhension mutuelle est problématique parce qu’elle signifie qu’il n’est plus possible de faire émerger un consensus politique. La fracture idéologique est trop profonde. La question importante est de savoir quel narratif va suivre le pouvoir en place. Les premières réactions du président et de sa majorité semblent s’orienter vers celui de gauche, mais il est possible qu’il soit conduit à alterner les deux : d’abord le narratif de la gauche pour éviter un embrasement dans les banlieues, puis celui de la droite pour éviter une révolte des policiers.
Qui est cette France des refus d’obtempérer ainsi que celle qui remet en cause la légitimité de la police, celle de l’Etat, etc. ? Comment est-elle née ?
Vincent Tournier : Le refus d’obtempérer est un élément essentiel du problème : d’abord parce que c’est le point de départ dans cette affaire, comme dans toutes celles qui lui ressemblent, ensuite parce que c’est le seul élément que personne ne remet en cause : tout le monde admet que le jeune en question n’a pas obéi aux policiers. La question est donc de savoir pourquoi un jeune refuse d’obtempérer quand il reçoit l’ordre formel de s’arrêter, avec en face de lui un policier qui le menace directement avec une arme. Dans ce genre de cas, aucun individu rationnel ne prend le risque d’être tué, sauf si on est un criminel qui encourt des peines lourdes, mais ce n’est manifestement pas le cas ici. Toute personne de bonne foi, même parmi les gens qui n’aiment pas la police, admettra qu’il s’agit là d’une réaction totalement absurde, surtout en sachant que le jeune est un mineur, donc qu’il aurait pu s’en sortir avec des sanctions légères.
Bref, pour expliquer ce type de réaction, on a deux options : soit on considère qu’il s’agit d’un acte de pure folie, soit il faut considérer que l’on a affaire à une autre rationalité que celle des gens ordinaires, fondée sur un autre système de valeurs. Comme ce genre de réactions n’est pas isolée, l’hypothèse de la folie semble peu pertinente. Il faut donc chercher les raisons d’une réaction aussi stupide, et ces raisons ne peuvent être que les suivantes : premièrement le refus d’accorder la moindre légitimité aux policiers, deuxièmement un sentiment de toute-puissance, et troisièmement un sens aigu de l’honneur, ce qui pourrait être le cas ici puisque le conducteur était visiblement accompagné de deux autres jeunes, ce qui autorise à penser qu’il a pu vouloir briller devant eux ou simplement éviter de perdre la face.
Tout l’enjeu est alors de comprendre pourquoi et comment ce type de valeurs parvient à se développer car il est clair que l’on a affaire ici à des valeurs qui sont difficilement compatibles avec les valeurs de la société moderne. S’ajoute à cela le problème des émeutiers : pourquoi des gens qui ne connaissent pas le détail de cette affaire se prennent spontanément de solidarité pour ce jeune au point d’aller caillasser la police et détruire des équipements urbains ? Quel citoyen ordinaire pourrait avoir ce type de réaction ?
Une certaine gauche qui déteste la police et caresse le rêve d’une nouvelle révolution peut être tentée de voir dans ces actions l’expression d’une forme de résistance face aux institutions, mais ce serait une erreur car on voit mal quel projet de société peut émerger d’un tel système de valeurs. Ces valeurs peuvent-elles vraiment participer à la construction d’une société plus écologique, plus solidaire, plus égalitaire et moins patriarcale ?
Comment en sommes-nous arrivés à une situation aussi explosive ?
Gérald Pandelon : Par lâcheté et crainte d’être taxés de raciste à chaque fois qu’on établissait un lien entre immigration et délinquance. Ce qui est étonnant c’est le discours toujours volontairement édulcoré de nos gouvernants lorsqu’il s’agit par exemple d’évoquer les cités sensibles au cœur de la République. En même temps, on les comprend. En effet, reconnaître la réalité à la hauteur de ce qu’elle est véritablement conduirait inéluctablement, du même coup, à ce que fut implicitement reconnu par les mêmes acteurs politiques leur immense incompétence à résoudre les vrais problèmes qui se posent à notre pays, en termes d’intégration, d’insécurité, d’échec total du modèle républicain, de crise de l’Etat, d’immigration incontrôlée, cause essentielle desdits maux, même si l’auteur de ces quelques lignes n’opère pas de confusion entre la majorité des français d’origine extra-européenne qui se sont parfaitement intégrés et ces sauvageons qui ne sont mus que par la haine. De plus, il est étonnant de constater que s’agissant des manques de moyens et effectifs alloués aux forces de l’ordre que cet élément soit largement connu depuis des lustres, pourtant rien ne change et rien ne risque de changer, je crois même que les choses vont empirer. Car ce sont nos mentalités, trop dociles face à des personnes qui ont fait de la violence leur unique mode d’expression qu’il conviendrait, en urgence désormais, de modifier en profondeur, ce que nous appelons notre « logiciel », c’est dire une disposition de l’esprit propre à notre pays qui nous pousse constamment à ne pas vouloir accepter de dire ce qui est, à ne pas vouloir admettre ce qui est, autrement dit à fuir nos responsabilités, par conformisme, égoïsme ou tout simplement par lâcheté. Pourtant, cette disposition de l’esprit, manifestement privé d’Esprit, ne concerne pas uniquement cet épineux problème, mais innerve également d’autres sujets ô combien essentiels, au premier rang desquels la question de la pression fiscale confiscatoire dans notre pays ou le déficit démocratique croissant sous l’effet de la supranationalité européenne, notamment. Au fond, il subsiste encore une ironie doublée d’une illusion, celle de nous faire croire, comme un réflexe mental, que nous vivrions encore dans une République une et indivisible. En réalité, nous ne voyons qu’une République plurielle et divisée, fondée sur le clan, l’ethnie, non sur un quelconque destin collectif. En un mot comme en cent, nous nous orientons aujourd’hui vers une guerre civile.
Comment en sommes-nous arrivés à de telles fractures dans la société française ? Nanterre est-il un cas particulier ?
Vincent Tournier : Une multitude de facteurs ont certainement joué, qui se sont accumulés au cours des dernières décennies. Mais il faut insister sur le rôle des facteurs locaux car la situation de Nanterre n’est pas sans intérêt. Plusieurs événements se sont en effet produits dans cette commune, donnant à voir un contexte particulier où une sorte de contre-culture semble prospérer.
Rappelons pour commencer qu’à l’automne dernier, des échauffourées ont eu lieu au lycée Joliot-Curie. La cause de ces violences était manifestement la volonté d’imposer le port des signes religieux, alors que la nouvelle direction voulaient mettre un terme à la tolérance qui prévalait jusque-là. Par ailleurs, la ville de Nanterre, dirigée par un maire communiste, s’est vu refuser par la préfecture la décision de céder un bâtiment dans le but d’agrandir la mosquée Ibn Badis. La préfecture a estimé que le prix de vente était trop faible, et la justice a approuvé cet argument.
Il faut en outre s’arrêter sur l’université de Nanterre. Sans mettre en cause naturellement l’ensemble des enseignants et des étudiants de cette université, on doit constater que l’extrême-gauche y est bien implantée et que plusieurs enseignants-chercheurs mènent un jeu trouble sur la question de l’islamophobie ou de la lutte contre l’islamisme. Un reportage de Charlie Hebdo a révélé que certains étudiants ne manifestaient guère d’empathie pour Samuel Paty, le professeur décapité en octobre 2019. Curieusement, le Parti des indigènes de la République a organisé une conférence contre « l’impérialisme gay » et des militants décoloniaux ont dénoncé ce qu’ils appellent la « gauche blanche ».
La religion est manifestement très présente dans l’université puisque celle-ci a accepté d’accorder pendant trois ans des créneaux spécifiques de sa piscine à des femmes musulmanes, qui venaient se baigner intégralement voilées. Quand on se souvient que l’université de Nanterre a été le point de départ de Mai-68 avec le Mouvement du 22-Mars, et que la piscine de l’université a même donné lieu, lors de son inauguration en janvier 1968, à un échange mémorable entre Daniel Cohn-Bendit et le ministre des sports François Missoffe au sujet de la libération sexuelle, on se dit que la roue a vraiment beaucoup tourné. On est d’autant plus étonné que l’université abrite un centre de recherche qui se targue de travailler sur l’égalité entre les sexes.
Tous ces éléments ne sont pas directement reliés au drame qui s’est déroulé hier matin, mais ils donnent des indications sur l’écosystème qui a pu se développer localement, et qui peut éventuellement aider à comprendre les attitudes des protagonistes. ■