«Je transmets et n’invente pas.
Je m’attache aux traditions et aux rites
avec confiance et affection. »
Confucius
Confucius, comme Mahomet, a ses « dits ». J’étais en train de relire ceux du maître chinois lorsque survint, le 20 août 2016, le fracassant discours du roi Mohamed VI, à la fois déclaration de guerre du chérif (1) marocain au djihadisme et exaltation des « traditions multiséculaires » de cet « Islam du juste milieu » cher à la lignée alaouite régnant en « Occident musulman » — c’est le sens du mot Maghreb — depuis plus de 350 ans. Quand, 500 ans avant Jésus-Christ, Confucius vante « la dynastie [chinoise] des Zhous qui a respecté les lois des dynasties précédentes », on dirait qu’il préfigure la pratique des sept successives lignées mahométanes qui ont géré le Maroc depuis l’an 789 et jusqu’à ce jour.
Si les descendants reconnus de Confucius, au nombre de plusieurs milliers au XXIe siècle, n’ont pas comme ceux de Mahomet, joué la carte de la gouvernance politico-spirituelle, la pensée, d’une « éternelle fraîcheur » (la même expression est courante en Islam pour définir le Coran), du conseiller des princes que fut Confucius, a survécu à tous les régimes chinois, y compris le communisme. La révérence confucianiste pour « les rites qui déterminent le juste milieu » et prônant également un pouvoir héréditaire, correspond aux usages de cette monarchie marocaine, ni absolue ni vraiment démocratique, basée sur des traditions patriarcales socio-religieuses s’adaptant lentement aux évolutions humaines : le règne de Youssef Ier (1912-1927), sous l’égide de Lyautey, en fut un exemple.
Les confréries soufies, populaires ou [et] philosophiques, bannies d’Arabie, jouent au contraire un rôle majeur au sein de la société marocaine, rôle encouragé, y compris financièrement, par le Palais et approuvé par les islamistes monarchistes, à la tête du gouvernement depuis 2011, par le jeu d’élections libres. Dans son allocution du 20 août, Mohamed VI, s’appuyant sur sa qualité chérifienne, a clairement condamné les crimes djihadistes, notamment ceux commis en France, avant de souligner l’importance de l’Afrique noire islamisée pour « la profondeur stratégique » du Maroc. Une Afrique où les confréries soufies, souvent de souche nord-africaine, en particulier au Sénégal, jouissent d’une forte influence, à travers laquelle Rabat entend combattre le djihadisme, ce qui n’a pas échappé aux observateurs : « Mohamed VI chantre de l’Islam modéré » (Le Monde); « Mohamed VI, chef spirituel en Afrique » (le 360, quotidien casablancais en ligne): « Le calife africain » (le Tel Quel marocain), etc.
Soutenu sur cet aspect des choses par la majorité de ses sujets, et malgré l’existence d’islamistes marocains républicains, y compris au sein de Daech, Mohamed VI devra déployer une ténacité peu commune pour mener son combat. Aux yeux de Confucius, comme à ceux de Mahomet, tout dépend certes de « la volonté du Ciel » ; au Maroc, cette « volonté » n’aurait guère d’effet si elle n’était soutenue, et c’est le cas, par des dizaines de confréries soufies maillant le Royaume chérifien, au nom de la tradition. ■
1. Sont « chérifs » en Islam les musulmans réputés descendre de Mahomet.
Lire Les dits de Confucius, Agora-Pocket, 120 p., 2011. Le discours du 20 août 2016 de Mohamed VI est sur Internet.
Précédemment paru dans la NRH (Nouvelle Revue d’Histoire) en 2017.
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
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