Madame Borne connait bien les recadrages.
Par Dominique Labarrière.
Commentaire – Cet article est paru dans Causeur le 9 août. Il nous donne quelques exemples des dysfonctionnements de plus en plus courants d’un État auquel la Ve République était censée rendre unité, ordre, stabilité et efficacité subséquente. On sait qu’assez tôt et même, déjà, dans la seconde partie du septennat – interrompu – de De Gaulle il n’en fut très vite (presque) rien, jusqu’à, aujourd’hui, rien du tout. Le Chef de l’État lui-même, et peut-être surtout, inconstant sur bien des sujets, dont certains stratégiques comme le nucléaire, et prisonnier de son « en même temps » principiel stérilisant, ne constitue que fort peu cet élément pérenne, stable, continu, dont toute nation a besoin pour perdurer. Ainsi, le cher et vieux pays est livré au déclin progressif et apparemment inexorable. Comment sortir de cette mécanique qui nous conduit à disparaître, c’est une question d’une autre importance que de spéculer sur l’identité du prochain président de la République !
C’est au nom du “pluralisme”, principe fondamental de la démocratie, que Sabrina Agresti-Roubache a accepté d’être interviewée dans le premier numéro du JDD dirigé désormais par Geoffroy Lejeune. Le gouvernement n’a pas apprécié, Clément Beaune proclamant sur RMC qu’on ne peut pas parler avec “n’importe qui”. Et le cabinet d’Elisabeth Borne a pris rendez-vous avec la secrétaire d’Etat pour la rentrée. Tribune.
En accordant une interview au renaissant Journal du Dimanche, Madame Sabrina Agresti-Roubache, toute fraîche Secrétaire d’Etat à la Ville, est entrée, d’un seul coup, en voie de diabolisation. Voie rapide, voie express même. Pensez, un membre du gouvernement accepter l’invitation à s’exprimer dans un journal dont la direction est désormais assurée par Geoffroy Lejeune, ex-directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, journaliste d’expérience et compétent dont tout ce que ses détracteurs se plaisent à en dire est qu’il serait « marqué à l’extrême-droite ». Marqué par qui, au nom de quoi, selon quels critères, du fait de quels grands crimes ? On ne se donnera pas la peine de préciser, d’argumenter, de justifier. L’anathème se suffit à lui-même. La formulation dispense de la moindre analyse.
C’est ici la marque majeure, confortable et terrible de toute inquisition. Le procès est jugé d’avance. Procès en réputation, en l’occurrence. L’a priori vaut jurisprudence. Ainsi, un peu à la manière d’un chanoine d’autrefois qui se serait fait surprendre revenant de chez les dames de petite vertu, Madame Sabrina Agresti-Roubache – courageuse frondeuse du politiquement correct – a eu droit, nous dit-on, à un recadrage maison de Madame Borne, première ministre et grande experte dans le domaine du recadrage justement, attendu qu’elle a eu le bonheur d’en essuyer une bonne demi-douzaine tombés d’en haut dans le temps record d’une petite année passée à Matignon.
« Le pluralisme, c’est d’accepter la confrontation » a déclaré l’interviewée du JDD. Personnellement, je verrais dans ces propos non seulement la marque du bon sens, mais aussi l’expression d’un certain panache, l’indice d’une gourmandise joyeuse pour le défi. Le panache, voilà bien ce qui manque à Matignon et dans ses annexes ministérielles. Si ces hautes personnalités en avaient la moindre notion, elles se seraient empressées de féliciter la téméraire, de l’encenser d’avoir eu le courage de porter la bonne et sainte parole gouvernementale jusque dans le camp du diable ! Oui, ce beau petit monde aurait dû avoir à cœur de saluer l’incartade canaille, le pas de côté gaiement assumé.
Mais ceux-là ignorent le fin plaisir de ces subtilités. Ils sont les puritains d’un formalisme intellectuel étroit, rigide, stérile. Technocratiquement irréprochable, mais ennuyeux à mourir. Ils sont gris et ternes, lénifiants. Et c’est bien pour ça qu’ils sont d’un tel ennui, pour ça que nous les subissons avec une si profonde lassitude. Sont-ils seulement « vivants » ? se surprend-on à penser parfois. ■