Par Louis HOANG NGO sur Front Populaire.
Commentaire – Cet article a été publié aujourd’hui 13 août dans Front Populaire. L’auteur est manifestement familier de l’histoire révolutionnaire internationale. Il en rappelle pertinemment les évolutions au fil du temps et analyse opportunément son dernier avatar, Jean-Luc Mélenchon et ceux de sa tribu. Rappels intéressants et analyse actualisée des « aspirations totalitaires » de cette mouvance qui est peut-être une survivance, un archaïsme, mais bien vivant, actif et vociférant en la personne du tribun vieillissant, toujours énergique qu’est ce chef révolutionnaire. Encore une fois, pour éviter de s’en étonner, faisons remonter son activisme à son origine contemporaine, dont le nom français, pour le monde entier est le même, la Terreur, mère et maitresse, mater et magistra (c’est une église, une religion), de toutes les révolutions des deux derniers siècles. Il est clair que le désir de Terreur, toutes nuances confondues, ne s’est pas évanoui et qu’il bouge encore un peu partout.
CONTRIBUTION / OPINION. Pour notre lecteur, il existe une continuité à la fois intellectuelle et de méthode entre les révolutionnaires russes du siècle dernier et l’extrême gauche actuelle, qui partagerait ses aspirations totalitaires.
« Mélenchon, féru d’histoire, s’est arrogé en France les privilèges de cette ancienne extrême gauche, dont on se désole qu’elle n’ait, elle, toujours pas fini un siècle après dans les poubelles de l’histoire. »
Le privilège est séculier : depuis l’internationale communiste, en 1919 (pour être plus précis, depuis le 3ème plénum élargi de l’Internationale, en 1923), une certaine gauche s’est arrogé le droit de pointer du doigt les fascistes, et de désigner qui parmi les partis politiques pouvaient faire parti du front uni contre l’extrême droite. Quiconque est accusé de faire partie de l’extrême droite devient de fait un ennemi à abattre, et gare aux alliés du front uni, auxquels cette gauche s’arroge le droit de décider à tout instant s’ils font partie du camp du bien ou de la honnie extrême droite. Cette certaine gauche, bruyante, intolérante, radicale, volontiers violente, est celle de la tradition léniniste.
Le père de la Révolution russe d’octobre fut le premier à théoriser la suprématie d’un seul parti, le communiste, pour mener la révolution prolétarienne ; suprématie qui passe donc par la mise au ban violente des autres forces à gauche, rivales (Trotski dira d’elles qu’elles sont vouées à garnir les poubelles de l’histoire), et par l’insurrection permanente (toujours violente) contre l’état bourgeois. Cette certaine gauche, donc, s’arroge le droit d’être la seule force à gauche de l’échiquier, contre le pouvoir bourgeois, et contre la menace de l’extrême droite ; le droit à être insurrectionnelle, violente au besoin, hors la loi, parce que l’état auquel elle s’oppose est une entrave insupportable à la grande révolution qu’elle entend mener. Il ne faut pas avoir peurs des mots : cette gauche est l’extrême gauche. Elle est extrême, puisqu’elle rejette les fondements de l’état nation (Lénine appelle à renverser par les armes l’État, dans L’état et la révolution, et Marx au dépassement des nations, dans le Manifeste du parti communiste, comme de la démocratie, par l’élimination systématique et violente des partis qui s’opposent à sa révolution prolétarienne. Il faut désigner cette gauche par le qualificatif d’extrême, pour rappeler qu’elle n’a évidemment pas le monopole de la gauche, et qu’on saurait tout à fait être de gauche sans souscrire aux folies de l’extrême gauche.
Jean-Luc Mélenchon, féru d’histoire, s’est arrogé en France les privilèges de cette ancienne extrême gauche, dont on se désole qu’elle n’ait, elle, toujours pas fini un siècle après dans les poubelles de l’histoire. On connait les accointances de l’homme et de ses sbires pour cette extrême gauche ; lui fut ancien militant trotskyste dans sa jeunesse, et puis sympathisant de toutes les dictatures communistes d’Amérique latine (il a notamment clamé dans un grandiloquent poème son amour du castrisme à la mort de Fidel) ; l’un de ses compagnons de route de longue date (avant largage et rupture à la bolchévique en 2023), Alexis Corbière, s’affichait avec ostentation, toute honte bue, avec un buste de Lénine, chez lui ; d’ailleurs, en août dernier, Mélenchon et les sympathisants de la France Insoumise s’étaient symboliquement donné rendez-vous Boulevard Lénine, aux Minguettes, pour aller célébrer les quartiers populaires nouvellement remportés par la NUPES aux précedentes législatives. Mélenchon, cent ans plus tard, fait usage des mêmes tactiques de guérilla bolchévique. Il nettoie à sa gauche, rejette toute union où ses idées et son parti n’auraient pas l’intégrale primeur ; il se désigne, toujours, comme l’ultime rempart contre le danger de l’extrême droite, plus que jamais proche du pouvoir ; surtout, il refuse d’appeler au calme, et voit dans l’accès de violence des six jours d’émeute l’expression juste de la colère insurrectionnelle des nouveaux prolétaires contre un État illégitime. C’est ainsi qu’il faut entendre ses hurlements contre la police, bras armé et violent d’un état bourgeois oppresseur.
Sa stratégie fonctionne. En 2023, Mélenchon a effectivement réussi son ménage à gauche, où ne demeure plus que son parti, le reste est devenu moribond, et dans sa tombe, Lénine doit finalement sourire face à l’extermination quasiment achevée du parti socialiste français, qui avait rejeté il y a plus de cent ans l’appel à rejoindre l’internationale communiste. L’histoire est facétieuse : la mise à mort du PS se fait par un ancien cacique du parti qui y a milité plus de vingt ans de sa vie. Il y a quelques jours, au soir des émeutes, Mélenchon et les siens étaient les seuls à dénoncer la police, assassine, criminelle, et dont la mort tragique du jeune Nahel traduisait s’il fallait le rappeler le caractère structurellement oppresseur et raciste. Il était toujours le seul à hurler à l’extrême droite pour tous ceux, horrifiés par les accès de violence qui ont suivi, qui réclamaient le retour de l’ordre dans des quartiers où chacun sait pourtant que la police n’ose plus aller. Mélenchon a réussi : il s’est démarqué, au point d’être le seul, à incarner le camp de ceux qui rejettent envers et contre tout le réel ; de ceux qui mènent le combat à la pointe contre l’extrême droite ; de ceux qui mènent, en parallèle, le combat contre l’État oppresseur, en fait suppôt plus présentable de l’extrême droite.
Dans cette stratégie du pire, Mélenchon a durant ces derniers jours tout donné, sans jamais faire preuve d’aucune pudeur de gazelle. Outre « qu’elle tue » (tweet du 6 février dernier), la police nationale est « incontrôlée et ferait peur au pouvoir » car se trouve « sous l’influence d’un syndicat d’extrême droite » (intervention du 27 juin dernier) ; l’affaire est de toute façon entendue, puisqu’on observe « une jonction entre les macronistes et l’extrême droite » (déclaration du 16 juillet) ; l’extrême droite, d’ailleurs, est désormais partout, même au CRIF, puisque son président, lui aussi, se voit taxer de faire le jeu de l’extrême droite (tweet du 17 juillet) ; et d’une façon générale, est d’extrême droite l’ensemble de ceux qui refusent le diagnostic mélenchonien, lui qui explique que les six jours d’émeute sont le fait d’une société où on trouve « des puissants et des riches qui se sont retranchés du reste de la société » (interview du 3 juillet sur LCI).
Féru d’histoire, Mélenchon ne doit pas ignorer que s’ils ont réussi, toujours, à faire le ménage politique à gauche, jamais dans toute son histoire l’extrême gauche ne sera parvenue au pouvoir par la voie démocratique. Peut être la raison avec laquelle, à chaque défaite électorale, Mélenchon s’évertue avec constance à appeler à la rue et à l’insurrection (dernière déclaration en date dans ce sens le 3 mai dernier). ■
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