Si nous lisons bien, Richard de Seze ne s’exprime ici au nom d’aucune école, ni même d’aucune publication en particulier. Il parle donc, si l’on peut dire, au nom de lui-même, ce qui n’est déjà pas mal, ce qui est aussi signe de cette liberté d’esprit et de ton qu’on commence à lui connaître et qui suscitent en tout cas intérêt et empathie. C’est aussi la possibilité grande ouverte de le discuter et les lecteurs de JSF n’ont pas l’habitude de s’en priver.
« Un auteur, un « critique » à découvrir. Il cultive l’art tout français de nous entretenir des « choses » graves avec légèreté et gravement de nos légèretés… » Marc VandeSande
Entretien.
Richard de Seze, contributeur des magazines Causeur, L’Incorrect, Monde & Vie, Politique Magazine et Valeurs actuelles.
1. Pourquoi publier dans une revue monarchiste telle que Politique Magazine ? Quelles valeurs et quelles idées souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs à travers vos articles ?
Politique Magazine est moins une revue monarchiste qu’une revue de critique des institutions françaises. Le point de départ, c’est qu’aucune perspective n’est interdite dans l’exploration des causes du “déclin” français, que je mets entre guillemets parce que ce magazine se focalise moins sur le déclin que sur le redressement. Dans ce magazine, je publie des articles culturels, touchant surtout à l’art. J’essaye bien modestement de transmettre l’idée que tout est intéressant, des photographies du CNRS aux tapisseries Louis XIV en passant par Vasarely ; que la curiosité d’esprit est en soi une attitude combative et que plus l’éventail est ouvert plus le discours critique sur la modernité et la postmodernité est audible. Et pour répondre enfin à votre question, j’y publie parce qu’ils ont le bon goût de m’apprécier ! Pour être honnête, il faut bien sûr saluer ces titres qui favorisent des écritures militantes plus qu’expertes (même si nous savons tous que l’amateur éclairé a ses mérites) et considèrent qu’une conviction bien étayée vaut une parole bien diplômée et qu’un texte enlevé sans l’estampille de la carte de presse a au moins autant de charme que les bouillies rendues par les décérébrés déformés dans les écoles de journalisme.
2. Comment expliquez-vous le paradoxe suivant : d’un côté la France est en conflit avec la Monarchie et d’un autre côté, Macron incarnerait un monarque républicain, jupitérien.
La France n’a jamais réglé, dans son inconscient, son rapport avec la monarchie ou plutôt l’exercice autoritaire du pouvoir. D’une part parce que ceux qui ont fait la révolution voulaient accaparer le pouvoir, le concentrer et ne jamais le lâcher, d’autre part parce que la position acquise par la France sous l’Ancien Régime a toujours fait rêver les puissants, qui n’ont jamais vraiment réfléchi aux mécanismes royaux de la puissance. La Révolution puis la république ont donc peu-à-peu accouché d’un régime prétendument démocratique mais en fait autoritariste, avec une propension organique à vénérer l’homme providentiel qui, régulièrement, vient “sauver” la France des périls intérieurs et extérieurs. Macron se situe dans l’exacte lignée de tous ces césars qui ont réprimé les Français et assuré la fortune des riches au nom de l’ordre. Qu’une partie de ses opposants appelle ça monarchie, et l’accuse de jouer au monarque, avec sa morgue, ses insultes, son administration servile et ses prétoriens brutaux, est compréhensible puisque la république s’est efforcée de donner une image désastreuse des rois de France. Tous ceux qui sont un peu frottés d’histoire sont capables de percevoir à quel point Jupiter n’a rien d’un arbitre et à quel point la négation continue et sans cesse étendue des contre-pouvoirs est contraire à l’exercice royal du pouvoir.
3. Comment la monarchie pourrait-elle répondre à la crise politique Française, quelles seraient ses arguments pour convaincre et se faire une place sur l’échiquier politique ?
C’est une bien vaste question et il me paraît impossible d’y répondre en quelques mots. Disons que la manière dont les Français sont las d’une vie politique qu’ils considèrent de plus en plus comme une farce (comme en témoignent toutes les enquêtes d’opinion) ouvre la voie à l’idée d’un pouvoir qui n’aurait pas à lutter pour son élection mais n’aurait qu’à gouverner. Une fois ceci posé, l’idée d’un arbitre et non pas d’un chef de parti, l’idée d’un pivot qui équilibre les forces sans chercher à imposer par des lois intrusives une égalité chimérique, bref l’idée d’une politique nationale qui sert les intérêts de tous, en expliquant comment, sur le long terme et non pas au lendemain d’une élection, chaque Français verra sa situation s’améliorer là où il se trouve, ces idées ont une chance de faire leur chemin. La pensée monarchiste aurait intérêt à développer publiquement quelques thèses, encore méconnues ou en gestation, sur la véritable écologie, la vraie représentation, la démocratie directe, la subsidiarité, en un mot, avec des exemples précis. La question du prétendant, dans cette perspective, n’a pas grand intérêt : il faut faire valoir le souci de l’intérêt général et le partage du pouvoir avant de parler d’institutions brillamment cuirassées de références historiques et de constitutions ingénieuses.
4. La France, fille ainée de l’église, voit son peuple divisé et fragmenté ; un retour à la foi et à ses racines chrétiennes permettrait-il de contrer cet individualisme et ce « chacun pour soi » ?
Encore faudrait-il que la foi catholique n’ait pas été elle-même, et depuis plus d’un siècle, toute baignée de cet humanisme libéral individualiste et, avec le pape François, entrainée du côté des structures supranationales présentées comme l’outil politique nécessaire et chrétien par excellence. On voit mal, par ailleurs, ce qui pourrait constituer un véritable socle pour une contre-révolution charitable dans les déclarations officielles des évêques de France, très attachés à l’épanouissement personnel de leurs ouailles à travers la critique vigoureuse du nationalisme, l’exaltation de la construction européenne, le relativisme moral le plus conciliant et la prudence intellectuelle la plus scrupuleuse sur tous les sujets anthropologiques. On ne peut nier que l’Église continue d’être une institution charitable, même si celle-ci s’exerce parfois de manière déréglée, ni que les catholiques “observants”, pour reprendre les catégories de Yann Raison du Cleuziou, soient désireux de bâtir une société chrétienne. Mais faire de la foi catholique française contemporaine une condition de l’émergence d’une société plus juste me paraît chimérique. Il suffit d’ailleurs de voir comment votent les catholiques…
5. Dans un article publié dans Causeur, intitulé « Le smartphone, instrument de la Passion », vous parlez d’un « anachronisme revendiqué » de l’Église. Pensez-vous que celle-ci doit se moderniser et se conformer au monde contemporain pour attirer de nouveaux fidèles ?
Vous aurez compris que je pense l’exact inverse : c’est le monde qui doit se conformer à l’Église, ou plutôt aux préceptes qu’elle défend ; et le monde ne s’y conformera jamais sans un effort incessant et toujours remis en cause. Dans cet article, c’est l’artiste qui revendique son anachronisme (ou en tout cas qui pratique un art anachronique) et ce sont les fidèles qui ont financé l’achat de l’œuvre. L’Église de France n’a rien revendiqué du tout et je cite même des passages du site de la Conférence des évêques de France qui tendent à prouver que l’anachronisme lui fait plus peur que le péché originel. Quant à la fécondité numérique de la conformation ecclésiale française au monde contemporain, les statistiques sont aussi cruelles que le spectacle des églises vides, des paroisses sans curés et des couvents fermés, sans parler de l’image de l’Église catholique ou de son statut social. ■
Étudiants : LM et NB
étudiants en Bac+4 à l’ISSEP
C’est exactement ce que je pense
On ne peut qu’apprécier cet excellent journaliste à l’humour « caustique », qui pourfend la politique démagogique de la Ruinepublique, autant que celle des hommes d’Eglise d’aujourd’hui, qui sapent les fondements de notre civilisation. Et sa critique porte inévitablement le lecteur à réfléchir sur les conditions du redressement qui conduit à une existence conforme aux Lois naturelles tant politique que chrétienne.