Par Aristide Ankou.
J’ai fait l’effort – car oui, c’est bien un effort – de lire le dernier opuscule de Michel Houellebecq, « Quelques mois dans ma vie », afin d’en faire une sorte de compte-rendu pour une revue anglo-saxonne.
Comme vous ne lirez certainement pas la version anglaise, voici donc la version française. Il y a évidemment un côté un peu didactique, étant donné que je m’adresse à des gens dont on peut supposer que l’immense majorité ne connait que très vaguement, ou pas du tout, Michel Houellebecq.
Mais je suis sûr que les lecteurs d’élite que vous êtes voudront bien pardonner le fait de se voir expliquer des choses qu’ils savent déjà, mais que d’autres ignorent encore.
QUELQUES MOIS DANS SA VIE
Il est courant d’entendre affirmer que, en matière de littérature, il faut séparer l’homme de l’auteur. Cette affirmation, il est vrai, est souvent énoncée au sujet d’auteurs qui ont bien besoin que l’on ne prête pas trop attention à la manière dont ils se conduisent dans leur vie quotidienne, elle a donc souvent quelque chose de très intéressé qui la rend suspecte. Par ailleurs, séparer l’homme de l’auteur peut facilement être pris comme une excuse pour séparer la littérature de la moralité et pour ne pas examiner les effets complexes qu’une œuvre peut produire sur ceux qui la lisent. En ce sens, elle traduit souvent une forme de paresse intellectuelle.
Néanmoins, il est difficile de nier qu’elle contient un noyau de vérité : les talents littéraires d’une personne ne paraissent pas avoir de rapports directs avec ses qualités humaines. Plus précisément, la valeur d’une œuvre, sa profondeur comme ses qualités formelles, ne peut absolument pas être jugée à l’aune de la vie de celui qui l’a écrite. Pas même quand cette œuvre a des résonnances biographiques évidentes. Le fait, par exemple, que Louis-Ferdinand Céline ait, selon toute vraisemblance, été un personnage infecte pendant la majeure partie de sa vie ne l’empêche pas d’avoir écrit l’un des livres les plus importants du 20ème siècle avec Voyage au bout de la nuit. Il serait stupide de s’interdire la lecture de ce chef-d’œuvre au motif que son auteur s’est roulé dans la fange de bien des manières. De même, ceux qui refusent de lire l’Emile au prétexte que Rousseau a abandonné ses enfants se privent d’un œuvre qui a très peu d’équivalents dans toute l’histoire de la littérature et de la philosophie occidentale et qui peut prétendre rivaliser avec La République de Platon.
Convenablement entendue, « séparer l’homme de l’auteur » est donc une maxime plutôt sage. On fera bien de la garder à l’esprit en lisant le dernier écrit publié par Michel Houellebecq : Quelques mois dans ma vie.
Michel Houellebecq ne peut sans doute pas être mis sur le même plan que les écrivains précités. Il n’est pas – pour le moment du moins – le Proust, le Céline ou le Faulkner du 21ème siècle. Néanmoins il est sans conteste l’un des romanciers français les plus importants de ces quarante ou cinquante dernières années. Son œuvre est traduite aujourd’hui en plus de quarante langues et il est probablement l’auteur francophone vivant le plus connu au monde. A 67 ans, Houellebecq est l’un des auteurs français qui vend le plus livres et l’un des rares qui puisse vivre confortablement de sa plume. Son dernier roman, Anéantir (2022), a été tiré à 300 000 exemplaires rien que pour sa première édition.
Ce succès n’est pas immérité car ses écrits (ses romans, ses essais et sa poésie, que Houellebecq lui-même considère comme la partie la plus importante de son œuvre) sont incontestablement puissants. Houellebecq se décrit lui-même comme le peintre de « l’avachissement » de l’homme occidental en ce début de 21ème siècle et il est en effet à son meilleur lorsqu’il dissèque la misère affective et sexuelle de ses contemporains.
A travers ses huit romans publiés jusqu’à maintenant, ainsi qu’à travers un certain nombre d’articles (rassemblés en grande partie dans deux volumes intitulés Intervention), Houellebecq a exploré bon nombre de thèmes et proposé des analyses intéressantes sur beaucoup de sujets (le tourisme sexuel, la mort de la paysannerie française, le transhumanisme, l’euthanasie, l’islamisation de la France, etc.), mais, d’une certaine manière, l’essentiel de son œuvre, ce qui fait sa force et son intérêt principal, se trouvait déjà dans son premier roman Extension du domaine de la lutte (1994).
Le narrateur d’Extension, un jeune informaticien d’une trentaine d’années qui sombre peu à peu dans la dépression, écrit au début du roman :
« Mon propos n’est pas de vous enchanter par de subtiles notations psychologiques. (…) Pour atteindre le but, autrement philosophique, que je me propose, il me faudra au contraire élaguer. Simplifier. Détruire un par un une foule de détails. J’y serai d’ailleurs aidé par le simple jeu du mouvement historique. Sous nos yeux le monde s’uniformise ; les moyens de télécommunication progressent ; l’intérieur des appartements s’enrichit de nouveaux équipements. Les relations humaines deviennent progressivement impossibles, ce qui réduit d’autant la quantité d’anecdotes dont se compose une vie. Et peu à peu la visage de la mort apparait dans toute sa splendeur. »
Puis, un peu plus loin :
« Cet effacement progressif des relations humaines n’est pas sans poser certains problèmes au roman. (…) La forme romanesque n’est pas conçue pour peindre l’indifférence, ni le néant ; il faudrait inventer une articulation plus plate, plus concise et plus morne. »
Cette impossibilité de former des liens humains authentiques, la solitude radicale de l’homme moderne, n’est certes pas un thème nouveau. Il forme par exemple le fond du Voyage au bout de la nuit, et on peut déjà le discerner dans L’Education sentimentale, de Flaubert (1869). Mais Houellebecq a su le renouveler, notamment en inventant ce style qui lui semble nécessaire pour peindre convenable le néant qu’il voit au cœur de nos vies : un style plat, concis, morne, qui transpire un désespoir poisseux et qui cependant n’est pas dépourvu d’un humour assez caustique.
Un second thème qui traverse toute son œuvre, et qui est évidemment lié au premier, est les ravages produits par la libération sexuelle des années 1960.
Les réflexions désabusées du narrateur d’Extension le conduisent ainsi à cette conclusion, souvent citée :
« En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. »
Il n’est pas besoin d’adhérer à la première partie de la proposition, concernant le libéralisme économique, pour constater, comme le fait Houellebecq à travers son personnage, que la libération des mœurs n’a nullement conduit au bonheur promis, mais plutôt à une immense confusion et à beaucoup de solitude involontaire.
Cette observation sur les méfaits du libéralisme sexuel, en termes « d’inégalités de richesse », doit être rapprochée d’une autre, exposée vers la fin du roman : « Véronique avait connu trop de discothèques et d’amants ; un tel mode de vie appauvrit l’être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L’amour comme innocence et comme capacité d’illusion, comme aptitude à résumer l’ensemble de l’autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux. »
Dans ses écrits ultérieurs, Houellebecq a approfondi ces affirmations, les a nuancées, enrichies, mais il ne les a jamais reniées. Ce qui fait d’ailleurs de lui une des bêtes noires des féministes contemporaines, ou peut-être faudrait-il dire que les féministes contemporaines font parties de ses bêtes noires, auxquelles il manque rarement de lancer quelques piques acérées et en général très drôles. Le féminisme contemporain a parmi ses dogmes l’idée que les femmes ne pourront être pleinement émancipées que le jour où elles seront capables d’avoir une sexualité « virilement indépendante », comme le dit Simone de Beauvoir, c’est-à-dire d’être aussi cavaleuses que les hommes (tels du moins que les féministes imaginent les hommes). Houellebecq juge à l’évidence cette idée profondément stupide et ne s’est pas privé de le dire, de multiples manières.
(A ce propos, on lira avec profit la postface qu’a écrit Houellebecq pour la traduction française de SCUM manifesto, postface qui commence ainsi : « Pour ma part j’ai toujours considéré les féministes comme d’aimables connes, inoffensives dans leur principe, malheureusement rendues dangereuses par leur désarmante absence de lucidité . »)
Ces permanences des écrits houellebecquiens rendent d’autant plus étrange la lecture de Quelques mois dans ma vie. Dans ce court texte, Houellebecq décrit comment, selon lui, sa vie est devenue « un enfer » à partir de l’automne 2022. En cause : une interview donnée à une revue nommée Front populaire et un film pornographique dont il est la vedette.
Dans l’interview à Front populaire, Houellebecq laissait libre cours à sa profonde méfiance envers l’islam, pour ne pas dire plus. Une méfiance qu’il avait déjà eu l’occasion d’exprimer à plusieurs reprises depuis le début des années 2000 (dans son troisième roman, Plateforme, paru en 2001, le père du narrateur est tué par un musulman, parce qu’il avait couché avec sa sœur, et Valérie, son grand amour, est tuée lors d’un attentat islamiste en Thaïlande). Ces propos peu amènes pour les musulmans ont valu au romancier des menaces de procès de la part du recteur de la Grande Mosquée de Paris ainsi que de violentes attaques de la part d’une partie des médias français. Dans Quelques mois dans ma vie, Michel Houellebecq s’emploie donc à faire machine arrière, en reconnaissant sa « bêtise » et en reformulant ses propos de manière à les rendre beaucoup plus inoffensifs.
Cette partie de Quelques mois dans ma vie ne mérite guère de retenir notre attention. Il est patent que Houellebecq a simplement peur et qu’il cherche à éviter les ennuis. Les ennuis avec la loi française qui, hélas, criminalise en effet le genre de propos qu’il a tenu en les qualifiant « d’incitation à la haine raciale ». Mais aussi, et peut-être surtout, les ennuis avec les musulmans, certains d’entre eux n’ayant que trop prouvé, depuis plus d’une vingtaine d’années, qu’ils étaient prêts à recourir à l’assassinat dès lors qu’ils estiment qu’on a « manqué de respect » à leur religion. On peut pardonner beaucoup de choses à un homme qui a peur d’un danger avéré et, au surplus, Houellebecq n’a jamais prétendu être quelqu’un de courageux. Sa triste palinodie n’offre donc rien de vraiment intéressant. Elle n’occupe d’ailleurs que peu de place dans Quelques mois dans ma vie. L’essentiel de ce court récit est consacré à ses démêlés avec un obscur réalisateur néerlandais nommé Stefan Ruitenbeek.
Nous apprenons ainsi que Michel Houellebecq s’est laissé convaincre par ledit Ruitenbeek de tourner un film pornographique, mais qu’il avait omis de lire avec suffisamment d’attention le contrat qui les liait. Il croyait avoir accepté de figurer dans le film, avec son épouse, « sous réserve que leur anonymat soit préservé ». Ce qui bien sûr n’a pas été le cas. Et il n’avait pas non plus pris garde au fait que le contrat donnait au réalisateur une totale liberté d’exploiter les images ainsi obtenues. Bref, Michel Houellebecq s’est aperçu, mais un peu tard, qu’il était en passe de devenir une star internationale du porno en plus d’être un écrivain mondialement célèbre. Ou plus exactement, qu’il allait devenir une star internationale du porno parce qu’il est un écrivain mondialement célèbre.
Même un enfant de douze ans pas spécialement intelligent aurait compris, en effet, que, si Stefan Ruitenbeek voulait tourner un film pornographique avec Michel Houellebecq, c’était afin d’exploiter la célébrité littéraire de ce dernier et qu’il était donc pour le moins improbable qu’il préserve son anonymat. Un enfant de douze ans, mais pas Michel Houellebecq.
Et qu’est-ce donc qui a pu convaincre le grand écrivain presque septuagénaire de se mettre dans une situation si embarrassante ? Tout simplement la perspective d’avoir de la chair fraiche à se mettre sous la dent. Nous apprenons ainsi que Michel Houellebecq apprécie particulièrement d’avoir deux femmes dans son lit et qu’il est, assez manifestement, toujours en quête de nouvelles partenaires pour ses trios intimes. Voilà « l’appât » qu’a utilisé Stefan Ruitenbeek pour le prendre dans ses filets. Par ailleurs, nous dit Houellebecq, il souhaitait depuis longtemps réaliser des vidéos pornographiques avec son épouse « dans un but privé ». Or, nous explique-t-il longuement, il est impossible de parvenir à un résultat satisfaisant sans l’aide d’une tierce personne, de préférence une tierce personne ayant l’expérience du cinéma… ce qui était le cas de Stefan Ruitenbeek. Et voilà toute l’histoire !
Les explications alambiquées de Houellebecq au sujet de la nécessité d’être filmé par autrui pour faire des vidéos « dans un but privé » sont encore moins convaincantes que ses explications au sujet de ce qu’il a « vraiment » voulu dire à propos de l’islam dans son entretien pour Front Populaire, si cela est possible. En fait, pour qui apprécie l’œuvre de Houellebecq, la lecture de Quelques mois dans ma vie est assez pénible. Tout ce qui fait l’intérêt de ses romans ou de ses articles est notoirement absent : on n’y trouve ni finesse, ni humour, ni observation intéressante, ni auto-dérision, rien d’autre que le récit ennuyeux et légèrement répugnant des déboires d’un sexagénaire libidineux qui se présente comme une victime mais qui, en réalité, est largement puni par où il a péché.
En lisant ses laborieuses justifications, il est difficile de ne pas donner raison à Houellebecq lorsque, à plusieurs reprises dans le livre, il s’accuse d’être « stupide ». Et même doublement stupide : stupide en premier lieu d’avoir tourné un film pornographique qui ne pouvait en aucun cas rester « privé » et stupide en second lieu de ne pas comprendre que Quelques mois dans ma vie, loin de dissiper le malaise, allait au contraire le renforcer.
Pourtant, toute l’œuvre de Houellebecq prouve, au-delà de tout doute possible, qu’il est très loin d’être stupide. Comment donc comprendre qu’il puisse ici tomber si en-dessous du niveau habituel de son intelligence ?
Le problème, apparemment, est que l’auteur d’ »Extension du domaine de la lutte » et des « Particules élémentaires », ne fait aucune application à se propre vie des observations perspicaces dont il emplit ses romans. Houellebecq pratique ainsi abondamment le vagabondage sexuel dont il décrit les méfaits chez ses personnages : la fidélité conjugale, explique-t-il, est une attitude « extrême » et dont il se garde bien. Il estime que la pudeur est « un sentiment louche dont la disparition serait plutôt souhaitable ». L’exhibitionnisme est, selon lui, un acte de générosité, qui a même quelque chose « d’admirable » ; être prostituée est un métier « honorable et noble » ; la pornographie est « un divertissement innocent », car la sexualité « normale » n’a rien à voir avec le mal. En fait, sexualité et morale sont « deux figures géométriques » qu’il est impossible de faire coïncider et la sexualité a été « la plus grande joie » de sa vie, etc.
Bref, Michel Houellebecq parait adhérer totalement, dès lors qu’il s’agit de lui-même, aux sornettes hippies sur l’amour libre, la sexualité innocente, le plaisir sexuel sommet de l’existence et autres choses du même genre. Les mêmes sornettes dont il se moque si cruellement dans Les particules élémentaires, par exemple.
La sexualité est donc fondamentalement innocente. Pourtant, Houellebecq affirme que, en réalisant que des images de ses coïts allaient être diffusées sans son consentement, il a ressenti quelque chose qui lui parait semblable à ce que décrivent les femmes victimes viol : « D’abord une douloureuse sensation de dépossession de son propre corps, une sourde hostilité à son égard, un désir de le punir. (…) j’étais traversé par des vagues de rage impuissantes, mais parfois aussi je me recroquevillais transpercé par la honte. »
Cependant, n’est-il pas étrange que de simples images volées puissent déclencher une telle réaction ? Michel Houellebecq aurait-il ressenti la même honte et la même rage s’il avait été filmé à son insu au restaurant ou dans sa cuisine, en train de manger tranquillement ? Plus largement, le viol est-il simplement équivalent au fait que l’on vous impose quelque chose, contre votre volonté ? Si l’on vous force à manger quelque chose, est-ce identique au fait d’être violé, par exemple ?
Ou bien ces sentiments extrêmes de colère et de dégoût de soi-même seraient-ils une indication que la sexualité n’est pas une activité comme une autre ? Que peut-être la sexualité est, chez l’être humain, intrinsèquement liée au sens de la honte et que, par conséquent, la pudeur, loin d’être un sentiment « louche » et inutile, est, pour nous, naturelle et appropriée ? D’où il découlerait que l’exhibitionnisme serait une perversion de la sexualité humaine, la prostitution une activité ignoble, la pornographie un divertissement tout sauf innocent, et ainsi de suite.
Ces considérations semblent élémentaires, et on conçoit difficilement qu’elles ne soient jamais venues à l’esprit de Michel Houellebecq. Mais, pour paraphraser Le Fédéraliste, il est très difficile de faire comprendre quelque chose à un homme lorsque ses plaisirs dépendent du fait qu’il ne le comprenne pas.
La lecture de Quelques mois dans ma vie m’a ainsi rappelé un débat public auquel j’avais assisté il y a quelques années et dont Houellebecq était l’un des protagonistes. Le thème de la soirée était « L’Europe ». A un moment donné, Houellebecq a posé cette question : « Est-ce que « c’était mieux avant ? ». Il n’avait pas de réponse certaine à apporter, mais a-t-il ajouté : « Ce dont je suis sûr c’est que c’était plus intéressant avant. La vie était plus intéressante. Les gens étaient plus intéressants. »
Houellebecq sait sans doute que, si « les gens étaient plus intéressants avant », c’est parce que « avant » les gens étaient moins, ou se concevaient moins comme, de purs individus. « Avant », les êtres humains étaient encore, au moins un peu, des citoyens, des chrétiens, des pères et des mères de famille. « Avant » « les gens » étaient moins avachis moralement : ils prenaient encore un peu au sérieux leurs devoirs civiques, leurs devoirs familiaux et conjugaux, ils craignaient encore un peu l’enfer et aspiraient au salut de leur âme.
Seulement Houellebecq, tout comme ses personnages, ne parvient pas à croire à Dieu, ni à la patrie, ni à la vertu, ni à la famille, à toutes ces choses qui rendaient les gens plus intéressants « avant ».
« C’est absurde de dire que sans l’Europe nous aurions la guerre », ajoutait-il lors de ce même débat. « Plus personne aujourd’hui ne veut faire la guerre. Plus personne. Moi-même je sais bien que, si on m’avait dit, quand j’étais jeune : « Tu vas aller faire la guerre pour ton pays », je me serais enfui ! »
En réalité, si la France était entrée en guerre et qu’il avait été appelé sous les drapeaux, le plus probable est que le jeune Michel aurait répondu à l’appel de la patrie, bon gré mal gré, comme les autres jeunes gens de sa génération, qui pas plus que n’avaient envie de partir à la guerre. Et peut-être même serait-il mort avec les honneurs. Comme beaucoup d’autres jeunes gens qui, comme lui, ne se pensaient ni spécialement courageux ni spécialement patriotes, avant que vienne l’heure décisive.
Mais Houellebecq dit publiquement qu’il se serait enfui. Parce que la vertu l’encombre et qu’il ne veut surtout pas avoir l’obligation d’essayer d’être courageux. Et parce qu’il ne parvient pas à prendre l’appartenance nationale tout à fait au sérieux, tout en regrettant sincèrement l’effacement des nations, qui rend la vie tellement moins intéressante.
Il y a bien sûr un lien direct entre ce « je me serais enfui » et son « les gens étaient plus intéressants avant ». Houellebecq déplore que la vie et les gens deviennent moins intéressants et il peint remarquablement cette perte de substance progressive des relations humaines, cette neige de cendres qui étouffe peu à peu l’Occident. Mais, par la peinture, légèrement outrée, qu’il en donne dans ses livres, ainsi que par ses déclarations publiques, il contribue à accentuer le phénomène.
On pourrait dire : en se rendant la vie plus facile individuellement (car, certainement, il est plus facile d’être avachi que de se tenir droit), il contribue à rendre la vie moins intéressante collectivement, et donc la sienne aussi en particulier.
Quelques mois dans ma vie n’est certes pas un écrit qui fait honneur à Houellebecq et il se pourrait bien que, dans son for intérieur, il commence déjà à regretter de l’avoir publié, exactement de la même manière qu’il dit regretter aujourd’hui amèrement d’avoir tourné un film pornographique. Cet écrit médiocre a cependant un mérite : nous savions qu’il était sage de séparer l’homme de l’auteur, dans une certaine mesure, nous apprenons maintenant que, étrangement, il est parfois des choses importantes que l’auteur sait mais que l’homme ignore. ■
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (17 septembre 2023).
La nature d’un Houellebecque et de ses semblables est un blanc seing accordé au féminisme bêlant pour qu’il dégénère autant que la houellebecquerie même.
Je recommande la seconde «Étude de main» – Théophile Gautier, «Émaux et Camées» –, dont voici deux ou trois strophes (que les écrivaillons en prennent de la graine au passage et cessent de confondre page blanche et paillasson) :
«Pour contraste, la main coupée
De Lacenaire l’assassin,
Dans des baumes puissants trempée,
Posait auprès sur un coussin.
Curiosité dépravée !
J’ai touché malgré mes dégoûts,
Du supplice encore mal lavée
Cette chair froide au duvet roux.
[…]
Tous les vices avec leurs griffes
Ont, dans les plis de cette peau,
Tracé d’affreux hiéroglyphes,
Lus couramment par le bourreau.
On y voit les œuvres mauvaises
Écrites en fauves sillons,
Et les brûlures des fournaises
Où bouillent les corruptions.
Les débauches dans les Caprées
Des tripots et des lupanars
De vin et de sans diaprées,
Comme l’ennui des vieux Césars.
[…]
Saint Calus du travail honnête,
On y cherche en vain votre sceau ;
Vrai meurtrier et faux poète,
Il fut le Manfred du ruisseau.»
La longue analyse d’Aristide Ankou est de première qualité et je partage tout à fait son analyse et ses conclusions.
J’ai été aussi peiné que lui en lisant « Quelques mois dans ma vie » qui ne réunit, c’est vrai, aucune des immenses qualités de notre plus grand écrivain contemporain (avec Patrick Modiano) ; là où l’acuité du regard, le ravage des formules, la capacité de faire éclater les absurdités ou monstruosités de notre triste aujourd’hui faisaient jubiler, il y a une triste confession un peu piteuse…
Mais bien sûr j’attends avec impatience le prochain roman fr Michel Houellebecq…
De ce que l’on peut lire de cet écrivain sur JSF , cela ne donne pas envie de le lire ; merci à JSF de nous tenir informé ce qui s’ écrit et de ce qui se visionne de nos jours, étant bien entendu que chacun trouve son miel où il lui sied.
Je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt de la mouvance « de droite » pour le vulgaire Houellebecq. Mis à part, peut-être, son utilisation de thèmes classés à droite, mais ça n’en fait pas un grand écrivain.
Intéressante analyse d’Aristide Ankou Renou sur Houellebecq l
Deux remarques : Houellebecq, que soit l’homme et l’œuvre, cela tourne un peu en rond. Même si je reconnais qu’il décoche avec talent dans ses romans des traits jubilatoires et vengeurs qui révèle notre époque et son vide,, mais derrière ces descriptions un peu rapide nous restons sur notre faim avec ce vide démasqué desséché , où nous pouvons ni nous retrouver ni nous accrocher.
Je compare avec Barbey d’Aurevilly , fabuleux écrivain, qui emporté par sa fouge nous livre des scènes dantesques issues de notre histoire et nous transfigure par son récit , je pense « à l’ensorcelée « roman découvert cet été qui me transporte et nous me hisse au dessus de nous-mêmes , où chaque destin acquiert un poids de vie aux antipodes du dessèchement houellebecquien. Regardons aussi la mort de Bergotte chez . Proust . On glose beaucoup sur la recherche de la foi chez Houellebecq- comme au poker- je demande à voir
Ensuite simple remarque à destination d’Aristide Ankou : si la pornographie et l’exhibitionnisme sexuel sont effectivement condamnables, pitoyables paravents, la prostitution si choquante qu’elle paraisse, ne mérite pas , à mon sens -cette qualification , »activité ignoble » Ignore-t–il que les prostituées iront au ciel avant nous si on en croit l’évangile et que dire des figures attachantes de la dame aux camélais ou des pensionnaires de la maison close, dans « Autant en emporte le vent « etc. ;Rappelons que les prostituées eurent au moyen âge un temps leur autel dans une église comme les autres corps de métiers. Certes l’acte d’amour est dénaturé , mais pas les mots. Ces femmes connaissent le poids de la misère affective, et agissent souvent avec plus de tact que tant d’autres. ? Ne restons pas ici sur un pur jugement moral . Avons-nous le droit de le prononcer ? .
fougue bien sûr.
Ma foi ! Michel Houellebecq est le plus puissant, le plus subtil , le plus intelligent, le plus lucide des démolisseurs de l’idéologie 68 et de tout ce qui en est suivi.
Il capte avec une subtilité, une limpidité le catastrophique état du monde. Est-ce sa faute si l’omniprésence de la drogue, de l’islamisme, de la violence, de la pornographie, des couples déchirés, de m’amertume générale, des zones de périphérie est au sens premier dégoutante ?
Si on préfère retourner dans un monde où « la marquise sortit à cinq heures » et où les jeunes filles se gardent vierges jusqu’au mariage (et au delà !!!) il faut lire Paul Bourget, Édouard Estaunié ou Henri Bordeaux.
Mis les mêmes vertueux ont écrits leurs réserves piqués il y a 60 ans à propos de Françoise Sagan ou de Jacques Laurent, superbes écrivains…
Aaaah, Henri… : le grand Sagittaire ! Jules Barbey d’Aurevilly… Il est exactement l’opposé de la houellebecquerie radoteuse.
Bien sûr : «L’Ensorcelée», mais – en cette occurrence insane d’«Où est le bec ?» et («oncle déglingué du Connecticut) – je recommande comme très opportun «Ce qui ne meurt pas»… Roman – psychologique, certes, mais débridé – dans lequel, outre la Pitié qu’entend chanter Barbey, «Ce qui ne meurt pas» se révèle être la PUDEUR, haute vertu féminine à jamais impolluable, quelques avanies vinssent-elles pour tenter d’en affliger diaboliquement la pureté, ainsi que le Houellebecque s’y prend à tout bout de champ.
Pour ce qui concerne la vision que l’on pourrait envisager de la prostitution, cela demanderait un volume pour en démêler les authentiques contours…
Outre les données de la prostitution sacrée – qui outrepassent plus que vertigineusement tout ce qu’en pourrait concevoir le plus éminent des intellectuels d’aujourd’hui –, il y a l’exemple donné et vécu, de manière inouïe, par le génial «entrepreneur de démolitions», Léon Bloy (qui, du reste, se voulait disciple de Barbey et, à la fois, de l’authentique «féministe» spirituel que fut Villiers de L’Isle-Adam – lire le bouleversant roman «L’Ève future»), aperçu proprement frénétique de «prostituée» dans «La Femme pauvre», où l’on peut trouver cette formule définitive :
«Ruisselant de perles ou d’ordures, le vêtement de la femme n’est pas un voile ordinaire. C’est un symbole très mystique de l’impénétrable Sagesse où l’Amour futur s’est enseveli.»
Le Houellebecque et ses amateurs de tartufferies cadavériques seraient évidemment étouffés par cette espèce d’événement produit par la transcendance, pour peu qu’il puisse y avoir la demie d’une once d’intuition «artistique» entre ces lignes.
Certes David…….Plus tranquillement je dirais qu’Houellebecq n’a pas coupé son cordon ombilical avec son oeuvre et qu’il reste un peu un enfant paumé;; qui n’a pas grandi avec elle , à l’inverse de ce qu’ont fait par exemple, Balzac, Dostoïevski et même Proust malgré sa trop célèbre madeleine, etc… Ces derniers nous livrent un monde qui nous hantent pour longtemps où nous habitons, et même où nous prenons notre envol. Cela n’ôte rien à la qualité des fines observations de Houellebecq, mordantes et , parfois saisissantes, mais excusez-moi de ce mauvais jeu de mot, elles se mordent la queue ou plus prosaïquement, elles s’effacent .Maintenant le débat est ouvert….
Bon les amis, avant de baver sur le plus grand écrivain des trente dernières années, vous me donnez vos préférences ? Amélie Nothomb, Annie Ernaux ? Emmanuel Carrère ?
Ça ne vous plaît pas la porte,ogrpahie intelligente, aussi désespérante que toute pornographie ? Vous voulez relire « L’Astrée » ou (plus sympathique) « La Princesse de Clèves » ? Libre à vous… Mais on n’est pas trop à tu et à toi avec l’époque…
La médiocrité des uns ne rend pas les autres moins médiocres.
Il ne suffit pas de dire «le plus grand [ceci ou cela]» pour que ce puisse être établi comme vérité révélée, ni même démontrée. Je veux bien faire un concours de «connaissances littéraires», avec recherches d’opportunité de superlatifs, mais alors, mes concurrents devront faire valoir en quoi leur «exploit» comparatif culturel pourrait vaincre le mien – je leur suggère quelques efforts préalables au tournoi.
Je me rappelle un adepte (et, à l’époque, élève) de Pierre Boulez avec lequel je me colletais dans ma jeunesse. À bout d’arguments, il en vain à me lancer : «Mais tu n’aimes pour ainsi dire rien en musique !» Je lui avait rétorqué qu’il se trompait bel et bien puisque j’aimais TOUTE la musique, depuis ce qu’il nous reste de l’Antiquité gréco-romaine, jusqu’à Olivier Greif, Alfred Schnittke, Arvo Pärt, etc. – aujourd’hui, je pourrais ajouter les plus jeunes Urmas Sisask, Camille Pépin, Johanna Döderer et bien d’autres – en passant par les musiques «classiques» japonaise, chinoise, indienne, turque, arabe et TOUTES les musiques traditionnelles… Comme quoi, je n’en aime pas une quantité infinitésimale, équivalente à quasiment rien.
Pour la littérature, mon «exploit» gustativo-esthétique relève d’une véritable connaissance des choses dont je parle, connaissance bien plus grande encore que pour la musique, car je connais assez parfaitement le langage de celle-ci, quand j’ignore passablement celui de l’autre…
Bref, on peut bien me dire que Boulez est «le plus grand [ce que l’on voudra]», je n’y croirai pas plus après cet énoncé que je ne le croyais avant. Ses écrits théoriques fussent-ils aussi formidablement intelligents qu’ils le sont, les conclusions sont d’une stupidité aussi méchante que celle des Gardes rouges, qu’il appelait textuellement à la rescousse (dans les années 60 et 70) afin de mettre le feu à toute la musique qui l’avait précédé – je peux retrouver les sources imprimées et publiées de ce à quoi je me réfère pour toute personne qui me le demanderait.
Il est vrai que la «déconstruction» en musique requiert des capacités techniques incontestables, capacités qui paraissent inutiles aux littérateurs (il a suffi à Philippe Sollers et consort de supprimer toute ponctuation un beau jour pour que ce puisse être prétendu prouesse «technique», mais c’est trop manifestement faux, pour tenir longtemps). Sollers faisait dans l’trou du cul idéologisé ; maintenant, plus moderne encore, l’Houellebecque y va d’une pseudo idéologie qu’il trou-du-cule.
La «pornographie intelligente» ???? Allons bon ! Elle est bien bonne ! Pourquoi pas la démocratie royale, tant qu’on y est ?!!
La pornographie est l’expression ultime de la grossièreté intérieure, de la niaiserie et de l’épaisseur… Il suffit d’aller jeter des yeux sur les «grandes têtes molles» en la matière, à commencer par l’ignoble Georges Bataille – qui a été «le plus grand» intellectuel du genre et le meilleur styliste littéraire en la matière – pour s’aviser qu’il n’aimait rien plus que de reluquer une femme mangeant un fromage malodorant et ramolli – véridique ! cf. «Les Larmes d’Éros», que je me suis farci en entier ! voilà près de 50 années, afin de pouvoir en parler. Lire «L’Érotisme» du même Bataille, pour s’apercevoir qu’il «pompe» chez l’occultiste Éliphas Lévi l’essentiel de ses «références» culturelles afin de faire appel, tout du long, à Satan, tout cru. Lire encore sa «Somme athéologique», qui consiste en la stupidité de «nier», c’est-à-dire, dans son cas spécifique, d’INVERSER les recours théologiques permettant d’élever l’intelligence à la compréhension et, ainsi d’ABAISSER soi-même et le lecteur au vil niveau du caniveau cérébral, lequel caniveau conduisit Bataille a inventé une société secrète, qui se réunissait ici et là pour agiter la graisse et la libido de chacun des «initiés» en bande, notamment en forêt de Fontainebleau, où ils se entraient en adoration de leur nombril… On comprend, du reste, pourquoi certains des pseudo-païens de nos contrées on tant apprécié Georges Bataille, qui leur a livré sur un plateau «mental» toutes les justifications pour leurs turpitudes culturelles…
Eh bien, cher Pierre Builly, non ! Vous ne me la ferez pas à l’aide de l’imprécation du «c’est l’plus grand». Rappelons-nous la réflexion de Baudelaire à l’adresse de Degas : «Vous n’êtes le plus grand que dans la décadence de votre art.» L’Houellebecque, quant à lui, apparaît comme un attardé dans la décadence de ce qu’il croit être le sien.
Pierre , on a bien sûr le droit d’aimer Houellebecq et sa redoutable férocité sur notre monde, mais le débat n’est peut-être pas entre une littérature compassée, veillotte, édifiante, démodée, et une littérature qui n’ a pas peur de se salir les mains, de dénoncer des travers de notre temps, bref un peu engagée. La littérature engagée ou polémique, n’est plus de la littérature, car elle travestit nos déchirements, la littérature n’est jamais édifiante, au service d’une cause aussi justifiée soit elle, elle est un monde où nous vivons , où nous retrouvons nos forces de vie, et qui ne s’efface jamais. .. Houellebecq est-il notre nouveau Balzac? On peut en discuter en toute amitié.
Cher Henri, rappelons au passage que Balzac inscrivait explicitement son œuvre dans une lignée SPIRITUELLE… En effet, il a donné le titre de «Comédie humaine» par référence expresse à la «Divine Comédie» (voir encore «Les Procrits», mettant en scène Dante à Paris). Si l’on peut considérer qu’il a beaucoup rendu compte des Enfer et Purgatoire d’humanité, il le fit avec grande charité, d’une part et, surtout, il n’a pas omis l’idée paradisiaque, avec «Béatrix» (justement), «Séraphita» ou la sublime «Massimila Doni».
Pour reprendre tes termes, avec lesquels je suis en parfait accord, précisons tout de même que Balzac – tout comme ton cher Dostoievsky et, au stade furieux de la stricte prophétie, Léon Bloy – recourt à quelque chose d’approximativement «polémique» dans une perspective quasi métaphysique ; pour citer Léon Daudet célébrant l’admirable Élémir Bourges – en opposition au naturalisme contemporain –, au lieu de faire de l’odieux avec du petit tout grand écrivain fait «du plus grand avec du grand», avec le «grand» qu’il décèle en toute chose, fût-ce la plus petite : «Ce que vous ferez au plus petit d’entre vous, c’est à moi que vous le ferez», annonce Notre Seigneur à ses disciples.
Bon, bon, bon, je me retire du débat !
Si vous voulez, je peux préciser que POUR MOI Michel Houellebecq est le plus grand écrivain vivant… Mais qu’est-ce que je suis pour écrire ça, moi qui n’ai jamais lu une ligne d’André Malraux, d’Albert Camus (ni de Marguerite Duras, ni de Nathalie Sarraute, ni d’Alain Robbe-Grillet), qui me suis bien ennuyé en lisant un peu de Céline, qui trouve Morand surfait, Mauriac répétitif…
C’est mon affaire. N’empêche que, le vouliez-vous ou non, MH sait déconstruite ce que nous détestons ; c’est déjà bien.
Non, Pierre la discussion doit se poursuivre, elle est légitime. Après tout c’est celui qui aime le plus, qui a raison, ou comprend le mieux l’écrivain. . Peut-être que nous voyons le rôle de l’écrivain en général de deux manières différentes, l’une comme celui qui s’insère par ses observations dans nos débats de société, jouant un rôle politique, l’autre comme rentrant dans notre monde intérieur, comme leçon de vie. Nous continuerons cette discussion ou ‘disputatio’ .
Tu sais, Henri, je ne suis pas certain qu’on puisse, dans quelque art que ce soit, avoir un jugement « objectif » ; tel vers qui me trouble jusqu’au coeur pourra te paraître mièvre ou insignifiant. Tel roman qui a, d’une certaine façon, façonné ma manière de voir l’existence te semblera surfait ou ennuyeux ; tel film, qui me fait monter les larmes aux yeux sera jugé par toi un peu ridicule….
Il y a, chez les gens de notre génération, un fonds commun minimal de culture, qui fait que nous avions tous lu, appris, regardé certaines oeuvres « de base ». Mais une fois ceci posé, une sorte « d’alphabet » culturel, il nous est possible de divaguer où nous voulons…. Je te dirai une prochaine fois que nous nous verrons, les dix romans préférés de ma vie… Ça m’étonnerait bien que les tiens soient les mêmes.
Chers Pierre et Henri, je vous propose de nous livrer chacun à l’exercice suggéré par Pierre : «les dix romans préférés de [notre] vie» – et qui nous aime nous suive – uniquement les romans.
Je m’y colle (dans le désordre qui me vient immédiatement en tête ; et dans la stricte limite de 10 ; tant pis pour ce qui ne peut que manquer) :
• «Henri d’Ofterdingen», Novalis
• «L’Élu», Thomas Mann
• «Les oiseaux s’envolent et les fleurs tombent», Elémir Bourges
• «Les Consultations du docteur Noir» («Stello» et «Daphné»), Alfred de Vigny
• «La Fée aux miettes», Charles Nodier
• «Les Élixirs du diable», E.T.A Hoffmann
• «Mystères», Knut Hamsun (j’y ajoute «Faim», «Pan» et «Victoria», il y a là quasi «tétralogie»)
• «La Réponse du Seigneur», Alphonse de Châteaubriand
• «Crime et Châtiment», Fédor Dostoievski
• «L’Ève future», Auguste Villiers de L’Isle-Adam
• «Nicolas Belavoir», Arthur comte de Gobineau
…………
Malheureux de devoir se limiter à 10, mais limitons-nous…
Je veux bien me livrer à l’exercice, mais ça ne veut pas dire grand chose, puisque j’inclue dans ma liste des « suites romanesques ». Enfin, voici ma liste :
1 – Les Deux étendards de Lucien Rebatet
2 – À la recherche du temps perdu, et avant tout « »Sodome et Gomorrhe 1 de Marcel Proust
3 – Belle du Seigneur, d’Albert Cohen
4 – Les célibataires, d’Henri de Montherlant
5 – Un roi sans divertissement, de Jean Giono
6 – Les Thibault et avant tout « »La belle saison » de Roger Martin du Gard
7 – Les Hommes de bonne volonté (27 romans !) de Jules Romains
8 – Là-bas, de Joris-Karl Huysmans
9 – Illusions perdues, d’Honoré de Balzac
10 – Dracula, de Bram Stoker
On voit bien que l’exercice ne veut pas dire grand chose… Où placerai-je les romans du cycle du « Monde réel » de Louis Aragon (Les cloches de Bâle, Les Beaux Quartiers, Les Voyageurs de l’impériale, Aurélien, et Les Communistes), Lucien Leuwen, Une vie (Maupassant) et quelques dizaines d’autres…
David et Pierre, je veux bien me livrer à cet exercice modestement bien sûr. Voici la liste, qui me vient à l’esprit, un peu par ordre chronologiques, des romans qui m’ont marqué; je ne prétends pas bien sûr qu’ils soient les meilleurs, et il en manque: ( sur ce point je suis bien d’accord avec Pierre)
1) L’île au trésor de Stevenson
2) Croc-Blanc de Jack London (suite à un film vu enfant )
3) Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne
4) Les illusions perdues de Balzac
5) Guerre et Paix de Tolstoï
6) Les frères Karamazov de Dostoïevski
7) Le journal d’un curé de campagne
8) La pitié dangereuse de Stefan Zweig
9) La dernière à l’échafaud de Gertrud von le Fort (- à l’origine des dialogues des Carmélites
10) L’Idiot de Dostoïevski
Je n’ai pu hélas placer ni le misanthrope de Molière ni la trilogie de Pagnol ni mes films préférés qui m’ont parfois plus marqué comme Andrea Roublev
Il ne peut qu’en «manquer», mais il suffit d’observer nos trois listes pour réaliser à quel point notre «capital» émotionel peut différer de celui d’autrui et, surtout, combien nos «époques» de prédilection doivent être révélatrices… Il y aurait encore matière à «analyser» ces listes, mais, comme je suis un adversaire acharné des manies analytiques, je ne m’y aventurerai évidemment pas – libre à un amateur des «logies» de s’y amuser, cela pourrait ne pas manquer de sel.
Merci Pierre et Henri de votre «collaboration» à cet exercice – d’ailleurs suggéré par Pierre.