PAR PIERRE BUILLY.
Regain de Marcel Pagnol (1937) d’après le roman de Jean Giono (1930, Grasset).
La mort du pain.
Je dois dire que je n’avais plus vu Regain depuis bien des années, quarante ans peut-être et que je m’en faisais une idée meilleure que la réalité qui m’est apparue.
De fait, je rejoins plutôt les avis qui jugent le film un peu long, un peu verbeux et estiment que la catastrophique Orane Demazis est là plutôt pire encore qu’elle ne l’est dans tout ce qu’elle a joué : la Trilogie (Marius, Fanny, César), Le schpountz et aussi Angèle, -. Mais enfin, imaginez-vous que, si Pagnol n’était pas passé à d’autres amours, elle aurait pu prendre la place de Ginette Leclerc dans La femme du boulanger ? J’en frémis, rétrospectivement !
Orane Demazis, donc, mais aussi Fernandel, que peu de metteurs en scène ont pu suffisamment canaliser pour assagir son grand talent ; dans la plupart des films – dans leur quasi-totalité, en fait – il y a toujours une ou deux séquences où l’acteur déborde, éclabousse, passe les bornes du bon goût, ce qui fait sans doute bien rire le spectateur moyen qui est là pour se faire péter la sous-ventrière mais gâte un peu le propos du cinéaste.
Parce que Regain n’est pas – mais alors pas du tout – une histoire gaie, nourrie de provençalades où les bons mots courent les uns après les autres et où la faconde tient lieu de scénario. Je n’ai pas dit que les films de Pagnol sont des gugusseries de boulevard : pour la plupart, ce sont des tragédies dissimulées et discrètes ; mais Regain l’est peut-être davantage encore que La fille du puisatier ou Naïs : c’est un grand roman de Jean Giono, un de ceux de sa première période où il imagine qu’un retour à la nature est possible et permettra, même, de retrouver et d’ancrer des valeurs éternelles de simplicité et d’harmonie.
Le village d’Aubignane a été peu à peu abandonné par ses habitants et tombe en ruine, envahi par les ronces et les lézards. N’y subsistent que trois habitants, Gaubert (Édouard Delmont), la vieille Mamèche un peu sorcière (Marguerite Moreno) et le brave Panturle (Gabriel Gabrio) qui vit en sauvage de cueillette et de chasse. Gaubert, trop vieux, s’en va dans la plaine retrouver son fils Jasmin (Charles Blavette) et sa bru acariâtre Belline (Milly Mathis). La Mamèche ne supporte pas qu’Aubignane puisse vraiment mourir et elle va détourner vers le village la course pesante du rémouleur Gédémus (Fernandel) et de sa propre esclave Arsule (Orane Demazis), une fille perdue qui a roulé depuis toujours sous le désir des mâles.
Gédémus, dédommagé, quittera la scène, Panturle et Arsule découvriront l’amour, et Jasmin, aux dernières images, viendra les rejoindre ; le village revivra. Tout cela est bel et bon, mais un peu naïf, autant chez Giono que chez Pagnol. Pour autant le film peut trouver des accents lyriques et présenter de belles images désolées. Gabriel Gabrio, au ton un peu emphatique, n’est pas mauvais et les acteurs secondaires sont ceux que l’on aime chez Pagnol. Mais les meilleurs films du cinéaste sont – à part La femme du boulanger, grâce à Raimu sans doute – ceux qu’il a lui-même écrits… ■
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merci pour ce beau film qui regorge des symboles qui ont construits et consolidés nos repères:la terre qui nous donne le grain pour que l’homme cultive le blé qui devient le pain… »voici le pain qui est le fruit de la terre et du travail des hommes »la belle prière de l’offertoire au début de la messe.Tout est résumé dans une phrase.
Oui , un trés bon moment avec ce film ; merci à JSF pour l’avoir « mis en ligne » .
Fernandel , agaçant , mais , personnage secondaire ; c’est l’histoire campagnarde de Giono , et bien sûr les paysages , les ruines sous le soleil qui emportent l’adhésion . Histoire morale , bien entendu .
Pas du tout d’accord avec la critique de M. Builly. Je n’avais jamais vu ce film ni lu le roman, bien qu’ayant beaucoup entendu parler des deux. Daté bien sûr, mais quel film d’avant-guerre ne l’est pas. Je n’ai trouvé ni long ni décevant ni ennuyeux, captivée au contraire et j’aime beaucoup le jeu des 3 acteurs. J’ai commencé à regarder tard, pensant regarder seulement un petit moment et continuer un autre jour, et n’ai pu m’en décrocher jusqu’à la fin malgré l’heure nocturne très tardive. J’ai été émue aux larmes à la fin. Une France évanouie à jamais hélas. Merci pour ce remarquable cadeau.
Évidemment que « Regain » est un très bon film et qu’il faut le regarder avec bonheur, comme (presque) tous les Pagnol, d’ailleurs ; mon jugement, qui n’est nullement dépréciatif, n’est porté qu’à l’aune du reste de la filmographie de Pagnol : c’est une sorte de classement intérieur, en haut de quoi je mets la Trilogie, Le Schpountz et La femme du boulanger…