PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cet article est paru dans Le Figaro du 23 septembre. Il va sans dire qu’il ne s’agit pas ici de prendre position sur la question même du « climatoscepticisme » mais sur la multiplication exponentielle des sujets de tous ordres frappés d’interdiction dans le débat public. Mathieu Bock-Côté en donne une analyse à la fois inquiétante et pertinente. Il s’amuse « à l’idée que ce régime se présente comme l’expression parachevée de l’idéal démocratique. » Et si c’était le fait, au moins en France ? Mathieu Bock-Côté oublie quel fut le commencement français de ce régime. La Terreur prétendait en effet instaurer – fût-ce au forceps sanglant – l’idéal démocratique. Il faut toujours en politique et en Histoire remonter aux commencements. Ils conditionnent et expliquent leurs suites.
CHRONIQUE – La proposition de loi visant à bannir le climatoscepticisme de l’ensemble du paysage audiovisuel et numérique témoigne d’une radicalisation d’une partie de la classe politique.
« Un régime à vérités officielles est un régime idéocratique, qui tôt ou tard, embauchera des gardiens du dogme, invités à surveiller et même persécuter ceux qui douteront ouvertement de lui, et même ceux qui en douteront malicieusement ou à demi-mot ».
On apprenait jeudi qu’une vaste coalition parlementaire transpartisane, excluant toutefois le RN, entend présenter en janvier une proposition de loi visant à bannir le « climatoscepticisme » des médias. L’objectif de cette proposition de loi est d’interdire dans le débat public toute remise en question des dérèglements climatiques, tout comme de leur cause anthropique. Ce point de départ devrait « échapper au débat contradictoire », cela au nom de la science, ou plus exactement, du « consensus scientifique ». Il s’agit donc, explicitement, de structurer le débat public de telle manière qu’il ne soit plus permis de questionner cette affirmation fondamentale.
Nous ne sommes pas de ceux qui contestent les présents dérèglements du climat mais il importe d’envisager les effets de cette judiciarisation du débat climatique. Ainsi, un ouvrage étonnant viendrait-il un jour relativiser une de ces affirmations qu’il ne devrait pas être permis d’en parler dans les médias. La censure permettrait de perfectionner notre expérience de la liberté d’expression. Le délit d’opinion représente désormais la poursuite de la liberté d’expression par d’autres moyens.
Une interrogation naîtra néanmoins quant à la définition juridiquement fixée du climatoscepticisme. Fait-il simplement référence à la négation pure et simple des changements climatiques ? Fait-il référence à la relativisation de la responsabilité humaine dans ces changements ? Gardons à l’esprit que l’hétérodoxie climatique est assimilée depuis un bon moment déjà au « négationnisme ». Ce terme ne pouvait être utilisé sans conséquences.
L’appel au consensus
On aurait tort de croire que les partisans du délit d’opinion s’arrêteront là. On entend souvent, avec raison, et prenons la peine de le dire puisqu’il en est encore permis de le faire, que la France est responsable d’une portion tout à fait minime des émissions contribuant aux changements climatiques. Il est à peu près certain que ce rappel sera tôt ou tard assimilé au climatoscepticisme. Faudra-t-il demain l’interdire ?
De même, bien des écologistes tiennent le capitalisme pour responsable des dérèglements climatiques et considèrent qu’il ne sera vraiment possible de lutter contre eux qu’en entrant résolument dans une logique de décroissance. Faudra-t-il assimiler après-demain la défense du capitalisme à un climatoscepticisme voilé ? L’appel au bannissement des publicités des produits jugés « écocidaires » laisse croire que nous sommes déjà engagés dans cette direction.
Ne soyons toutefois pas surpris : l’appel au consensus scientifique est aujourd’hui de plus en plus fréquent quand vient le temps aujourd’hui de verrouiller le débat public. Ainsi, c’est la démographie qui explique aujourd’hui que le grand basculement démographique occidental serait une lubie conspirationniste, et même raciste. Le consensus scientifique serait incontestable : l’immigration massive ne transformerait pas en profondeur la composition démographique des sociétés occidentales.
De même, ce serait apparemment le consensus scientifique de notre temps qui justifierait l’abolition du masculin et du féminin, catégories réactionnaires, et la promotion militante de la théorie du genre dans les écoles. La théorie du genre serait la révolution copernicienne de notre temps, et il ne devrait pas être non plus permis de la contester. Faudra-t-il demain interdire la remise en question de ces consensus scientifiques ?
L’humeur populaire
Cette rhétorique n’est pas sans faire penser à ce qu’on appelait autrefois le marxisme scientifique. S’il était permis de débattre dans ses paramètres, d’autant qu’il s’agissait d’une théorie à souvent replâtrer tellement elle ne résistait pas à l’effet corrosif de la réalité, il n’était pas permis de les modifier, encore moins d’en sortir, à moins de consentir à l’accusation de déviationnisme.
L’appel de plus en plus fort et de plus en plus entendu en faveur de l’institutionnalisation politique et juridique du consensus scientifique donne l’impression que le monde occidental poursuit aujourd’hui sans s’en rendre compte l’histoire de l’URSS. La science passe de la célébration du doute fécond à l’enthousiasme des certitudes juridiquement certifiées.
Un régime à vérités officielles est un régime idéocratique, qui tôt ou tard, embauchera des gardiens du dogme, invités à surveiller et même persécuter ceux qui douteront ouvertement de lui, et même ceux qui en douteront malicieusement ou à demi-mot. Cette proposition de loi témoigne d’une radicalisation de l’extrême centre qui juge nécessaire le passage de la délibération politique à la gouvernance technoscientifique et n’entend plus s’encombrer de l’humeur populaire et de l’incompétence présumée du commun des mortels. On s’amusera néanmoins à l’idée que ce régime se présente comme l’expression parachevée de l’idéal démocratique. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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