Cours d’empathie.
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Le Figaro de ce matin du 30 septembre. Quand Jean-Paul Brighelli traite d’enseignement il est (presque) infaillible. Nous nous exemptons donc de commentaire. En revanche les lecteurs de JSF interviendront s’ils le jugent utile.
HUMEUR – Pour l’enseignant et essayiste, la mise en place de cours d’empathie pour lutter contre le harcèlement scolaire ne pourra remplacer les leçons de morale d’autrefois.
« L’empathie, ce n’est plus la morale, c’est la moraline ».
Gabriel Attal, qui a voué son ministériat à la lutte contre le harcèlement — 700 000 victimes par an, quand même — a donc décidé que dès 2024, tous les élèves, à tous niveaux, recevraient des cours d’empathie.
Étrange décision. L’empathie, c’est l’art de souffrir avec l’autre. Qui y consent, sinon un saint ? Les caïds de dix ans (ou douze, ou quinze) des deux sexes qui martyrisent les gros, les «intellos», les étrangers, les trop blancs, les trop noirs, les trop petits et les trop maigres (Abdellatif Benazzi a révélé un jour que non, il n’avait jamais été enquiquiné à l’école — ni ailleurs : quand les types de 110 kilos parlent, ceux de 60 écoutent) tremblent déjà à l’idée de ces enseignements si pleins de bonnes intentions. Non seulement ils n’aiment pas avoir mal, mais ils aiment faire mal — parce que la nature des enfants est cruelle (rappelez-vous La Fontaine : « Cet âge est sans pitié »), et que l’école avait autrefois pour mission de les dénaturer, au sens propre. Mais aujourd’hui, elle les écoute, les cajole, et, menace suprême, pense à les faire passer dans un autre établissement, où ils arriveront avec une réputation.
On donnait autrefois des leçons de morale — voir le début du Topaze de Pagnol. C’était au temps de la République triomphante (la IIIème, en l’occurrence), qui avait fait siens les préceptes d’une christianité qu’elle s’employait à subjuguer. Puis sont arrivés les cours d’Enseignement civique — on prêchait l’intégration dans le groupe France. Peine perdue en ces temps de dispersion façon puzzle de la nation en « communautés » qui se traitent entre elles comme les tribus maghrébines se traitaient avant la conquête française : la loi du plus fort additionnée à celle du talion.
L’empathie, ce n’est plus la morale, c’est la moraline, produit à obsolescence rapide du New Age. Nous avons la morale que nous méritons, et les traitements qui nous vont : les cours d’empathie sont empruntés aux nations scandinaves, qui sont très loin d’avoir les mêmes problèmes d’intégration que la France.
Peut-être sont-ce les parents qu’il faudrait remoraliser — après tout, ils sont comptables légalement des exactions de leur progéniture. Mais chose curieuse, ils sont les grands oubliés des menaces ministérielles. La sanction suprême, évoquée par Dupont-Moretti, consistera à priver les harceleurs de portable. Mais ils en auront un autre dans l’heure — parce qu’à faire les guetteurs pour les narcotrafiquants au pied des cités, ils gagnent chaque soir de quoi s’offrir le dernier modèle. ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).
Une morale s’appuie sur la métaphysique (au moins implicite). Sans métaphysique partagée, il ne reste qu’une moraline pseudoscientifique : la psychologie sur laquelle se rabattent les curés, les pédagos et les juges…