PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cet article est paru dans Le Figaro de samedi 7 octobre. Nous n’y trouvons rien d’important qui mérite d’être contesté. Tout y est dit fort bien, nous semble-t-il. Deux remarques : Mathieu Bock-Côté vise le « régime diversitaire » terme qu’il a inventé pour coller à une réalité très actuelle imposée à nos sociétés par la minorité dominante. Il pourrait tout aussi bien dire « le régime » tout court car c’est la double nature des régimes politiques d’après la Révolution que de tendre au totalitarisme et que de travailler à dissoudre, atomiser, les communautés. Du moins les communautés naturelles et historiques. Nous continuons dans cette voie et nous l’approfondissons avec une vitesse, une vigueur, un extrémisme, une radicalité sans égal. C’est là qu’est la réalité du moment. Et Bock-Côté en dresse incessamment une très efficace critique.
CHRONIQUE – Voté mardi par le Parlement européen, le Media Freedom Act a pour objectif affiché de renforcer l’indépendance et la transparence des médias. Une initiative dont Mathieu Bock-Côté doute du bien-fondé.
Le régime diversitaire cache de moins en moins sa nature autoritaire, pour ne pas dire plus. Et accuse ceux qui lui résistent d’extrémisme antidémocratique
Mardi, le 3 octobre, les parlementaires européens ont voté en faveur du Media Freedom Act, un texte qui, officiellement, assure la liberté de la presse dans l’Union européenne. Plusieurs ont noté que d’un pays à l’autre, les cultures médiatiques varient profondément, mais ce ne serait pas la première fois que l’UE entend homogénéiser les pays qui la composent. Sans revenir sur le détail des dispositions qu’on y trouve, il importe toutefois d’en comprendre l’esprit, à la lumière d’une tendance lourde, soit la tentative, car ces propositions se multiplient en Occident, de ce qu’il faut bien nommer l’oligarchie de reprendre en main depuis quelques années le débat public.
Il y a derrière cette ambition un double contexte. Le premier commence à dater, mais a profondément marqué l’esprit des élites mondialisées : il s’agit de la victoire du Brexit, en 2015, et de Donald Trump, en 2016, considérées dans les deux cas comme des anomalies démocratiques. On a expliqué la première en accusant le camp souverainiste d’avoir mené une propagande mensongère, relevant de la désinformation pure et simple. On a expliqué la seconde par l’ingérence russe et la démagogie du candidat républicain. Chaque fois, on a refusé d’envisager que la population ait vraiment voulu rompre avec l’empire européen ou avec le modèle de société mis en avant par les élites américaines depuis les années 1990. Autrement dit, les Britanniques comme les Américains n’auraient pas été libres de donner leur consentement éclairé. N’aurait-il pas été idéal d’annuler ces résultats pour les priver de leurs effets ? Pour en finir avec les victoires populistes, le régime diversitaire dit à sa manière « plus jamais ça ».
Le deuxième contexte correspond à l’émergence des médias sociaux, qui ont déstabilisé profondément le récit médiatique occidental, autrefois encadré et balisé par la plus grande partie de la presse officielle et ses tabous. Ils l’ont déstabilisé dans la mesure où ils ont, avec la force de l’image et de la vidéo, souvent, exposé au grand public des faits et des éléments qui étaient généralement invisibilisés, ou traités sur le mode du fait divers, et qui venaient désormais troubler le récit de la diversité heureuse. De même, certaines voix, autrefois contenues à la périphérie de l’espace public, ont pu se faire entendre du grand nombre, et risquaient surtout de trouver l’écoute de bien des citoyens ne se reconnaissant pas dans le « narratif » dominant. Le combat pour la maîtrise du récit médiatique est ainsi devenu la grande obsession des élites mondialisées, qui ont voulu, de mille manières, reprendre le contrôle de l’espace public.
Jacinda Ardern, l’ex-première ministre néo-zélandaise, a présenté cette thèse devant l’Assemblée générale de l’ONU en 2022, en soutenant que la liberté d’expression serait une arme chez les individus et mouvements politiques mal intentionnés en les accusant de « provoquer le chaos » de « dissoudre les communautés » et de « briser la force collective des pays qui travaillent ensemble ». Elle se demandait aussi comment combattre le réchauffement climatique, s’il était permis d’en douter médiatiquement, ou de mener certaines guerres, s’il était permis de remettre en question la noblesse des intentions de son camp ? Une telle description culminait évidemment dans un appel à la censure. L’oligarchie nomme désinformation, la mise en circulation ou l’interprétation de faits ne cadrant pas avec le récit dominant ; propagande, un discours contredisant ouvertement celui des élites au pouvoir ; et discours haineux, le refus de célébrer les principales avancées du régime diversitaire.
Thierry Breton a quant à lui affirmé, en juillet, qu’en plus des « discours haineux », les « contenus appelant à la révolte » seraient supprimés des réseaux sociaux. Plusieurs se sont demandé si, pour la nomenklatura européenne, le discours des partis populistes n’appartenait pas à cette catégorie. Car dans son Plan d’action pour la démocratie européenne, on peut lire que « la démocratie dans l’UE est confrontée à des défis allant de la montée des extrémismes aux ingérences dans les élections ». Sachant que les partis « populistes » ou « nationaux-conservateurs » sont souvent assimilés aux extrêmes, on comprendra qu’il serait nécessaire de les combattre, le système européen confessant ici son préjugé favorable envers certaines formations politiques contre d’autres. Quant au concept d’« informations manipulatrices », il témoigne d’une évolution des critères justifiant la censure, qui n’entend plus seulement combattre les « fausses nouvelles » mais les informations qui pourraient dérégler le récit médiatique dominant.
Le régime diversitaire cache de moins en moins sa nature autoritaire, pour ne pas dire plus. Et accuse ceux qui lui résistent d’extrémisme antidémocratique. Orwell est manifestement le grand écrivain pour comprendre notre temps. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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