Hilaire de Crémiers aux participants à l’hommage de Roquevaire rendu à Charles Maurras. Adressé à Jean Gugliotta, président de l’Union Royaliste Provençale.
Cher Jean,
Tu le sais, j’ai beaucoup de regrets de ne pouvoir être parmi vous ce samedi 14 octobre.
Vous honorez Maurras. Vous le célébrez même à Roquevaire sur sa tombe familiale et chacun sait qu’aujourd’hui, honorer et célébrer ne peuvent se faire dans les rites officiels qu’aux conditions fixées par la République qui s’y connaît en dogmatisme moralisateur pour interdire tout ce qui ne relève pas de son unique et misérable pensée. C’est Barrès, ces derniers temps, le Lorrain nationaliste, le député qui a obtenu l’érection de la fête de Jeanne d’Arc en fête nationale, qui fait les frais de cet ostracisme. Maurras avant lui ! Mais c’est un honneur supplémentaire d’être ostracisé par cette République qui n’a jamais su qu’organiser la guerre civile chez nous, en y rajoutant de plus les guerres extérieures qu’elle s’ingénie à importer sur nos territoires pour aggraver nos divisions. Car la division, c’est le propre de son esprit, l’âme de ses institutions.
Charles Maurras fut celui qui a le mieux compris ce génie malfaisant du régime que nous subissons depuis la Révolution.
Toute sa vie fut une lutte, et une lutte pour la charité vraie. Car la charité est un combat contre les forces de désunion et de haine. L’unité française est notre premier bien public qu’il est criminel de remettre en cause. Tous les jours de sa vie, dans ses écrits et dans ses paroles, Charles Maurras a énoncé les conditions de l’unité dans la charité, dans un amour vrai de la France éternelle ; et – il faut le préciser – dans la diversité des dons, des pays, des populations, des âmes, son souci d’unité se composant avec le souci égal des libertés vivantes.
Son œuvre, quand on y réfléchit, offre la plus belle des synthèses qui ait jamais été conçue de charité politique ; elle s’imposera un jour comme le début obligé de toute solution à nos crises répétitives.
Cette charité effective est l’œuvre pratique d’une foi ; et d’une foi réelle.
Certes, Maurras l’a dit et répété : il n’avait pas la foi ; il était privé de ce qu’il appelait lui-même la grâce de la foi.
Prenons acte de cette déclaration. Mais nul n’agit s’il n’a pas la vision, même partielle, de l’utilité et de la bonté de son action. Et il suffit de considérer la puissance, le déploiement, la persévérance de cette action, qui fut comme on le sait une action française, pour imaginer la force de conviction intime qu’elle suppose : une foi à soulever les montagnes, pour reprendre les mots de l’Évangile. Dite ou non dite, explicite ou non explicite, se limitant elle-même par réserve et par pudeur au seul objet qui façonnait et activait sa charité, c’est-à-dire la France, cette foi était immense et invincible : foi française et, à travers la France, foi catholique qu’il défendit avec une extrême vigueur quoiqu’il affirmât qu’il n’en était pas bénéficiaire. Quant à sa foi personnelle, eh bien elle reste un mystère dont il convient de respecter le secret. Ce que ses adversaires n’ont jamais fait.
Et cette charité française, cette foi française, portaient une espérance française non moins invincible. Car il n’a jamais douté de l’issue heureuse, en dépit de la méchanceté des hommes et des contrariétés des temps.
Tous ses livres, surtout ses derniers – je pense à Pour un jeune Français – toute sa poésie, même la plus triste, même la plus amère, sont animés par un souffle d’espérance inextinguible. Le Royaume était là ; toujours là, la raison d’être même de la France qui se définit comme le royaume par excellence, le plus beau royaume qui ait été vu sous le ciel, et qui serait demain encore le royaume de la vie et de l’amour ; ce royaume, selon la parabole, ne peut s’imaginer que comme le festin espéré des noces royales tant attendues, celles des amours du Roi avec son peuple. Car il n’est pas de royaume sans Roi. Oui, la vie de Maurras ne fut qu’une marche d’espérance vers le Royaume et vers le Roi.
Je ne conduis vers mon tombeau
Regret, désir ni même envie,
Mais j’y renverse le flambeau
D’une espérance inassouvie. ■
Hilaire de Crémiers.