L’Humanité à la Une de Je Suis Français, à la suite d’un texte d’Hilaire de Crémiers, ce n’est pas commun. C’est peut-être même une première. Mais pourquoi pas, par exemple en cas d’accord ? Il s’agit ici de défense du français jusque dans le sport. Est-ce une urgence quand tant d’agressions, d’invasions de toute sorte, de risques de faillite ou de guerre, d’inculture et de restrictions des libertés légitimes nous menacent ? Mais, oui, c’est une urgence : les maurrassiens se souviennent de l’affirmation mistralienne : « Qui tient sa langue tient la clé qui de ses chaînes le délivre ». Alors, fût-ce avec L’Humanité, tenons ferme cette clé de la langue. Langue et esprit français ! Même à l’A.F., s’il vous plaît !
La pratique du ballon ovale contient de nombreux anglicismes. À l’occasion de la Coupe du monde en France, la Délégation générale pour la Langue française mène un combat avec les traductions pour faire rayonner notre langue dans ce sport que beaucoup de Français ont à cœur.
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Pick and go, ruck, stamping… Sport éminemment britannique, inventé il y a près deux siècles, le rugby peut être assez difficile à appréhender. Au-delà de ses règles, qui ont évolué plus d’une centaine de fois depuis sa première codification en 1846, son jargon en anglais facilite encore moins sa compréhension si l’on ne le maîtrise pas. À l’occasion de la Coupe du monde 2023 dans l’Hexagone, la Délégation générale de la Langue française en profite pour plaquer les anglicismes et faire gagner du terrain à la langue de Molière.
Chargé de promouvoir son usage, notamment dans un monde sportif dominé par l’idiome de Shakespeare, ce service rattaché au ministère de la Culture propose une mêlée de 15 termes du ballon ovale traduits et expliqués pour faciliter sa connaissance.
« Les nouveaux sports ou les nouvelles disciplines viennent souvent du monde anglo-saxon, explique Daniel Zielinski, haut fonctionnaire à la langue française pour le sport. Dès qu’il y en a un qui apparaît, le paddle-tennis par exemple, on essaie de traduire rapidement les mots afin que chacun utilise les termes français. Sinon, plus on attend, plus il devient difficile de changer les habitudes de pratiquants qui emploient depuis de nombreuses années les mots anglais… »
« Jeu au pied » à la place de « kicking game », of course
Pour le rugby, c’est donc raté ? Pas vraiment, car régulièrement de nouvelles traductions sont effectuées et publiées au Journal officiel. « Pour la Coupe du monde, on met en avant des mots nouveaux ou des mots anciens déjà traduits, plus usités qu’avant, ou dont la définition a évolué. L’objectif est de ne pas avoir un vocabulaire à la traîne », précise celui qui est aussi inspecteur général de l’Éducation, du Sport et de la Recherche.
Ainsi, deux nouveaux termes, parus au Journal officiel du 5 septembre 2023, font leur entrée sur le terrain lexical du rugby : « couper » au lieu de « cut », « lorsqu’un joueur croise la trajectoire de course du porteur du ballon pour lui suggérer une solution de passe qui prenne à revers la défense adverse » et « jeu au pied » à la place de « kicking game » « pour désigner les différentes stratégies et techniques recourant à la frappe au pied, comme une chandelle par exemple. »
En collaboration avec Olivier Lièvremont, directeur technique national
À chaque traduction, le collège d’experts (Académie française, universitaires, linguistes, etc.), animé par Daniel Zielinsky, sollicite l’instance sportive concernée. « On a travaillé avec Olivier Lièvremont, directeur technique national de la Fédération française de rugby. Il est venu avec plusieurs spécialistes qui ont proposé une liste de termes nouveaux et de mots en évolution parce que l’usage ou la règle a changé et dont il fallait faire avancer la définition. C’est le cas de “mêlée spontanée” pour “ruck”. Avant on disait plutôt “mêlée ouverte”… »
Deux termes publiés en 2011 ont ainsi vu leur définition légèrement modifiée afin de préciser à quel moment du jeu ces actions peuvent survenir. Celle de préparation au saut porté, ou agrippement (pré-grepping), est devenue « pratique de jeu consistant à saisir un coéquipier avant un saut porté » ainsi que le geste qui le suit : l’ascenseur (lift). « Différentes formes d’ascenseurs sont possibles, ce qui n’était pas le cas avant, souligne Daniel Zielinsky. Nous avons donc mis : action de jeu qui consiste à accompagner le saut d’un coéquipier en le soulevant et en le maintenant en l’air pour qu’il s’empare du ballon. Note : un saut porté peut être pratiqué notamment lors d’une remise en jeu après une touche ou lors de la réception d’un coup d’envoi ou de renvoi. »
L’Académie entre dans la mêlée
Pour parvenir à la traduction idoine, un long travail est nécessaire. « On essaie de trouver l’expression française la plus proche ou la plus dynamique, que l’on peut facilement utiliser à la place de l’anglais. Par exemple : “pick and go” qu’on a traduit par “pique et va” (action de jeu qui consiste à partir d’une mêlée spontanée, à prendre le ballon au sol et à engager une course vers l’avant). Ensuite, il faut donner une définition claire et précise. Des linguistes formulent la phrase et des représentants de l’Académie, qui sont très chatouilleux sur la place des mots dans la phrase, valident ou pas. On entre dans une série d’échanges et ça peut prendre un certain temps avant une parution au Journal officiel. »
Commence alors le plus difficile pour un mot : sa diffusion, afin qu’il soit repris par l’ensemble de la Francophonie. « Les athlètes ne sont pas notre première cible. La première cible, ce sont les pratiquants. Pour cela, on utilise trois canaux. La fédération avec son service de communication, son site internet, ses ligues régionales, etc. Les journalistes, parce qu’ils vont être un vecteur de ces traductions. Enfin, les réseaux sociaux avec des infographies, des questionnaires ludiques, des choses assez simples… » Le mot est lâché. À lui de vivre sa vie. ■