« Les Français ne se contentent pas de coloniser militairement »
Sur la lancée de mon Coup de la semaine passée, consacré au regard politiquement incorrect de l’écrivain marocain Khair-Eddine (1941-1995) sur les réalisations du Protectorat français dans l’Empire chérifien (1912-1956), je voudrais maintenant mettre en lumière la vision positive du plus célèbre écrivain arabophone égyptien du XXème siècle, Taha Hussein (1889-1973), sur la colonisation française en général.
Une œuvre arabo-mahométane interrompue par un putsch
Voici ce que déclara officiellement le 24 avril 1950, au Centre universitaire méditerranéen de Nice, Taha Hussein, alors ministre égyptien de l’Instruction publique du roi Farouk (Photo de droite) : « les Français ont cette qualité particulière qui les distingue de toutes les puissances européennes, ils ne se contentent pas de coloniser ou d’occuper militairement, ils ont toujours l’esprit ouvert, ils veulent apprendre, apprendre pour leur compte, et apprendre à ceux qu’ils occupent ».
Que souhaiter de plus, pour contrer les calomnies répétées ad nauseam sur notre entreprise coloniale par ses détracteurs ? Quand on sait que Taha Hussein est, avec peut-être Naguib Mahfouz, le plus grand auteur et penseur arabo-musulman du XXème siècle.
Son impact ne fut pas seulement littéraire avec des œuvres marquantes comme Le Livre des jours (ci-dessus) mais également politico-culturelle ; secrétaire d’État puis ministre, il eut un rôle de tout premier plan dans les reformes de l’enseignement public égyptien réalisées par la dynastie méhémétalide (1805-1953). [A gauche, l’université Fouad 1er, au Caire].
Mécontentement du clergé sunnite
Issu d’une famille du peuple de Moyenne Egypte, à Minieh (Photo : le Nil à Minieh), le petit Taha perdit la vue à 4 ans suite à une conjonctivite pas ou mal soignée ; son intelligence aigüe et une volonté de fer lui permirent, malgré sa cécité, de se forger un nom à travers toute l’arabophonie sur le thème très pointu de la poésie anté-islamique dont il démontra la haute qualité alors que le clergé musulman sunnite (contrairement à une idée reçue, il y a bel et bien un clergé en Islam mais il n’y a pas de sacerdoce) prétendait que rien de bon n’avait pu sortir du temps dit de l’ignorance (jahilya en arabe) précédant la prédication de Mahomet ; si un islam des Lumières a existé, Hussein est un de ses représentants majeurs.
Parfaitement francophone grâce à ses années universitaires en France, Hussein fut naturellement aidé en ce domaine par la Française distinguée qu’il épousa, Suzanne Bresseau, d’où une brillante descendance illustrant la franco-arabophonie. ■ (Photo de droite).
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
Retrouvez les publications sous ce titre…
Dommage qu’il n’y ait plus le bouton renvoyant à Facebook. Cela facilitait la diffusion de vos articles…
J’ai le même problème qu’Yves Floucat…
Je vous cite, cher Monsieur PÉRONCEL-HUGOZ : « Quand on sait que Taha Hussein est, avec peut-être Naguib Mahfouz, le plus grand auteur et penseur arabo-musulman du XXème siècle. »
Quel besoin de qualifier des auteurs purement Égyptiens, d’auteurs et penseurs « arabo-musulman » ? Sachant que les deux avaient pris leur distance avec l’islam, notamment Taha Hussein. Il aurait perdu la foi islamique et même critiqué sévèrement l’islam dans un fameux poème (et louant Jésus), voire converti au christianisme à la fin de sa vie. Tous les deux exprimaient fièrement leur égyptianité plurimillénaire qui, anthropologiquement et culturellement parlant, n’a rien à voir avec l’arabité-islamique.
Diluer l’égyptianité dans l’arabo-islamisme (la fameuse idéologie du panarabisme) est un travers qui a cherché à gommer une spécificité propre à la civilisation de la vallée du Nil et de lui accoler de force l’arabité et l’islam en exclusivité, lorsqu’on sait que Copte veut dire « Égyptien », sans connotation religieuse. Le musulman d’Égypte est tout autant copte que le chrétien de ce pays dans la mesure où ses ancêtres ont été convertis (de gré ou de force) à l’islam. L’arabité n’est que partielle par la langue mais culturellement même l’islam de ce pays est ethnographiquement parlant imprégné des héritages pharaonique et chrétien du passé.
MERCI A M.SWEYDAN POUR SES REMARQUES .
TOUTEFOIS JE ME PERMETS DE LUI CONSEILLER DE BIEN S’ARMER S’IL DECIDE UN JOUR D’ALLER EXPLIQUER A DES EGYPTIENS MUSULMANS QU’ILS SONT AUSSI COPTES QUE MAHOMETANS … UNE TELLE COMPARAISON , POURTANT PAS DERAISONNABLE , SERAIT CONSIDEREE PAR EUX COMME UN CASUS BELLI HELAS …
Cher Monsieur PÉRONCEL-HUGOZ, mis à part l’influence certaine des Frères musulmans en Égypte, croyez-moi, beaucoup de musulmans sont tout à fait conscients d’une ascendance chrétienne (notamment ceux des musulmans qui portent un patronyme bien chrétien ; et j’en ai connu).
Ce sont les médias occidentaux et surtout ceux de France (qui avait soutenu le panarabisme et l’arabité, comme vous le savez, depuis la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe) qui ont désigné les chrétiens d’Égypte en exclusivité comme étant « Coptes ». Pourtant, le mot « copte » découle de l’hiéroglyphe « ka-Ptah » (« esprit de Ptah »), attesté à l’Ancien empire et qui a désigné les Égyptiens de la vallée du Nil.
Par ailleurs, la génétique des populations a montré depuis bien des années que la population (chrétienne et musulmane) de la vallée du Nil est homogène, Les Égyptiens n’ont jamais été des Arabes ! Ce sont des Hamites (ou Khamite), comme les Éthiopiens d’ailleurs (même lignée).
Je peux vous confirmer que de nos jours beaucoup d’Égyptiens que j’ai rencontré ou que j’ai connus tiennent fièrement à leurs origines et n’aiment pas qu’on les traite d’Arabes ! L’arabité fictive avait été imposée par le nassérisme panarabiste et par les Frères musulmans, comme vous le savez (j’avais lu à son époque votre ouvrage : Le radeau de Mahomet). De nos jours, la majorité de la population (80%) ne croit ni à l’un ni à l’autre (deux fiascos retentissants), s’en lave les mains et les a accusé de tous les maux. Mais cette arabité est souvent de rigueur dans les médias d’État, chez les fréristes et les wahhabites/salafistes. Le peuple égyptien dans sa grande majorité est vacciné, pour ainsi dire, revient progressivement aux fondamentaux et ceci depuis l’expérience désastreuse du frérisme de 2011-2013 !
Enfin, je connais bien ce pays et je vous assure que j’ai rencontré beaucoup d’Égyptien musulmans bien conscients de leur ethnicité copte (mais pas les fréristes et les salafistes désormais minoritaires dans le pays ; env. 17 à 20%).
Bien cordialement, FS