Par Natacha Polony.
Même si sa pensée nous semble s’exprimer parfois de façon un peu confuse et un peu compliquée – surtout à l’oral, en particulier sur France Inter – nous avons aimé cet édito de Natacha Polony dans Marianne du 31 octobre. En plus, sur le fond, où, pour la défense de la langue française, elle privilégie la grammaire plus que tout le reste, elle nous paraît avoir grandement raison. Les lecteurs de JSF jugeront et, comme ils savent si bien le faire, ils commenteront.
Le débat sur l’écriture inclusive est accessoire, argumente Natacha Polony, directrice de la rédaction de « Marianne », dans un plaidoyer pour la grammaire. Celle que l’on n’enseigne plus à l’école tant elle apparaît appauvrie et dévoyée dans les nouveaux programmes de l’éducation nationale, celle dont l’apprentissage est pourtant bien plus nécessaire à la défense de la langue française et inclusif car c’est la grammaire qui permet à ceux qui la maîtrisent d’avoir pris sur le monde et leurs propres sentiments.
Pour ou contre l’écriture inclusive ? Encore un débat qui a le mérite de permettre de belles joutes de plateaux télé, chacun venant, la fleur au fusil, montrer son âme de résistant face à$ l’hydre du camp d’en face. Avec, en figure de Commandeur, un Président de la République qui rappelle quelques bases, le fait, notamment, qu’en langue française, le masculin se confond avec le genre neutre (non pas pour des questions de domination mais pour des raisons d’évolution de la langue latine, que démontre la phonétique historique), mais qui oublie que lui-même a imposé l’inutile « celles et ceux » qui nie cette fonction même du neutre et contribue à imposer de manière subliminale l’affichage obsessionnel de la distinction de genre dans la langue.
Alors qu’est inaugurée une « cité de la langue française » par ce même président qui a cru bon de nommer à la tête de la Francophonie une ministre rwandaise dont l’un des faits d’armes est d’avoir œuvré à remplacer le français par l’anglais dans son propre pays, alors que cette « cité de la langue française » met l’accent avec complaisance sur « les apports extérieurs », tarte à la crème qui consiste à remarquer que, bien évidemment, une langue se nourrit de mots étrangers qui l’enrichissent (quelle découverte !), peut-être serait-il utile, d’un pur point de vue journalistique, de se demander quelle est la nature de cette langue française que l’on prétend défendre et illustrer à Villers-Cotterêts. Pourquoi diable le français a-t-il pu être adopté, partout en Europe, comme langue véhiculaire, celle des diplomates et des élites intellectuelles, pourquoi a-t-elle été choisie par des écrivains et des penseurs, pourquoi le « cartésianisme » ou les périodes de Chateaubriand ont-ils pu sembler à beaucoup, au-delà de nos frontières, les révélateurs de l’identité française ?
Il suffit d’écouter quelques minutes d’un débat télévisé ou d’une intervention parlementaire, et de les comparer à la prose du plus obscur des députés de la IIIe ou de la IVe République pour ressentir comme un vertige. Ce qui frappe n’est pas tant la pauvreté du vocabulaire que la disparition absolue de la grammaire. La grammaire, en tant qu’elle structure les développements de la pensée. On parle là de ces propositions subordonnées relatives qui constituent une incise aux mille nuances d’ironie, de mise en exergue ou d’atténuation, de ces propositions subordonnées conjonctives exprimant le but, la cause ou la concession, de cet usage du subjonctif qui rappelle que telle subordonnée exprime l’irréel ou le potentiel… On parle de ce qui fait, à proprement parler, la spécificité de la langue française : cette forme de rigueur et de précision qui permet d’énoncer clairement, et par là même, de concevoir bien.
Les Français ont-ils bien conscience qu’il faut désormais qu’une école soit « hors contrat » pour enseigner correctement la grammaire, c’est-à-dire à l’aide des catégories, nature et fonction, article défini ou indéfini, complément d’objet direct ou indirect, épithète, attribut… qui éclaire le fonctionnement de la langue et que décrypte l’exercice de l’analyse logique ? Dans le cadre des programmes de l’éducation nationale, c’est une version totalement édulcorée et dévoyée qui est imposée. C’est bien la raison pour laquelle les élèves qui arrivent en sixième maîtrisent si peu la grammaire que l’apprentissage d’une langue étrangère devient un calvaire pour eux – et pour les professeurs de langues – a fortiori quand il s’agit d’une langue à déclinaison, qui nécessite d’analyser grammaticalement les phrases. Voilà bien l’une des causes du recul vertigineux de l’apprentissage de l’allemand.
Les réformes scolaires ont une part immense de responsabilité, mais on ne saurait exonérer pour autant les médias. L’appauvrissement volontaire de la langue pour racoler quelques lecteurs ou téléspectateurs est un sport collectif de la profession. Quel jeune journaliste ne s’est pas vu suggérer de s’en tenir à la trilogie « sujet-verbe-complément » ? Combien d’animateurs populaires se sont-ils ingéniés à singer ce qu’ils croyaient être la pauvreté langagière des classes populaires ? La publicité elle-même en a fait une règle : des fautes de grammaire volontaires qui miment une forme d’inclusion. Et ce faisant, chacun participe à l’appauvrissement de la langue qui obligera, quelques années plus tard, à adopter un langage encore plus minimaliste pour coller à son public. Même processus dans la littérature pour enfants : les plus jeunes ont du mal avec le passé simple ? Supprimons-le des livres ! Du coup, quelle surprise, ils ne l’emploient plus du tout et n’en comprennent même plus l’usage… ■
Natacha Polony
Directrice de la rédaction de Marianne
J’applaudis des deux mains. Le phénomène est le même pour la musique pour laquelle on étudie de mlins en moins le solfège
Natacha Polony a bien fait le tour de la question (y compris , la mention de l’horrible « celles et ceux » , lancé par le président Macron et qui s’est généralisé -ne pas l’employer serait de la muflerie- , ce même Macron trouvant maintenant des admirateurs pour sa défense de la langue française, comme il en a trouvé pour sa relance de la filière énergétique nucléaire, maintenant pour sa diplomatie arabe . Alors que ce n’est que comédie.
La grammaire n’est plus enseignée, l’Histoire mal enseignée , les grands textes classiques réduits à des extraits, cela commence à faire beaucoup !
Natacha Polony est une personne intelligente et il y a dns son journal des articles qui font echo à beaucoup de ce que nous pensons.
Actuellement parmi ceux qui se targuent d’être nos élites les fautes de grammaire sont désespérantes. La plus courante est la confusion entre infinitif et participe passé ce qu’on voit même sur des affiches. Passe encore le franglais infligé par la mode mais pitié pour les bases de notre propre langue.
La contamination de notre langue est partout ! Avez-vous remarqué qu’on ne dit plus « Un million et demi » mais « Un virgule cinq million », par exemple