Dans le même temps, Hilaire de Crémiers a lu également Un coeur intelligent, de Finkielkraut, et le présente de même, à côté et en face du Mattéi. Cela vaut aux lecteurs de Politique Magazine deux somptueuses pages côte à côte, la 38 et la 39. Somptueuses pour l’esprit, s’entend: Mattéi est à gauche (page 38), Finkielkraut à droite (page 39). Peut-on demander plus à une revue ?
Un régal pour l’esprit, ces deux pages; une « cure d’altitude mentale », pour reprendre l’expression de Proust, et une magnifique invitation à prendre de la hauteur, à monter sur les sommets: c’est toujours vivifiant !…
Propos de Finkielkraut sur Roman Polanski dans le sept dix de France Inter du 9 octobre:
« De l’histoire de Roman Polanski. Souvenons-nous quand même de ce qu’il a vécu! Il est un enfant du ghetto de Cracovie! Sa mère a été déportée et assassinée par les nazis! Il a vécu le cauchemar du communisme! Il a vécu le cauchemar de la tragédie américaine! L’assassinat de Sharon Tate dont il a eu lui-même à répondre auprès d’une presse à scandale qui disait qu’il avait inspiré euh… les assassins avec son film Rosemary’s Baby, il a traversé tout ça! Et tout le monde s’en fiche! Mais dans quel monde vit-on? Cette planète me fait peur. Je le disais au début, je le redis maintenant. »
Soulever une exception d’irresponsabilité de ses propres actes en raison cette tragédie ou même de sa propre expérience fut-elle celle du Ghetto de Cracovie, c’est prendre un risque à voir déconsidérer la mémoire qu’on prétend défendre.
En l’occurrence, je suis assez d’accord avec Thulé.
Les Juifs seraient-ils exemptés de se conformer aux lois de la Cité, au prétexte qu’ils ont souffert l’horreur de la Shoah ? Ils ont assez souvent tendance à le penser aussi bien en tant que personnes privées que collectivement si l’on considère qu’Israël ne reconnaît guère de règles ou de limites à sa politique intérieure et extérieure.
D’autre part, Juif ou non Juif, c’est tout comme : avoir vécu le « cauchemar du communisme » et les drames d’une vie plutôt trouble, ne donne pas davantage de droits particuliers. Penser le contraire obéit à une curieuse logique et, franchement, je ne crois pas qu’Alain Finkielkraut aurait la même position s’il s’agissait de quelqu’un d’autre que de Roman Polanski. On peut d’ailleurs le comprendre. Je pense qu’on ne peut pas l’approuver.
La liberté de création littéraire ou artistique – pourvu que leurs œuvres ressortent vraiment de la dignité de l’Art – doit sans-doute être laissée pleinement aux artistes. Mais, dans l’ordre de leur vie publique ou privée, rien ne les dispense non plus d’obéir aux règles et lois qui s’appliquent aux citoyens ordinaires. Contrairement à l’argument qui – curieusement – est souvent avancé, un artiste n’est pas plus excusable qu’un autre des fautes qu’il a pu commettre, dans le cours de son existence personnelle.
Nous sommes, je le crois, assez souvent d’accord avec Alain Finkielkraut, et sur des sujets de fond, d’une autre importance que l’affaire Polanski, pour pouvoir – de façon très objective – indiquer que, sur ce point particulier, notre position est à l’inverse de la sienne .. Tel est, du moins, mon avis.