Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de novembre, l’annonce de la réédition de son roman Le Génie Rhin, troisième tome de la trilogie « Les bastions de l’est », publié en 1921, qui suit Au service de l’Allemagne (1907) et Colette Baudoche (1909).
Léon Daudet se chargea de la recension du livre pour L’Action française (« À propos du Génie du Rhin, l’action nationale de Maurice Barrès »). Celle-ci, dithyrambique, fut publiée le 18 mai 1921 :
« Je suis en retard pour parler d’un des plus beaux livres de Barrès, et qui vient de paraître : Le Génie du Rhin1. La faute en est aux événements, si pressants, de l’actualité, que commande, précisément, notre politique vis-à-vis de l’Allemagne. C’est une extraordinaire fortune, pour un grand écrivain patriote, que d’avoir écrit naguère Les Bastions de l’Est et de pouvoir, aujourd’hui, professer, à Strasbourg — dans les salles de cette université qui virent Pasteur et Fustel de Coulanges — sur l’esprit légendaire, mystique et social du fleuve chargé d’histoire. Ce bonheur unique, cet honneur qui donne à l’âme le sentiment de l’accomplissement, Barrès l’a mérité par son immense labeur, par l’ampleur de son intelligence — une des plus aiguës qu’aient connues les lettres françaises — par la claire conscience de ses et de nos origines. Ces leçons, si pleines de choses, et d’une haute sérénité, peuvent être, sur un autre plan, rapprochées, du Poème du Rhône du grand Mistral. Elles cherchent et trouvent, dans le cours des eaux, l’image des siècles. Qui donc comparait Chateaubriand à un fleuve qui arracherait sa rive ? Barrès se garde bien d’arracher, en passant, quoi que ce soit. Cet ouvrage a le ton apaisé de la victoire, et les Rhénans puiseront en lui une idée juste de1a raison française, quand elle s’applique à un objet sollicitant toute sa puissance. Livre de conciliation et d’amitié, fait pour servir et pour unir, comme Les Bastions de l’Est étaient faits pour entretenir la flamme sacrée.
Il y a trente ans que je connais Barrès. Nous sommes de la même génération. Nous avons eu, par notre maître commun Burdeau, la même formation philosophique, dont il nous fallut ensuite nous libérer, selon des voies différentes. De son entrée dans la carrière littéraire, l’auteur de Leurs Figures possédait le sens historique, cette vision en développement, qui devaient le conduire, l’expérience aidant, sur les sommets du nationalisme. Mêlé aux polémiques les plus retentissantes des seize années précédant la guerre, il y apporta, avec la connaissance des hommes et de leurs penchants, la préoccupation des problèmes ethniques, posés par le voisinage immédiat des populations germaniques et françaises. Ses origines lorraines, mosellanes, le guidaient dans cette étude intime, où il y avait comme la prévision des événements redoutables qui allaient fondre sur la France et le monde.
Toujours il avait aimé, admiré, fréquenté Gœthe, Allemand de type génial et rare, pétri de culture antique, nourri de littérature française et, qui se reproche, en un coin de ses Entretiens avec Eckemann, d’avoir gaspillé à la table des Grecs son héritage d’ « enfant du Nord ». C’est, en effet, la signification profonde du second Faust. Nous retrouvons, dans le Génie du Rhin, la silhouette du poète et penseur de Weimar, dégagée des interprétations impures accumulées autour par la lourde critique prussifiée, de la fin du dix-neuvième siècle. Il y a dans l’œuvre de Gœthe, à force de compréhension, une puissance pacificatrice, et Barrès a toujours pensé qu’il n’était pas trop tard pour en extraire les calmantes alcaloïdes. Car celui qu’on représente, dans les feuilles de l’Anti-France, comme un belliciste, ressent profondément les horreurs de la guerre et cherche comment panser ses plaies affreuses. Cet humaniste est un humain.
Après une trentaine de pages délicieuses consacrées au sentiment du Rhin, notamment à ce qu’en a écrit Hugo, l’auteur étudie la vie légendaire du Rhin, sa vie charitable et religieuse, et enfin sa vie sociale. Je ne déflorerai, par aucune desséchante analyse, le profond plaisir que vous aurez à entendre cette voix persuasive, à suivre les majestueux méandres de cette pensée, chargée de sensible et demeurant claire. Comment et par quels chemins la civilisation, gallo-romaine et française s’est infiltrée chez cette population, que son fleuve commande ; quelles alliances elle y a contractées ; comment cette harmonie, mal étouffée depuis 1870-71, pourra revivre, à quelles conditions, c’est le noble thème de cet ouvrage de forme originale et de haute portée. Les accents passionnés, souverains, de la Colline inspirée, se sont mués ici en une sorte de sonate beethovénienne, où la sagesse tourne et brille doucement dans la lumière, dans le parfum des vertus chrétiennes, dans une sorte de renoncement personnel. Certains passages ont presque le ton, l’allure gravé de l’oraison, ou au moins de la méditation mystique. Mais Barrès a toujours aimé et étudié les mystiques, de même qu’il a toujours été hanté, par Jeanne d’Arc. Encore cette fois, dans sa conclusion, i1 fait intervenir la Sainte de Domrémy, comme l’arc-en-ciel après l’épouvantable orage et la pluie de sang. Il semble réclamer son intercession pour la fusion, intellectuelle et morale, rhénano-française, qui est dans ses vœux.
Chacun sait que les leçons de Barrès à l’université de Strasbourg ont eu un profond retentissement, Quelle émotion ce dut être, pour le docteur Bucher — dont nous ne pleurerons jamais assez l’immense perte — que d’entendre là ces paroles de son ami ! Je n’oublierai jamais en quels termes Bucher me parlait de Barrés et de son influence sur la jeune génération d’Alsaciens et de Lorrains. La vie est le plus dur et le plus impétueux des fleuves. Elle emporte et sépare et broie les nageurs les plus intrépides, qui remontaient le courant fraternellement et côte à côte. Et quel courant ! Ceux qui n’ont pas connu Strasbourg sous la domination allemande, cette sorte d’étouffement lent de l’air et des âmes, ne peuvent se représenter l’héroïque courage qu’il y avait à tenir à, bout de bras la chape de plomb, à ne jamais désespérer de l’avenir.
Le livre de Barrès est bienfaisant. Il rendra de grands services réciproques aux Français établis en Rhénanie et aux Rhénans. Il faut le propager, le répandre. Il doit servir de point de départ à une littérature et à une politique de rapprochement, de compénétration. Les soldats ont gagné la guerre. Les détenteurs des biens de l’esprit, les religieux, les poètes, les savants, les penseurs français ont devant eux, dans ces pays encore frémissants, une tâche pacifiante d’une réelle beauté. Le Génie du Rhin leur montre la route. Je laisse, en terminant, la parole à son illustre auteur : »Joignons nos efforts à l’éternel apostolat civilisateur de l’Occident sur le Rhin. Chacun pourra choisir son heure. La fatalité du contact et du voisinage amènera bien des rapports à se nouer, et leur fréquence éveillera, en chacun de nous une conscience. Chaque jour plus claire, de la nouvelle tâche sur le Rhin. Ce ne sera pas seulement un concours de faits, résultant de l’orientation des vallées, et du passage des lignes de chemins de fer, mais une volonté raisonnée de servir la cause française ». »
Léon Daudet, Député de Paris
1Librairie Plon.
Nombre de pages : 152.
Prix (frais de port inclus) : 21 €.
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