Par Philippe Mesnard.
L’autre jour, le 21 novembre, Emmanuel a lancé ETIncelles, son programme pour créer 500 Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). C’est un « cap ambitieux ».
Cent entreprises ont été sélectionnées, sur tout le territoire. Le principe est assez simple : chaque chef d’entreprise a le contact d’un interlocuteur unique qui va lui faciliter la vie avec l’administration, dont Bruno Le Maire a bien compris qu’elle emmerdait, pour le citer précisément, les chefs d’entreprise, ainsi qu’il l’a déclaré lors des Rencontres de la simplification, lancées le 16 novembre.
Je ne voudrais pas paraître exagérément critique (c’est un reproche qu’on m’adresse parfois), mais entre Bruno qui cause popu pour se faire comprendre des patrons de PME et Emmanuel qui réinvente le copinage des anciens de l’ENA, habitués à résoudre les problèmes en passant un coup de fil qui permet d’échapper aux procédures et aux délais imposés au commun des mortels, on a touché le fond. Il faut bien considérer que l’État a fait le constat que les lois qu’il impose sont hérissées de difficultés, que son administration ne fait rien pour simplifier la vie des usagers, que les dispositifs d’aide mis en place sont si complexes que les gens préfèrent ne pas y avoir recours. Et que propose-t-il, cet état lucide, républicain et égalitaire ? D’aider cent chefs d’entreprise soigneusement choisis qui, eux, bénéficieront d’un passe-droit légitime et d’un facilitateur rompu aux arcanes administratives. Les autres, quelques milliers de chefs d’entreprise, quelques millions de citoyens, pourront continuer à ramer, perdus entre des numéros verts qui sonnent dans le vide, des administrations aux horaires impossibles et des écrans labyrinthiques.
Ajoutons à ce constat irrité deux choses : primo, « ETIncelles » prolonge le programme « Stratégie nation ETI » lancé en 2020, qui lui-même appartenait au programme « France Relance », le tintamarre salue des initiatives déjà lancées, on croirait un agent immobilier en train de rafraîchir les peintures pour amadouer le futur acheteur ; secundo, on parle de simplification depuis 2012. Les fonctionnaires se félicitent des progrès accomplis. Si évidents et palpables qu’on lance ETIncelles pour court-circuiter tout le monde et s’assurer que cent entreprises, avec un peu de chance, pourront réellement échapper aux griffes de quelques milliers de fonctionnaires.
Les freinch starteupes ?
ETIncelles, c’est ça. Ça va fuser ! Ça va briller ! « La France est un pays de grandes entreprises rayonnant dans le monde entier, comme une Nation de start-up innovantes portées notamment par la French Tech », dit Emmanuel en allumant son petit cierge magique et en oubliant de préciser qu’il n’y a pas une seule entreprise française dans les géants mondiaux de la « Tech », comme on dit. Il y a dix ans, Fleur Pellerin lançait la French Tech. Macron récupérait le truc et affirmait vouloir 25 licornes en 2025, ces jeunes pousses (starteupes) valorisées un milliard de dollars sans être introduites en Bourse. La France en compte 30. Et alors ? Alors, Deezer a été introduite en Bourse en 2022 et son cours, depuis, a été divisé par deux. Emmanuel veut du chiffre qui brille mais c’est du plaqué. On ne sait pas si ces licornes sont rentables (en fait les starteupes de la franchethèque sont en grandes difficultés financières), et elles emploient très peu de salariés. C’est ça qui a énervé Emmanuel, le chômage ne baisse plus, il remonte, il veut que les entreprises créent des emplois pour améliorer son bilan à lui.
Alors il replâtre France Relance et envoie Bruno parler d’emmerdements. Il lance des initiatives d’ampleur. Il distribue les subsides. Il mobilise « un réseau de 45 correspondants ETIncelles dans les organismes publics et les principales administrations ». 45 fonctionnaires au service de l’emploi… On va galoper vite et loin, c’est sûr. On a la pénible impression de revivre le coup du Tonnerre, envoyé à Gaza pour aider la population et capable en fait de n’accueillir que quatre patients. Ou du Sommet sur les pôles, ô combien nécessaire, conclu le 10 novembre par Macron, qui posait un milliard sur la table pour financer deux initiatives d’ampleur – déjà lancées sans lui – et la construction du premier navire à capacité glace de la Flotte océanographique française, le Michel Rocard… Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’a annoncé à nouveau à Brest, le 24 novembre : sait-on jamais, en annonçant plusieurs fois dans des villes différentes les mêmes financements pour les mêmes objets, peut-être de l’argent va-t-il se créer spontanément ?
« Étincelles sur les pôles », « Tonnerre à Gaza », « Mistigri à Saint-Denis », le quinquennat de Macron ressemble à une mauvaise série à sensation qui aligne les titres vulgaires pour appâter le citoyen. Ça se vend mal. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine.