Par Philippe Mesnard.
Je m’apprêtais à balancer un éditorial habilement composé de tristesse, de fiel et d’emportements, en parts égales, saisi à feu vif sur les fourneaux de l’actualité mondiale et locale, dérisoire et fondamentale.
Entre bénédiction des homosexuels, immigration galopante, totalitarisme rampant et guerre menaçante, il y avait de quoi dire. Avec du témoignage irréfutable, des chiffres précis, tirés de l’Insee et de l’Ined, de la statistique de compétition ! François, Ursula et Emmanuel précipitent l’Église, l’Union européenne et la France dans les aventures les plus hasardeuses – en fait, non, dans les aventures les mieux balisées, qu’il s’agisse des fins qu’ils poursuivent ou des termes qu’ils vont atteindre.
Réjouissons-nous
Et puis flûte. Il y a des motifs de réjouissance. Par exemple, les handballeuses françaises sont championnes du monde. Non, en fait, on s’en fiche. Ou alors, « le Parlement adopte la prolongation des titres-restaurant pour les courses alimentaires jusqu’à fin 2024. Le dispositif, censé s’éteindre au 31 décembre 2023, permet à quelque 5,4 millions de salariés en France d’utiliser leurs “tickets resto” pour acheter des produits non directement consommables. » Oui, bon, je me rends compte que cette nouvelle n’est pas propre à porter tout l’espoir d’une France restaurée dans sa souveraineté et de Français réinstallés dans la tranquillité de leurs jours, qui est ce bien commun que vise le prince chrétien. Mais quand même.
Il y a mieux, cela dit. Une filiale française d’ArianeGroup, MaiaSpace, met au point un mini-lanceur réutilisable… en réutilisant tous les concepts de SpaceX. Voilà qu’on avance sur la voie d’une petite indépendance, en ne visant pas un projet grandiose que l’UE, aux ordres des États-Unis et dirigée par les Allemands, torpillerait avec enthousiasme, mais en faisant du « français », c’est-à-dire un bricolage intelligent exécuté par des artisans passionnés, avec ténacité, et peut-être même discrètement aidés par une administration qui sait être patriote quand le pouvoir détourne son regard.
La France résiste
Mieux encore, la France se décide à réexploiter son sous-sol : lithium à Montebras, tungstène à Montbelleux, cobalt à Larfeuille, hydrogène pyrénéen, on se recentre sur notre sol, on fait moins confiance au marché, on est prêt à affronter les écologistes idiots utiles de la mondialisation financière. En fait, on sent partout frémir l’invention et l’envie, les capacités d’entreprendre et la volonté de développer des filières françaises. Tout le monde a envie d’acheter français, cela reste encore trop cher pour la plupart, mais la direction est montrée, le pli va être pris, on sent que les Français vont bientôt additionner deux et deux et se rendre compte qu’il leur appartient de mieux manger, mieux travailler, mieux gagner leur vie, mieux vivre ensemble – au sens le plus plat et concret de la chose, c’est-à-dire en retrouvant le sens du prochain, de l’immédiat, du voisin. Imaginez-vous que Circul’Egg recycle les coquilles d’œufs (on casse un nombre prodigieux d’œufs chaque jour, en France, dans des casseries d’œufs) pour en tirer du carbonate de calcium biosourcé et une poudre, issue de la membrane, riche en collagène : « on peut adresser à la fois l’industrie des biomatériaux, à la recherche de minéraux décarbonés, comme les fabricants de peinture, mais aussi celle de la cosmétique par exemple. Dans ces secteurs, les fabricants cherchent notamment à substituer le collagène venu d’Asie ou d’Amérique du Sud par des approvisionnements locaux », nous dit Yacine Kabeche, le fondateur de Circul’Egg, diplômé d’AgroParisTech. La France est un creuset, nous disait Bainville : elle est encore capable d’accueillir, fondre et forger des gens comme Yacine.
Vous pourriez considérer que tous ces frémissements sont bien ténus, qu’il manque de Yacines pour équilibrer tous les Nahels, et que Circul’Egg ne va pas miraculeusement ressusciter les millions d’emplois industriels détruits ces dernières décennies. Mais enfin, pourquoi ne pas regarder avec la même attention fascinée ce qui renaît plutôt que ce qui se meurt, ce qui fleurit plutôt que ce qui se fane ? Rassurez-vous, si j’ose dire, ce numéro de Politique magazine abonde en articles lucides sur l’état de la France, et il y a toutes les raisons du monde de s’inquiéter. Mais aussi toutes celles d’espérer, non seulement surnaturellement, car « l’ouvrage des méchants demeure périssable », mais aussi humainement, car si ce président – et sa clique – et ce Pape – et son entourage – nous paraissent agir brutalement, c’est qu’ils sont sans doute, eux, désespérés de voir que le peuple de France et le peuple de Dieu leur résistent. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine.