LE FIGARO. – Le début de la 60e édition du Salon de l’agriculture a été marqué par l’annulation du débat prévu entre Emmanuel Macron et les acteurs du monde agricole. De quoi ce couac est-il le symbole ?
Arnaud BENEDETTI. – Le président touche aux limites du «grand remplacement» de la politique par la communication. Le monde paysan est celui qui, depuis plusieurs décennies, a été le plus exposé à la politique de l’adaptabilité que l’Europe d’un côté et la globalisation de l’autre veulent imposer à de nombreux secteurs économiques. Emmanuel Macron parle d’adaptation, eux la vivent et c’est déjà là une distinction fondamentale. Le hiatus est existentiel et les artifices d’une com’ qui n’a d’autre objectif que de mettre en avant la parole présidentielle n’ont aucune chance de les convaincre. Mais au Salon, comme souvent lorsqu’il est dans une situation impossible, Emmanuel Macron a voulu sauver la face.
Son idée, qu’il démentira par la suite, d’organiser un grand débat entre agriculteurs avec des organisations de défense de l’environnement dont les plus radicales comme les Soulèvements de la Terre en dit long sur sa psyché. Le chef de l’État ne part pas du réel mais de ses anticipations tactiques du moment, pensant ainsi pouvoir jouer avec les uns et les autres, les uns contre les autres aussi, et se mettre ainsi en scène comme celui qui arbitrera les contradictions pour mieux les dépasser. Il s’est donc essayé à cet exercice mais cette fois-ci, il est tombé sur une profession, mieux encore une culture, qui est confrontée dans son quotidien à la dureté d’un métier, aux aléas des cycles de la nature qui eux sont inexorables et bien tangibles, aux injonctions contradictoires insupportables enjoignant à produire mais en durcissant toujours plus les conditions de cette production. Le «monde imaginaire» du macronisme n’a aucune prise sur le monde bien réel du paysan. Et c’est pour cela que malgré sa persistance à penser que sa communication peut tout anesthésier, il se heurte ici à un obstacle infranchissable. Cette crise paysanne cristallise au-delà du seul monde paysan tout ce qui est antithétique au macronisme.
Après le mouvement des «gilets jaunes», le président de la République avait organisé un «grand débat». Après la colère des agriculteurs, il a voulu organiser à nouveau un débat. Les tables rondes peuvent-elles permettre de mettre fin à une crise ou de clore une séquence politique ?
Il y a une dimension profondément factice dans le macronisme. C’est ce qui pose problème au demeurant et qui risque le moment venu de se payer au prix fort. Il existe des institutions, il existe des procédures, il existe des corps intermédiaires dans une démocratie. Emmanuel Macron affaiblit tout cela par sa pratique. Connaissez-vous beaucoup de présidents sous la Ve République qui aient souhaité qu’une loi dont ils sont à l’origine soit censurée par le Conseil constitutionnel ? C’est pourtant ce à quoi s’est prêté l’actuel chef de l’État, montrant ainsi une désinvolture sans précédent avec l’usage institutionnel. De même lorsqu’il annonce, depuis un an sans avoir de majorité à l’Assemblée nationale, des initiatives comme les «cent jours», les rencontres de Saint-Denis, «le grand rendez-vous avec les Français», tout est fait en usant d’artefacts communicants pour contourner la seule matrice démocratique dont le Président devrait se soucier dans une démocratie, à savoir la souveraineté populaire, qu’il s’efforce en permanence de tenir à distance et de contourner.
Enfin, les corps intermédiaires, (élus locaux ou nationaux, syndicats, etc.) sont à ses yeux des contre-pouvoirs, ce qui dans son logiciel signifie des adversaires et non pas des partenaires. Il recentralise, il passe outre le paritarisme, il asphyxie la démocratie locale, sociale et maintenant représentative. À mesure qu’il exacerbe les clivages et les tensions, par une immodestie même pas dissimulée, la poutre de la rupture travaille toujours un peu plus. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée sa visite chaotique au Salon de l’agriculture en sont l’illustration. Face à la colère des agriculteurs, il a répondu par des images à destination des télévisions, se mettant en scène pour la énième fois, délivrant ses éléments de langage, non pas pour accélérer l’action publique, non pas pour en inverser le cours, mais encore une fois pour gagner du temps et pour que quelques influenceurs médiatiques dressent de lui le portait d’un homme qui va au contact, qui a réponse à tout, qui maîtrise ses dossiers… Macron ambiance les médias, mais il ne résout pas, loin s’en faut, les problèmes, quand bien même ouvre-t-il la voie à quelques mesures pouvant satisfaire certaines des revendications, notamment en matière de trésorerie. Pour autant, le hors-champ médiatique du Salon de l’agriculture n’a correspondu en rien à la représentation officielle que le président a voulu en donner. La cassure avec le monde rural est désormais consommée.
«Gilets jaunes», Convention citoyenne sur le climat, «grand débat» avec les syndicats agricoles… Ces nouvelles formes de consultation peuvent-elles renforcer le lien démocratique ? Ou contribuent-elles au contraire, en mettant en cause le rôle représentatif du Parlement, à affaiblir encore un peu plus nos institutions ?
Emmanuel Macron a une cohérence qui subvertit les institutions de la République. Cette cohérence c’est le projet européen dans son enveloppe bruxelloise, qui lui-même est un levier au service de la globalisation. D’où sa réticence permanente à en revenir à la consultation souveraine du peuple. À mesure que la réalité défait la doctrine du macronisme sur la plupart des sujets, du régalien à l’économique en passant par l’Europe, le macronisme se durcit dans sa pratique du pouvoir, tout en s’efforçant de trianguler sur le plan sémantique. Il récupère les mots sans les remèdes. Ce n’est là qu’un travestissement idéologique pour protéger le seul horizon euro-mondialiste dans lequel s’insère le projet présidentiel. Le Parlement étant ce qu’il est depuis 2022, c’est-à-dire le réceptacle d’une France qui ne correspond pas forcément à la France idéale d’Emmanuel Macron, ce dernier a usé dans un premier temps de tous les outils qui lui sont offerts par la Ve République pour contraindre la représentation nationale.
Les gouvernements Borne ont correspondu à cette phase d’une utilisation à répétition de la mitraille du 49.3. Avec le nouveau premier ministre, Gabriel Attal, nous entrons dans une autre phase, parce qu’au fur et à mesure que nous avancerons dans le quinquennat les foyers de risques sociaux vont se multiplier et rendre plus incertaine encore la marge de manœuvre du camp présidentiel et du Parlement. Gabriel Attal a déjà annoncé dans son discours de politique générale que d’ici juin peu de textes seront déposés. Mais après ? Il est extrêmement difficile dans un régime parlementaire, y compris dans celui de la Ve République, de gouverner sans le Parlement mais la situation parlementaire de l’exécutif est telle que la menace d’une motion de censure n’a jamais été aussi forte. C’est pour éviter celle-ci que le gouvernement n’a pas voulu présenter de collectif budgétaire à la suite des annonces de Bruno Le Maire sur les dix milliards d’économie. Un Emmanuel Macron prenant le risque de dissoudre, c’est un Emmanuel Macron qui pourrait être le premier président de la République sous la Ve à se retrouver avec une Assemblée nationale sans majorité. Ce blocage institutionnel lui serait évidemment imputé avec les conséquences que l’on imagine… D’où le très lourd problème parlementaire auquel il est confronté et sa volonté implicite de limiter dans l’immédiat l’exposition de son gouvernement à la réalité indocile de l’hémicycle. Toute la question est de savoir comment tenir pendant trois années dans un tel contexte politique et social.
Emmanuel Macron, depuis qu’il est élu, n’a pas organisé de référendum à l’échelle nationale. Cet outil serait-il plus adapté ?
Force est de constater qu’il n’est pas le seul. Tout a commencé avec Nicolas Sarkozy, lequel a effacé en faisant voter le Traité de Lisbonne les résultats du référendum de 2005. Le vol de la souveraineté populaire vient de là. Pour qu’un référendum confère vraiment une respiration démocratique en ces temps d’asphyxie, faut-il encore que la question posée soit jugée essentielle pour les citoyens. Emmanuel Macron avait a minima deux sujets sur lesquels solliciter nos compatriotes. Durant la réforme des retraites, une majorité d’entre eux souhaitait être interrogée sur cet enjeu. L’exécutif n’a jamais envisagé cette hypothèse, de même qu’il a fermé la porte sur une modification constitutionnelle permettant de consulter le peuple sur le sujet, ô combien existentiel, de l’immigration au grand soulagement, faut-il le rappeler, de la gauche…
La constitution de la Ve République avait vocation pour son initiateur de garantir dans les moments de grande décision ou de crise grave la primauté de la souveraineté populaire. Pour le Général de Gaulle, tout procédait de ce ressourcement à tout moment possible. Or la pratique institutionnelle depuis maintenant plusieurs années est de tordre cet esprit. Entre le 49.3 et l’article 11, Emmanuel Macron a choisi le premier contre le second et quand il ne pourra même plus s’abriter derrière le premier, il produira un récit dont le but sera de susciter l’impression d’un ersatz d’innovation politique. Cela a été le cas avec les conférences citoyennes sans aucune légitimité, mais aussi avec d’autres formes encore plus vides de substances comme «les cent jours» juste après l’adoption du texte sur les retraites, le Conseil national de la refondation perdu dans les sables mouvants de 2023, les rencontres de Saint-Denis apparemment aussi vaines que le précédent, et le «grand rendez-vous avec les Français» dont l’annonce emphatique a abouti à… une conférence de presse ! La seule réponse qui à ce stade pourrait avoir encore un sens fort serait une dissolution mais le président au prisme de ses intérêts personnels ne veut certainement pas s’y résoudre, le coût de celle-ci lui apparaissant sans doute trop élevé. Cette perspective n’augure rien de positif si ce n’est une aggravation de la crise politique dans laquelle le pays s’enfonce. En coupant toutes les voies de recours au peuple, le président de la République signe la réalité de son projet politique : une démocratie où le peuple est cantonné à un rôle de spectateur. C’est l’acmé de la politique théâtrocratique au service d’une théologie européiste. ■
Communiquez , communiquez, il en restera toujours quelque chose! La viduité de la parole non suivi d’actes! C’est parce que les institutions de la « République » ne fonctionnent plus, ayant trouvé leurs limites, que Macron essaie de les contourner ou de les pervertir un peu plus par ses affidés, Conseil dit constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour des comptes. C’est parce qu’il ne peux circonvenir le Parlement qui redevient la pétaudière qu’il fut jusqu’à 1958, qu’il lance des instances sans pouvoir et sans légitimité pour justifier des décisions arbitraires, déconnectées de la réalité. Pourquoi ne pas avoir annoncé aux paysans que les produits ne respectant pas nos normes n’entreront plus en France comme ils le demandent? Parce que l’Europe lui interdira, la messe est dite.
Pourquoi dire qu’Alain Minc est un “grand” patron de presse ? Cela ne correspond à aucune réalité, dans les faits comme dans les idées, et ne peut que nourrir un orgueil déjà immense.
Georges Montaron, directeur de Témoignage Chrétiené, lors d’une conférence à laquelle j’assistais, en 1968, dénonçait déjà ce phénomène : « le journalisme, c’est la poursuite de la vérité, mais la communication c’est le mensonge « . Ce qu’il critiquait ainsi c’est l’usurpation, le travestissement (heureux choix de M. Planchon), le dépouillement délibéré, prémédité, de la noble notion de communication par les camelots de l’industrie de la réclame, dans le dessein d’ennoblir leur profession. Quelques temps auparavant, les mêmes s’étaient, dans le même but, approprié le terme, tout aussi noble, mais dans un autre sens, de « publicité ». Et nous laissons se commettre ces impostures. Je me souviens avoir prédit dans ces pages qu’ils s’empareraient un jour du mot culture (cf. « Culture pub », à la télévision). Le mensonge fait roi.
la France, plus que d’autres, est malade d’un appauvrissement et d’une usurpation du vocabulaire qui vont clairement de pair avec la soumission au veau d’or, au fric. Nos élites, nos commerçants, nos journalistes, nos universités, nos « scientifiques », nos étudiants, se figent peu à peu dans la fascination d’une Amérique qu’ils ne connaissent pas, l’imitant très mal, en général dans ce qu’elle a de plus vulgaire. Sans aller plus loin, je fais remarquer que l’Amérique, elle, laisse aux culture, communication, publicité, leur sens noble, bien distincts de l' »advertising » et des « commercials ». Et ceux qui s’interessent à la vie intellectuelle du monde anglo-saxon savent la passion qui enrichit chaque jour son vocabulaire. Quel contraste avec les minables singeries de nos « managers » et de nos « masters » !
Il me semble que la France (exceptons la France des mathématiciens et des ingénieurs) soit intoxiquée par une « science économique » d’autant plus encombrante et paralysante pour ses petits cerveaux que cette science n’en est pas une et qu’ils n’en comprennent pas bien la réalité, ni la place dans la réflexion générale. Les nombres, la grosseur du panier (du très-saint « caddy », plutôt !) en guise d’étoile, c’est le prétendu « saint-simonisme » de Macron et de générations d’énarques.