Par Mathieu Bock-Côté.
COMMENTAIRE – Mathieu Bock-Côté développe dans sa chronique du Figaro de ce matin une analyse de l’idéologie et de la praxis européiste, impeccable et sur laquelle il n’y a guère à critiquer ou ajouter, nous semble-t-il. De Gaulle disait drôlement qu’on ne fait pas une omelette avec des œufs durs, c’est à dire avec des peuples, des nations, des États constitués depuis des siècles. Avait-il tort ? Comme Maurras, comme nous, il constatait la persévérance de ces derniers dans leur être profond, sous les apparences et les artifices de la prétendue construction européenne. Comme la Russie « éternelle » avait survécu, puis ressurgi, des carcans idéologiques soviéto-bolcheviques. Comme eux, promus, imposés, maintenus longtemps (70 ans) par une nomenklatura tyrannique, ambitieuse, féroce et finalement dépassée, débordée, disparue. Il y a aujourd’hui, si l’on y regarde bien, de nombreuses forces réelles, au sens maurrassien, des forces montantes en et hors Europe, qui s’opposent, consciemment ou nom, à la dictature en cours d’établissement sur l’Occident européen. La feront-elles éclater ? Il n’est pas interdit de l’espérer et de tenter d’y jouer un rôle.
CHRONIQUE – Candidate à sa propre succession à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen pourrait poursuivre son projet de faire de l’UE l’horizon indépassable de l’action politique.
Ursula von der Leyen veut donc exercer un nouveau mandat à la présidence de l’Union européenne, alors que plusieurs annoncent en juin une vague électorale eurosceptique. Le personnage est énigmatique. Longtemps, on a peiné à mettre un visage sur l’Europe. Certes, Jacques Delors et Jean-Claude Juncker avaient laissé leur marque : ils passaient néanmoins ,et avec raison, pour des technocrates bien davantage que pour des politiques. Il n’en est pas de même pour von der Leyen, qui semble se voir comme la première présidente de l’Europe.
Sa méthode va au-delà de l’activisme médiatique : il s’agit de s’emparer de chaque crise, et elles s’accumulent, pour renforcer le pouvoir de la Commission, qui semble vouloir se constituer, avec la complicité active de certains dirigeants européens, à la manière d’un véritable gouvernement européen. Du Covid à la guerre en Ukraine, elle a voulu s’imposer comme le visage de l’Europe, qui avait désormais, grâce à elle, un numéro de téléphone. C’est toujours au niveau européen que les grands problèmes sont censés se résoudre, ou du moins, qu’il faudrait les affronter.
Le principe même de l’UE, telle qu’elle l’interprète, est de toujours s’approfondir – c’est-à-dire toujours se centraliser. Les nations ne sont pas appelées à disparaître formellement, mais à se désubstantialiser. Elle l’avait dit comme tel dans sa préface à la nouvelle édition des Mémoires de Jean Monnet, en parlant des fonds levés par l’UE sur le marché des capitaux : « Ces ressources sont utilisées sur la base d’un nouveau concept : les plans nationaux transposent les priorités européennes communes en investissements et en réformes au niveau local. » Elle y voyait « une nouvelle étape vers l’intégration européenne ».
Autrement dit, c’est à Bruxelles que doivent désormais se fixer les grandes orientations des pays qui composent l’UE : ceux-ci auront alors simplement comme mission de les appliquer le mieux possible. Ils sont réduits au domaine de l’intendance. Cette mécanique a pour vocation de rendre irréversible chaque nouvelle étape de l’intégration européenne. Les États s’habituent aux transfusions financières : c’est ce qu’on pourrait appeler un système de domestication des peuples. Il y a toutefois quelque chose d’étonnant à voir des pays qui donnent davantage à l’Europe qu’ils n’en reçoivent croire qu’ils seraient quand même incapables de survivre sans elle.
L’UE devient l’horizon indépassable de l’action politique, et qui entend sortir du chemin qu’elle trace, même dans le cadre d’une élection, sera remis à l’ordre. On ne peut pas ne pas se souvenir de la déclaration de von der Leyen, au moment des élections italiennes de 2022, en expliquant qu’elle avait les moyens de ramener à l’ordre l’Italie, si la situation « tournait mal ».
Le concept de « tourner mal » avait la vertu de la clarté : si un peuple vote mal, par exemple en choisissant un parti souverainiste plutôt qu’européiste, il sera permis de le sanctionner. Ses menaces ont porté leurs fruits, manifestement.
La Commission européenne se présente comme une véritable nomenklatura, mais aussi comme un Politburo de l’Europe en construction. Certaines figures s’y distinguent, comme Ylva Johansson, la commissaire aux Affaires intérieures, une ancienne du Parti communiste suédois pour qui l’immigration n’est pas un problème mais un projet. Elle s’affaire conséquemment à rendre possible le basculement démographique de l’Afrique à l’Europe, sans laquelle cette dernière serait apparemment condamnée à l’effacement. On y verra un étonnant renversement de perspective. Il n’est sans doute pas étranger à son ouverture aux revendications islamistes au cœur de l’UE. L’européisme semble indissociable du multiculturalisme.
Mais que faire des détracteurs ? Thierry Breton, avec son règlement des services numériques européens, a soufflé la réponse il y a quelque temps en voulant intégrer comme critère de sanction contre les réseaux sociaux les « contenus qui appellent à la révolte ». Tôt ou tard, l’opposition à l’immigration massive sera interprétée comme un appel à la révolte, d’ailleurs, et il en sera de même avec l’opposition à l’Union européenne, qui en amène plusieurs aujourd’hui à plaider pour un Bruxit, ou pour une sortie de l’UE tout court. Peut-être en ira-t-il de même des agriculteurs en révolte.
Il faut bien en convenir, l’UE s’est transformée au fil du temps en technostructure continentale, prétendant réglementer tous les domaines de l’existence. C’est une expérimentation idéologique à grande échelle qui s’y déroule. Elle se veut guidée par la raison pure et le sens de l’histoire. La Commission européenne prétend piloter l’UE à travers un système de gouvernance perfectionné délivré des humeurs électorales des uns et des autres. On y verra surtout, pour cela, un système impérial et postdémocratique qui ne dit pas son nom. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
« Il y a toutefois quelque chose d’étonnant à voir des pays qui donnent davantage à l’Europe qu’ils n’en reçoivent croire qu’ils seraient quand même incapables de survivre sans elle. »
C’est le syndrome de Stockholm ! C’est un exemple de l’emprise exercée par certains prestidigitalistes sur des tendrons; avec parfois, par intérêt personnel, la complicité des leurs parents ou garants!