Par Hilaire de Crémiers.
Que reste-t-il de la noblesse aujourd’hui ? Notre ami le professeur Éric Mension-Rigau se passionne pour cette question depuis de longues années, avec toute la science requise.
Sa bibliographie est remplie d’études pertinentes, aussi particulières – sur telle famille – que générales. Là, il s’est livré à une enquête auprès d’un certain nombre de descendants de familles aristocratiques, connues pour leur forte implication dans le monde des affaires et, de manière élargie, dans les élites qui comptent dans la société moderne. Inutile de donner les noms ; ils sont connus.
Il en ressort une puissante synthèse où tous les aspects sont successivement abordés. De telle sorte que cette enquête revêt un caractère magistral, du même ordre que celles menées par un Jérôme Fourquet ou un Christophe Guilluy dans d’autres domaines différents mais quand même un peu similaires. Cependant l’intérêt propre de cette étude si singulière, c’est qu’à la différence des autres, qui analysent des ruptures, des déchirements, elle insiste, elle, au contraire, sur une permanence, fût-ce au milieu des perturbations politiques, économiques, sociales, et en tenant compte, bien sûr, des adaptations nécessaires. Il ne s’agit pas de remonter les Champs-Élysées en armure de chevalier. Et cette permanence, si manifeste pour tout esprit perspicace, est plaisante, au-delà même des clivages obsessionnels que la Révolution et la République ont créés et ne cessent d’entretenir.
L’éducation s’y montre maîtresse de vie, la politesse – une sorte de politesse non-dite qui englobe tous les aspects de la vie, qui se vit, se transmet plus qu’elle ne s’édicte et ne s’enseigne –, un art de vivre où l’ostentation, sauf exception, n’est pas de mise, un rapport à l’argent qui se sent libre des contraintes habituelles, une manière de créer des liens, de diriger, voire d’obéir en faisant valoir ses principes jusqu’à la rupture s’il le faut, les procédés d’honnête homme – le sens de l’honneur – dans les situations les plus difficiles, voire les plus cocasses. Tout y est, tout est dit avec franchise et lucidité. Impossible de résumer un tel travail. Nos lecteurs liront avec le plus vif intérêt cet ouvrage écrit dans une langue parfaite et qui montre que la noblesse française a su garder socialement, malgré son effacement quantitatif, un solide patrimoine – fondamentalement immatériel – de qualités qu’on pourrait qualifier d’innées, à la condition de savoir les cultiver. Toutes les sociétés ont leur aristocratie : la ploutocratie et l’oligarchie mondialisées n’ont pas donné au vieux pays ce que l’ancienne société française a su donner et donne encore, en toutes ses composantes, car – disons-le – la bourgeoisie et le peuple quand ils ne sont pas déformés par l’idéologie dominante, n’aspirent qu’à fusionner dans ce style incomparable du gentilhomme français d’autrefois, qui rayonnait sur toute Europe. ■
Éric Mension-Rigau, Rester noble dans le monde des affaires. De l’utilité des anciennes élites, Passés/Composés ; 285 p. ; 22 €