On se reportera si on ne l’a pas lue à notre présentation de cette suite : À paraître : Dialogue de JSF mensuel avec Philippe Ariès en 1984 … Suivi des réflexions de Pierre Debray.
Lorsque nous avons publié cet entretien dans le Je Suis Français d’août 1984, nous l’avions accompagné du chapeau suivant :
Il y aurait beaucoup à dire sur cet entretien avec Philippe Ariès. Il nous l’avait accordé quelques temps avant sa mort. Puis de trop nombreux points de désaccord nous avaient conduits à ne pas le publier.
Mais après tout, nos lecteurs sauront le lire d’un œil, non certes hostile, mais critique et maintenant qu’Ariès nous a quittés, il est bon, il est intéressant que nous distinguions en lui, par-delà les bien réelles divergences, les fidélités essentielles.
PAR PIERRE BUILLY.
Pierre Builly. Vous n’avez jamais caché votre adhésion au maurrassisme ; vous avez collaboré à. l’Action française, mais aussi, après la guerre, à l’école qui s’y est rattachée : un peu à Aspects de la France, beaucoup à la Nation française. Mais peut-on dire encore aujourd’hui que vous êtes maurrassien ? Que vous êtes royaliste ?- Ces deux termes sont-ils, d’ailleurs, différents, pour vous ?
Philippe Ariès. L’important pour moi est d’être royaliste ; dire que je suis encore maurrassien est plus difficile. Je le suis dans la mesure où je garde une gratitude immense à Maurras pour m’avoir formé pendant ma jeunesse, mais je ne suis plus maurrassien au sens politique actuel du terme. Je ne fais pas de politique : toute mon œuvre d’historien s’est faite en réaction contre la politique.
Ce qui reste très maurrassien, en un sens !
Bien sûr ! D’autre part, je pense qu’il y a de très grandes différences entre l’œuvre de Maurras et la situation socio-politique actuelle, essentiellement parce que Maurras – comme mes parents, comme toute la génération précédant la mienne – était absolument persuadé que c’était le phénomène politique qui importait, et que si l’on avait un bon gouvernement, et de bonnes institutions, on aurait une bonne société. Je ne le crois pas du tout, et même je suis de plus en plus frappé par la divergence entre l’Etat et la politique d’une part, les mœurs et la société d’autre part. Prenons l’exemple récent de la Pologne : les Français, en 1940, ont eu une occupation militaire, ce qui ne leur était pas arrivé depuis la guerre de Cent ans, pratiquement : ils se sont cassés en deux ; pourtant, la France est, avec l’Angleterre, la plus vieille nation constituée en Etat, la plus solide, la plus centralisée. La Pologne, elle, n’a pas connu d’Etat depuis longtemps, malgré un court intervalle d’une vingtaine d’années entre les deux guerres ; elle a donc vécu en état d’occupation et de partition : elle ne s’est pas divisée et a montré une prodigieuse capacité d’unité et de sagesse dans sa résistance ; elle a été à la fois de Gaulle et Pétain sans avoir connu vraiment d’Etat.
C’est pourquoi je ne crois plus tout ce qu’on nous a raconté sur l’Etat et ses vertus, c’est pourquoi, je serais beaucoup plus anarchiste que monarchiste.
Mais je suis tout à fait royaliste dans la mesure où je suis très attaché à la Maison de France, qui, à mon sens doit jouer un rôle important dans notre pays.
Est-ce un attachement purement sentimental ?
Non ! Ce n’est pas pour autant rationnel, puisque ça ne se démontre pas comme un théorème. Mais mon attachement au passé de la France, à la diversité de ce passé, à ses racines qui conditionnent notre présent est de la même nature. La société française est faite de racines plongeant dans des passés à la fois divers et très anciens, qu’il est impossible de couper. Et la Maison de France me paraît être la représentation matérielle et concrète de cette diversité, de ce qui est à la fois un passé et un présent. La famille de France est la figure de la France. [Photo : Le Comte de Paris – Henri VI – avec ses petits-fils, les Princes Jean et Eudes de France, à Amboise en 1987, année du millénaire capétien].
Mais, j’y reviens, je ne suis pas monarchiste au sens où le gouvernement d’un seul me paraît le meilleur… Depuis quelques années, je suis même de moins en moins convaincu de ce postulat. La forme du gouvernement ne me semble guère importante.
Mais alors, quel rôle assigneriez-votas au chef de la Maison de France ?
Le Roi est comme le Pape : il me parait avoir une sorte de magistrature morale comparable. Le Pape est le successeur de saint Pierre et la Papauté présente une continuité identique à celle que je souhaiterais que nous ayons en France, continuité que j’aime, qui produit un effet affectif très fort et je suis absolument navré de voir que les Français connaissent de moins en moins bien la famille royale.
Cette place que vous donnez au Roi pourrait être assimilée sinon à celle de la reine d’Angleterre, du moins à celle du roi d’Espagne qui n’a pas de vrai rôle institutionnel, d’après la Constitution, mais une influence déterminante par sa personnalité.
Je ne souhaite évidemment pas un Roi dictateur — qui serait d’ailleurs, détrôné en moins de vingt ans. Ce n’est pas, ce n’est plus possible, parce que le pouvoir s’use avec une rapidité extraordinaire. Même le général de Gaulle n’a pu tenir que onze ans…
C’est un fait nouveau, une donnée récente, vous le dites dans votre Historien du dimanche. (À suivre, demain mercredi) ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Je ne suis pas loin de penser comme Philippe Ariès, dans ce court mais intéressant entretien avec Pierre Builly à propos du roi et de la monarchie. Beaucoup de royalistes en France sinon la majorité d’entre eux se déclarent encore de nos jours résolument maurrassiens et sont imprégnés de la philosophie et de la doctrine de Charles Maurras commme étant les seules possibles en vue d’une restauration monarchique sinon royale afin de faire pièce à la philosophie et la doctrine de la république. Je le regrette, et c’est un manque de culture de ma part, mais je connais très mal la pensée de Charles Maurras mis à part quelques idées ici et là et, pour cette raison, je m’interdis de la louer ou la critiquer pour rester de bonne foi. Lorsque l’on connaît mal un sujet, le mieux est d’écouter, lire, tenter de comprendre et dans l’intervalle se taire.
Mon royalisme ancré depuis la petite enfance est d’instinct plus que de culture, comme si j’en avais hérité à ma naissance en prenant conscience que j’étais français car la France que j’aime était et est toujours le Royaume de France. conviction que j’ai mise de côté pendant la plus grande partie de ma vie consacrée aux nécessaires choses du monde telles qu’elles s’imposent au plus grand nombre au fur et à mesure qu’ils grandissent et mûrissent: étudier pour avoir un jour une profession et son indépendance, se marier, avoir des enfants, profiter des joies et plaisirs de la vie contemporaine ou en subir les aléas, les déceptions et les difficultés quand elles se présentent.
J’admire la franchise, l’honnêteté d’esprit et de méthode, la mesure du commentaire de Gilbert Claret. Il y a tant de gens qui attaquent Maurras sans le connaître du tout. Et tant de « maurrassien » qui l’ont peu lu, n’en savent guère plus et le comprennent à leur façon.
D’abord, selon le formule de Thibaudet reprise par Giocanti, « Maurras est un continent ». Et un continent complexe, parfois mystérieux. Enfin, il est à la fois, outre « simple poète », penseur politique et homme d’action. De sorte que nombre de ses positions s’expliquent par le contexte politique et intellectuel – et même spirituel – de son temps, et par les nécessités de l’action salvatrice à mener. Enfin, il est évident qu’il n’était pas infaillible. Ce qui n’autorise pas, d’ailleurs, des esprits inférieurs à le « réformer » à leur guise.
Après un gros demi-siècle de fréquentation de son œuvre et de sa biographie, un maurrassien lucide n’aura pas épuisé le sujet et n’en aura pas tout compris. Pour l’humilité, prenons exemple sur Gilbert Claret !
J’ai enfin envie de dire : heureusement qu’on peut être royaliste sans Maurras ! Il y a eu des royalistes avant lui et il y en a après lui sans le connaître. Ce fait lui donne raison. Lui-même n’était pas royaliste avant de le devenir. Le royalisme s’impose par la connaissance de notre Histoire, par l’amour de la France, par une soif atavique de renouer avec le régime qui a donné naissance à notre patrie. Le Prince lui-même n’est pas, n’a pas à être, maurrassien.
Cela dit, je pense aussi que Maurras est un moyen irremplaçable de penser le politique, le patriotisme, le royalisme à un niveau supérieur de conscience politique. Il a donné au royalisme ses lettres de noblesse du point de vue rationnel et intellectuel, ce qui explique qu’il ait séduit tant de grands esprits au XXe siècle et encore au nôtre.
Je salue la hauteur de vue des commentaires .
Moi aussi. Ici, c’est la qualité.