Par Pierre Builly.
Place aux jeunes de Leo McCarey (1937).
Lucide, désolant.
Résumé: Lucy et Barkley Cooper vivent ensemble à New York depuis cinquante ans, mais leur vie devient difficile. Barkley, qui a largement dépassé la soixantaine ne trouve plus d’emploi, alors que leur maison est hypothéquée. Comme ils ne peuvent plus payer les traites, la banque va saisir leur demeure. Ils font appel à leurs cinq enfants pour qu’ils les aident à trouver une solution.
Voilà un film magnifique, bouleversant sans être jamais larmoyant, une de ces histoires tristes comme la vie qui donnent au cinéma une dimension presque charnelle, tant le sujet est vrai, tant le discours est juste…
Ça ne date pas d’hier, pourtant (1937), d’une époque où la pleurnicherie n’était pas universelle et où l’attitude compassionnelle n’avait pas envahi tout le terreau des relations humaines ; en d’autres termes, d’une époque où on s’occupait un peu moins des bébés phoques et où la règle à peu près universelle n’était pas de mettre ses vieux parents à l’hospice (fût-il chic et cher, l’hospice est toujours ce qu’il est : un mouroir, ce qui peut, d’ailleurs, parfaitement se justifier).
Et c’est précisément parce qu’il est d’une autre époque que le film frappe si fort : ce vieux couple septuagénaire de la middle-class, réduit par la crise à être expulsé de sa maison hypothéquée, ressemble, certes, aux expulsés actuels de la crise des subprimes et des autres horreurs économiques actuelles. Mais le propos n’est pas vraiment là et le film n’est en aucun cas porteur d’une dénonciation sociale : le couple a cinq enfants, dont trois sont mariés et vivent à peu près à l’aise, sans excès. Qui va recueillir les parents, qu’on essaye de se refiler comme une patate chaude ? Qui et jusqu’à quand ?
Une sorte de conseil de famille – qui ouvre le film, dans une scène remarquablement mise en scène pour présenter les personnages, leur esprit, leurs défauts, leurs qualités, leurs caractères – décide qu’il n’est pas possible de ne pas séparer les vieux époux : alors qu’ils ne se sont pas quittés depuis leur mariage, cinquante ans avant, ils vont se retrouver à plusieurs centaines de kilomètres l’un de l’autre.
Et ça n’est même pas ça, le sujet, qui tendrait vers le mélodrame un peu facile : le vrai sujet, c’est l’arrivée de ces vieux, qu’on aime beaucoup, mais comme des vieux qu’on ne voit pas constamment, dans la quotidienneté, dans l’existence de chacun, chaque jour et la difficulté de s’adapter à leurs manies, à leurs idées, à leur présence tout simplement…
Rien de grandiloquent, aucune scène de colère ou de fâcherie entre parents et enfants : simplement comme il est dit excellemment dans la présentation du film, un sentiment de gêne, celui qui naît du double sentiment d’affection et d’exaspération ; celui qu’on ressent lorsque la vieille maman vient tenir avec les invités, au salon, une conversation incongrue, par exemple…
Le titre français de Place aux jeunes, un peu guilleret pour la gravité du sujet, dit mal la dureté lucide du film : toutes ces choses-là, la difficulté de communiquer, la pesanteur de l’âge, le fossé entre les générations sont traitées en douceur, mais avec la lucide certitude et l’absolue évidence que ça ne peut pas s’arranger…
Et de fait, la dernière image du film est un crève-cœur, et ce n’est pas la mort, qui serait trop simple… ■
DVD autour de 12€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.