Par Dominique Jamet.
COMMENTAIRE – Cette chronique – hebdomadaire – de Dominique Jamet dans Boulevard Voltaire. est parue le 14 juin. Dominique Jamet est désormais un ancien, plein d’usage et raison, du domaine public médiatique ou autre. Il reflète ici l’évolution de l’opinion dans ces derniers jours qui sont passés de l’enthousiasme induit par la déroute électorale de la macronie aux européennes à une diffuse et pesante inquiétude à l’idée que pourrait sortir tout bêtement des toutes prochaines législatives une France ingouvernable vouée à l’impuissance et au chaos. Personne n’en sait rien. Et comme dans notre régime n’existe aucune institution ou autorité surplombant les luttes partisanes au niveau des caniveaux, les Français s’inquiètent sourdement. Il n’y a pas de remmède à cette inquiétude dans cette Ve République en état d’épuisement. Pas plus qu’il n’y en eut dans les quatre autres. On nous excusera de nous répéter si l’on veut bien convenir que ce sont en fait les situations d’impasse et de blocage qui se répètent sous nos républiques diviseuses et en définitive globalement déclinantes.
« … Cette Valérie Hayer à qui incombe la tâche ingrate de représenter un Président proche du bilan et du dépôt de bilan. »
Arme absolue entre les mains et à la disposition exclusive du chef de l’Etat, ou simple pétoire à un seul coup, et qui a le défaut, parfois, de se retourner contre le tireur et de lui exploser à la figure ? La dissolution n’est pas la solution-miracle à tous les problèmes et l’histoire de la Ve République, qui porte pourtant encore assez gaillardement son âge, nous enseigne que l’exécutif ne devrait utiliser ce recours suprême qu’avec discernement.
Ce fut le cas en 1968 lorsque De Gaulle, dénonçant « la chienlit », clôtura officiellement ce fameux mois de mai où chacun, se conformant à un vieil adage, avait fait tout ce qui lui plaisait. Début juin, un vote quasi-plébiscitaire confirma, avec l’adhésion d’une majorité renforcée à son nom, à son parti et à sa politique, le rejet d’un désordre fécond mais économiquement et socialement devenu insupportable. Ce qui n’empêcha pas, moins d’un an plus tard, le même peuple, ingrat et réaliste, de saisir à la première occasion la perche que lui tendait le grand homme devenu vieux et de le pousser sans trop d’égards vers une sortie et une retraite cette fois définitive.
Le 21 avril 1997, Jacques Chirac, locataire de l’Elysée depuis deux ans, se laissa persuader, notamment par Dominique de Villepin, en l’occurrence bien mal inspiré, de recourir à la dissolution tant pour rasseoir sa légitimité que pour venir en aide à Alain Juppé, son Premier ministre, embourbé dans un projet de réforme des retraites contesté par la rue et dans l’opinion. On connaît la suite, qui s’appela Jospin et couvrit cinq des sept années du règne chiraquien. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?
Un triple échec présidentiel
9 juin 2024, 20 heures. Les résultats qui tombent traduisent un désaveu massif d’Emmanuel Macron au profit, en premier lieu, du Rassemblement national qui recueille, succès historique, plus de 30% des suffrages exprimés, auxquels s’ajoutent les 5% de Reconquête ! et, qui sait, les 7% de François-Xavier Bellamy. La gauche, quant à elle, ferait à peu près jeu égal avec le seul RN si elle était unie…mais elle ne l’est pas et ne saurait trouver de consolation que dans le score honorable de Raphaël Glucksmann qui tranche avec le score humiliant de Benoît Hamon en 2017 et venge le résultat catastrophique d’Anne Hidalgo en 2022.
Mais où en est le parti du président, ce grand groupe central qui devait dépasser et écarter du pouvoir les deux blocs hostiles de la droite et de la gauche ? Le corps électoral a sanctionné sans pitié le triple échec du président actuellement en fonction. Il a fait payer au supposé Mozart de la finance la gestion hasardeuse qui a fait progresser la France sur le chemin du déficit jusqu’à la conduire au bord du dépôt de bilan. Il a fait payer à celui qui était censé parler haut et fort au nom de la France l’affaiblissement de notre voix dans le concert international, notre honteuse éviction de l’Afrique francophone, l’impuissance et l’effacement de notre diplomatie au Proche-Orient, mais surtout notre engagement coûteux, inconsidéré et de plus en plus dangereux, sous l’égide de l’OTAN, c’est-à-dire des Etats-Unis, dans un conflit, entre la Russie et l’Ukraine, où l’intérêt national n’est nullement en cause mais où nous allons, d’assistance humanitaire et technique en fourniture d’armes, puis en formation des combattants, puis en présence, sur le sol ukrainien, d’instructeurs, de conseillers, voire d’unités constituées, vers une guerre dont nous n’avons pas les moyens, et qui n’est pas la nôtre. Le chef de l’Etat a payé enfin l’insuffisance ou l’absence de réponses adaptées aux trois inquiétudes des Français touchant leur pouvoir d’achat, donc leur vie quotidienne, le débordement du flux migratoire, et l’explosion de l’insécurité sous toutes ses formes. Au moment où débute la soirée électorale, Emmanuel Macron n’est plus, tel le malheureux Louis XVI alias « Monsieur Veto », que « Monsieur 15% », un chef d’Etat impopulaire, discrédité, rejeté, minoritaire dans le pays comme au Parlement.
9 juin 2024, 21 heures. A la stupéfaction générale le président fait connaître sa décision. Après avoir dit et répété que l’élection européenne n’avait pas d’implications et n’aurait donc pas de suites nationales, il dissout l’Assemblée et fixe au 30 juin et au 7 juillet, des élections législatives.
Des manifestations d’extrême gauche bien utiles
Quoi ? Ce président infatué de lui-même, si arrogant, si éloigné de ses concitoyens, j’allais dire de ses sujets, donnerait la parole au peuple, quitte à en subir les conséquences ? Zeus redescendrait sur terre ? Quelques jours ont suffi à dissiper cette illusion. Si le président Macron s’est résigné à consulter son bon peuple, c’est en se flattant que celui-ci reviendrait sur le verdict qu’il a rendu le 9 juin. Pure illusion ? En mettant en garde les électeurs contre le retour de la « bête immonde », en ressuscitant les fantômes d’un passé avec lequel le RN actuel n’a ni affinités ni compromissions, le président alimente la peur. Il contribue, contrairement à son rôle institutionnel de garant de la paix civile et de la concorde citoyenne, à faire monter la tension. Multipliant les appels du pied en direction de tous ceux qui y répondraient favorablement, il tente de séduire son opposition de gauche. S’il est contraint par les urnes de confier les clés de Matignon au RN, il compte bien qu’un parti qui avait intégré dans son agenda sa victoire en 2027 ne sera pas à la hauteur dès 2024.
Les manifestations d’ores et déjà organisées par les partis, les syndicats et les organisations « antifascistes », avant même qu’ait commencé la brève campagne électorale, celles qui auront lieu avant et éventuellement après le scrutin attestent d’une volonté d’alimenter les passions, d’allumer puis d’attiser le feu et de faire prévaloir sur le résultat des urnes la violence de la rue. Il est aisé de créer et de nourrir un climat propice à la violence, en escomptant que les incidents soient assez spectaculaires et peut-être sanglants, voire meurtriers pour alimenter la peur. Les innombrables chantiers qui jalonnent les rues et les places de Paris sont là bien à propos pour fournir les matériaux nécessaires à l’expression de la colère des quartiers « populaires », comme en juillet dernier. Le calendrier retenu par le président pour la dissolution et les élections qui en découlent, coincées entre la surprise du 9 juin et l’ouverture des JO, l’état matériel et psychologique où les travaux nécessaires ont mis la capitale sont générateurs de nervosité, d’inquiétude, d’incidents. Le président Macron nous convie à un saut dans l’inconnu. Sans parachute. Mais peut-être s’agit-il là d’une nouvelle discipline olympique. ■ DOMINIQUE JAMET