« Il faut réinstituer des contre-pouvoirs, comme les syndicats… pourvu qu’ils ne soient pas viciés par l’esprit du temps. »
Par Philippe Mesnard.
Le Léviathan nous fait si peur, et à si juste raison, que nous négligeons son allié, le capital déréglé – et surtout déréglant le plus possible les sociétés pour que la richesse soit la plus libre et le salarié et le consommateur le mieux asservis.
Un dérèglement qui se pare des vertus de la Loi, comme aux temps mythiques de la Révolution française où le décret d’Allarde livra tout cuits les prolétaires aux bourgeois. Sohrab Ahmari étudie, pour les États-Unis, la naissance, le développement et les effets de cette tyrannie discrète qui étend son empire sous prétexte, là encore, de libérer l’individu de tout ce qui en fait le défend – et n’arrive qu’à installer définitivement le pouvoir d’entreprises privées, personnes morales irresponsables à qui l’État tricote les législations les plus favorables pour s’affranchir de leurs devoirs, nous en imposer de nouveaux et nous empêcher de résister, soit en nous spoliant (il suffit de regarder l’augmentation des profits et celle des salaires) soit en compliquant l’action collective. Ah, ce terrible wokisme corporate des grandes sociétés, comme Amazon, qui force ses employés à être progressiste tout en leur déniant le droit de se syndiquer…
L’auteur veut indiquer l’antidote
Tyrannie and Co pourrait n’être qu’un ouvrage d’histoire contemporaine de plus, il est bien plus. Avec ce talent si typiquement américain d’accumuler les histoires vraies, et terribles, de petits écrasés par les puissants, histoires liées entre elles par des études statistiques imparables (sur la délocalisation des actions en justice, par exemple, où les gros choisissent leurs juges, en fait) et structurées par un conservatisme social qui sent bon le XIXe siècle réactionnaire, les catholiques sociaux qui luttèrent pour freiner le règne de la richesse, Sohrab Ahmari fait aussi œuvre d’essayiste et de philosophe : il ne lui suffit pas de décrire cette tyrannie paré des atours du nouveau Bon, il veut indiquer l’antidote. Il est assez simple : réinstituer un rapport de force entre les classes pour brider le capitalisme sauvage et son prétendu réalisme qui nous a jeté dans une catastrophe sociale mondiale, et le réinstituer en redonnant du pouvoir à l’État – c’est-à-dire en l’arrachant au contrôle exercé de fait par les intérêts privés, en l’arrachant au règne du tout-économique auquel se sont ralliés les technocrates. Il faut réinstituer des contre-pouvoirs, comme les syndicats… pourvu qu’ils ne soient pas viciés par l’esprit du temps. On voit poindre la doctrine sociale de l’Église mais sans qu’elle soit teintée d’humanisme. Passionnante analyse, passionnante direction. ■ PHILIPPE MESNARD
Sohrab Ahmari, Tyrannie and Co. Salvator, 2024, 320 p., 21 €.
Article précédemment paru dans Politique magazine.
Une solution serait d’actualiser le concept de participation. L’objectif serait de limiter la distribution des bénéfices aux actionnaires . Deux moyens, qui pourraient être combinés selon la taille des entreprises :
– Au delà d’un certain taux de rendement du capital investi ( 6% ?) , le bénéfice ne serait pas distribuable mais donnerait lieu à une augmentation de capital dont les actions nouvelles seraient réparties entre les actionnaires initiaux et les salariés
– Une part du bénéfice ( 30% voire plus) ne serait pas distribuable et abonderait la trésorerie de l’entreprise et/ou un fonds de réserve pour financer des investissements
Une solution qui rejoindrait les travaux de Hilaire Belloc et G.K. Chesterton : le problème du capitalisme, ce n’est pas qu’il y ait trop de capitalistes, mais pas assez.
Pour se faire « rouler dans la farine » les consommateurs représentent la nouvelle cible .
Pour les organisations de consommateurs , elles finiront, si ce n’est déjà fait, par être l’objet de récupération comme les syndicats le sont .