Par Dominique Jamet.
COMMENTAIRE – Cette chronique – désormais hebdomadaire – de Dominique Jamet dans Boulevard Voltaire. est parue hier 21 juin. Dominique Jamet est désormais un ancien, plein d’usage et raison, du domaine public politique et médiatique ou autre. Bien que nous n’ayons jamais cru aux vertus du suffrage universel appliqué à tout, selon la formule ancienne, et que la meilleure définition de l’électeur demeure sans doute celle de Bainville, « l’électeur, pauvre souverain d’un jour », nous ne critiquerons pas Dominique Jamet sur la teneur de son billet, comme toujours agréable à lire, chargé de bon sens et de réalisme. Nous vivons encore un temps de règne du suffrage universel, « appliqué à tout » sauf, d’ailleurs à ce qui nous concerne au plus près, comme le remarquait Paul Valéry. Si nous payons au prix fort le prix de ce fort mauvais système, nous le verrons bien. Jusqu’ ce que l’on s’avise qu’il faudrait chercher autre chose, un autre équilibre entre Pouvoir et consentement populaire. Et un Pouvoir qui ne dépende pas trop des foucades de l’opinion, des ambitions des hommes et des clans, et, en fin de compte, des pouvoirs de l’Argent, le vrai roi de nos démocraties périclitantes.
Ce qui est en jeu, les 30 juin et 7 juillet prochains, n’est rien de moins que notre liberté, notre sécurité, notre identité, la pérennité ou l’écroulement d’une nation, d’une culture, d’une civilisation.
Entre onze et douze millions, c’est le nombre des téléspectateurs amateurs de ballon rond qui suivaient, dans la soirée du 17 juin dernier, le match France-Autriche.
Onze millions et demi, c’est le nombre de téléspectateurs attentifs au devenir de la cité qui, suivant sur leur petit écran, huit jours plus tôt, la soirée consacrée aux élections européennes, avaient entendu en direct notre Guide malheureusement suprême mais heureusement provisoire leur annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue consécutive, dans les plus brefs délais, d’élections législatives.
Deux chiffres à peu près identiques, mais ces deux publics n’en font-ils qu’un ? S’il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre le civisme et la passion pour une discipline sportive, notamment le football, il est clair que le culte rendu au stade, à ses dieux et à ses idoles, par des millions de tifosi est bien souvent exclusif de l’intérêt pour les jeux de la politique, leurs protagonistes, leurs règles, leurs affrontements, leurs manœuvres et leurs magouilles.
Du pain et des jeux
Panem et circenses, le pain et les jeux : telle fut, pour l’essentiel, aussi longtemps que durèrent l’Empire romain puis l’Empire byzantin, la ligne suivie par les épigones du régime préfiguré par le divin César et fondé par le divin Auguste. Le pain, autrement dit la vie, ou la survie, quotidienne, et il n’y a rien d’incompréhensible ou de méprisable dans le fait que, comme il y a deux mille ans, le pouvoir d’achat, suivant qu’il permet, ou non, de mener une existence heureuse, digne ou au moins supportable, soit la préoccupation première des masses.
Les jeux, c’est une autre affaire, et c’est en toute lucidité que les détenteurs du pouvoir, appuyés trop souvent sur la seule légitimité de la force, y cherchèrent et y trouvèrent le plus puissant des dérivatifs aux passions, aux mouvements et aux soulèvements populaires. Jusqu’à l’excès, puisque Justinien, bien qu’il eût restauré la grandeur de l’Empire d’Orient et entrepris la reconquête de l’Empire d’Occident tombé aux mains des Barbares, faillit bel et bien être renversé pour avoir favorisé l’équipe déclarée championne des courses de chars au détriment de celle qui avait la préférence du public constantinopolitain.
Au moins peut-on consentir à la plèbe, romaine ou byzantine, réduite par les souverains successifs et l’organisation de la société à l’ignorance, à l’assistance et à l’impuissance, de n’avoir jamais eu de choix qu’entre la soumission, l’abrutissement, les jeux, et le désordre, l’incendie, l’émeute. Il n’en est pas de même aujourd’hui.
Qu’avons-nous fait du droit de vote ?
Tout au long du XIXe siècle, puis du XXe, et jusqu’à la victoire finale, en 1945, des générations de Français se sont battues, parfois au risque de leur vie, toujours mues par un idéal de justice et animées d’une foi inébranlable et naïve dans les vertus de la démocratie, pour mettre entre les mains de chaque individu, homme et femme, l’arme absolue du pouvoir : le droit de vote.
Politologues, politiciens, médias… et simples citoyens voient dans l’absence de personnalités charismatiques et d’options enthousiasmantes ou seulement crédibles, dans l’évident abaissement du niveau de la politique, de ses ambitions et de ses débats, dans le spectacle navrant que donnent l’Hémicirque et les jeux parlementaires, dans la complexité technique des projets, des programmes et des enjeux, dans le rejet ou le dégoût de la politique politicienne, des excuses à l’inexcusable, à savoir la décision démissionnaire de millions de citoyens qui ont renoncé à utiliser ce qui, avant d’être un devoir, a d’abord été un droit et un pouvoir. Dans l’état où est tombée la République, on en est venu à considérer comme normal un taux d’abstention de 50 %, et donc comme encourageant que, le 9 juin dernier, un tout petit peu plus de la moitié des électeurs aient daigné se déplacer pour dire leur préférence sur la sauce à laquelle leur avenir serait accommodé.
Un intérêt renaissant
Dans l’état de confusion où est tombée notre société, on en est arrivé à mettre au même niveau célébrité, compétence et autorité. Que le nez du très sympathique (par ailleurs) Mbappé ait constitué pour des millions de Français un sujet aussi digne d’intérêt et de préoccupation, à l’approche d’un nouveau match de l’Euro, que jadis celui de Cléopâtre aux yeux et dans le cœur de César ou de Marc-Antoine est typique de l’extrême popularité d’un sport et d’une star comme de la hiérarchie réelle des valeurs au pays de Jeanne d’Arc, de Montaigne, de Voltaire, de Napoléon, de Hugo et de Charles de Gaulle. La dextérité des deux pieds de Mbappé, sa pratique exemplaire du dribble, de la passe et du petit pont, le niveau stratosphérique de ses revenus ne devraient pas susciter, dans une société qui ne marcherait pas sur la tête, l’écho qui a été donné à son entrée en politique.
Passons. Le calendrier aux petits oignons que l’État, son chef et ses serviteurs nous avaient concocté pour cet été – Euro, JO, plages et calme plat jusqu’à la rentrée – a été chamboulé par le vote des Français et, quoi qu’il en résulte, c’est un événement positif. L’intérêt renouvelé que révèlent sondages et intentions de vote, l’envol des procurations sont de bon augure. Ce qui est en jeu, les 30 juin et 7 juillet prochains, n’est rien de moins que notre liberté, notre sécurité, notre identité, la pérennité ou l’écroulement d’une nation, d’une culture, d’une civilisation. Il semble qu’on en ait pris conscience. ■ DOMINIQUE JAMET
Les français se sont battus pour leur liberté, pas pour le droit de vote; ce sont les républicains qui ont assimilé le droit de vote à la liberté, propagander funeste qui fait que l’on renonce à sa liberté et même à son identité pendant cinq ans (aujourd’hui) après le vote!