Cet article est paru dans Le Figaro du 22 juin. On se dira qu’il ne faut pas ignorer tout ce que ce nouvel engouement d’une certaine jeunesse – nombreuse désormais – pour le RN et en particulier pour Jordan Bardella, peut avoir d’intellectuellement et politiquement incomplet, insuffisant ou illusoire. N’ignorons pas non plus ce que la mobilisation des derniers mois autour de Reconquête et du RN a fait lever, monter, s’affirmer en termes d’élan patriotique retrouvé. La politique est affaire de raison ou d’intérêts mais aussi de sentiment, comme Barrès l’avait fait observer à Maurras. Ce bloc fait de patriotisme et de sentiment national est désormais constitué. Il ne passera pas, sans doute, avant longtemps. L’heure n’est plus aux réjouissances inconscientes. Dans les épreuves qui l’attendent, sans qu’on puisse en douter, c’est et ce sera là de plus en plus un puissant atout pour la France. Et probablement est-il appelé à grandir au fur et à mesure que les périls se présenteront face à nous. Face aux jeunes surtout. Ils auront à se battre pour la patrie et la civilisation. Leur patriotisme renaissant est un motif sérieux d’espérance.
« C’est dingue le déclassement que l’on peut ressentir, par rapport aux bobos-gauchos des villes qui mangent du tofu soyeux. On travaille pour quasiment rien. » Nicolas, 29 ans
En 2002, les jeunes Français avaient hurlé leur angoisse après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. La génération suivante a fait sauter le tabou : un quart des moins de 25 ans et 30 % des 25-34 ans ont voté pour le parti de Jordan Bardella lors des élections européennes.
Vont-ils voter «contre les extrêmes», comme le leur demande le footballeur Kylian Mbappé ? Croire l’influenceur Squeezie, qui assure à ses quelque 9 millions d’abonnés sur Instagram que «le RN ne (les) aidera pas» ? Ou bien «faire (leurs) propres choix en accord avec (leurs) convictions», comme le leur suggère Tibo Inshape, le youtubeur aux 20 millions de fans ? Alors qu’en 2002, après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, la jeunesse française, horrifiée, était descendue dans la rue pour «emmerder» le Front national, vingt-deux ans plus tard, la génération suivante a fait sauter le tabou : un quart des moins de 25 ans et 30 % des 25-34 ans ont voté pour le Rassemblement national lors des élections européennes. Pour les législatives, selon un sondage Ifop pour Le Figaro, si le Front populaire arrive en tête chez les 18-24 ans (46 % contre 24 % pour le RN), le RN repasse devant chez les 25-34 ans, atteignant 37 %.
Quarante ans après son lancement, «La jeunesse emmerde le Front national», ce cri de ralliement issu de la chanson Porcherie du groupe de punk rock les Bérurier Noir, n’est plus aussi fédérateur. Avec ses 28 ans, son «physique de gendre idéal», sa passion pour le jeu vidéo Call of Duty et son enfance dans une cité de Seine-Saint-Denis, Jordan Bardella a su séduire une partie de la jeunesse, pourtant défiante envers la politique : chez les moins de 34 ans, ils sont 32 % – avec une abstention dépassant les 50 % – à avoir voté pour sa liste le 9 juin, deux fois plus qu’en 2019.
« Des bonbons, de l’eau et c’est parti ! »
À la question, posée en mai par l’Ifop, sur la «bonne ou mauvaise opinion» que les 18-25 ans auraient des différentes têtes de listes, Jordan Bardella arrivait en deuxième position, avec 45 %, juste derrière… Jean Lassalle. Alors que 29 % disent s’informer grâce aux réseaux sociaux – cités par seulement 10 % des jeunes en 2022 – la stratégie numérique de celui qui a remplacé Marine Le Pen à la tête du RN en 2021 a forcément joué un rôle. Avec ses 1,6 million d’abonnés, son compte TikTok semble être la meilleure arme pour «dédiaboliser» l’ex-Front National auprès de la génération Z. Quoi de mieux que de se mettre en scène en «copain accessible», de publier des vidéos en pause goûter – «Des bonbons, de l’eau et c’est parti!» -, des posts intitulés «Tu fais quoi demain?» ou de penser à souhaiter « Bonne chance pour Parcoursup » pour toucher une génération accro aux smartphones ?
«De même qu’ils ne suivent plus un club de sport mais l’athlète qu’ils trouvent inspirant, les jeunes ne votent plus pour un parti, mais pour une personnalité, décrypte Élodie Gentina, professeur à l’IESEG School of Management et spécialiste de la génération Z. Jordan Bardella a réussi à aller les chercher en parlant le même discours qu’eux, à cibler une jeunesse populaire qui se sent un peu oubliée et déclassée. La forte abstention chez les jeunes, c’est parce qu’ils remettent en cause l’autorité des anciens, et toutes les institutions comme la famille, l’école, le gouvernement… même les journalistes : parce qu’ils vivent dans une société de l’instantané, ils vont plutôt croire ce qu’ils voient défiler sur leur fil TikTok ou Instagram».
Les recommandations des influenceurs ? «Ça peut avoir un impact mais ça ne suffira pas car aujourd’hui les jeunes sont assez déterminés, répond-elle. Ils sont désillusionnés par les politiques qu’ils ont connues jusqu’à présent et les promesses non tenues. Et contrairement à leurs parents, ils n’associent plus le RN au FN, donc il n’y a plus ce côté ’vote honteux’». Après sa répartie – sur le même mode et avec humour – à Squeezie, Jordan Bardella a même gagné des abonnés. «Plutôt faiblement diplômés, vivant d’emplois précaires en milieu rural ou dans des zones périurbaines, poursuit l’enseignante, ils ne disposent pas forcément des armes nécessaires pour avoir une lecture critique du programme. Ils vont s’accrocher à quelques mesures phare. Le climat, ce n’est pas leur principal souci ! Eux, ils ont des préoccupations très pragmatiques : ils veulent un boulot, une formation et un logement.»
Lors du dernier salon de l’agriculture, Nicolas, 29 ans, a réussi à obtenir un selfie avec Jordan Bardella. «Chez les jeunes agriculteurs, c’en est même devenu une fierté de voter RN !, s’exclame ce fils de viticulteurs, natif d’un village de l’Aude. On en est à se taquiner : ‘T’es plutôt Marine, Marion, Jordan ?’ C’est dingue le déclassement que l’on peut ressentir, par rapport aux bobos-gauchos des villes qui mangent du tofu soyeux. Nous, si on veut faire des études, faut trouver un appart à Toulouse, ça revient très cher. On travaille pour quasiment rien. Et l’insécurité commence à gagner nos campagnes…».
Dans la ruralité, avec «une identité modelée par l’éloignement», une «mobilité quotidiennement difficile», les jeunes sont de plus en plus «nombreux à porter leur dévolu sur la droite radicale», constate l’Institut Terram, un groupe de réflexion dédié à l’étude des territoires, dans une récente analyse intitulée «Jeunesse et mobilité : la fracture rurale». Au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté pour Marine Le Pen. C’est plus du double des jeunes urbains ! «Plus le temps passé en voiture est long, plus le vote pour la candidate du RN croît : 34 % pour ceux qui sont moins de 30 minutes par jour dans leur automobile, 42 % entre 1 et 2 heures et 49 % pour plus de 2 heures, affirme l’étude. De même, l’isolement géographique perçu joue un rôle déterminant : ils sont 36 % à avoir voté Marine Le Pen lorsqu’ils habitent dans une petite ville, 41 % dans un village et 46 % dans un hameau».
Si «le positionnement politique des jeunes ruraux ne paraît pas plus radical que celui de leurs homologues urbains, leur protestation électorale est bien plus marquée, complète Victor Delage, fondateur de l’Institut Terram. Si 21 % d’entre eux se considèrent comme ’très à droite’, soit 2 points de plus que les jeunes urbains, au premier tour de la présidentielle de 2022, 48 % des jeunes ruraux ont voté pour un candidat de la droite populiste, contre 26 % des urbains. J’y vois les signes d’un vote de rupture : cette jeunesse rurale ne se sent ni entendue ni représentée dans l’espace public ». Jordan Bardella l’a bien compris : il «se déplace souvent sur ces territoires et parle de sujets qui les concernent, davantage qu’à la jeunesse urbaine qui réussit», souligne Victor Delage.
« Ce n’est pas l’extrême droite que mes grands-parents ont connue ! »
Ses parents sont «meurtris» et parlent de «déshonneur». Mais Salomé*, qui a «toujours voté LR et Macron comme eux», se dit «tout à fait prête» à glisser un bulletin RN dans l’urne. «Pour moi, ils vivent dans le passé, témoigne cette étudiante en relations internationales de 22 ans, de confession juive. Ce n’est pas l’extrême droite que mes grands-parents ont connue ! Si quelqu’un comme Serge Klarsfeld, qui a passé sa vie à pourchasser les nazis, est sur la même ligne, qui sommes-nous pour lui donner des leçons? Je pense au contraire que ce vote nous protège. Je suis traumatisée de voir que personne à gauche ne se révolte après le viol barbare de cette fillette juive (à Courbevoie, samedi dernier). Même mes amis de gauche ont changé d’avis et barreront la route au Front populaire. Qui nous a défendus après le 7 octobre ? L’antisémitisme n’est plus à l’extrême droite. Le danger aujourd’hui pour les Juifs, c’est l’immigration arabo-musulmane massive».
En deuxième année d’école de commerce, Juliette*, 19 ans, s’informe sur TikTok et «avec des vidéos du youtubeur HugoDécrypte». «Lycéenne, j’ai manifesté contre la réforme des retraites, contre l’extrême droite et pour le climat avec Greta Thunberg (la militante suédoise, NDLR), se souvient-elle. Aujourd’hui, je vois des élèves harceler une amie qui porte une étoile de David au cou. Parfois, ils veulent nous entraîner dans des manifs pour la Palestine, et critiquent ceux qui préfèrent travailler. Moi, j’ai arrêté de porter ma médaille de baptême, pas par crainte de remarques, mais parce que j’ai peur de me la faire arracher dans le métro. C’est pas mieux… À un moment, je me dis que la sécurité est plus importante que tout le reste ! Alors, même si je n’ose pas le dire à mes amis, je crois que je vais voter pour Bardella. En plus, il est très beau !».
« Marre du wokisme et des drapeaux palestiniens ! »
C’est à Sciences Po Paris que Manon* s’est «radicalisée», explique-t-elle en rigolant. «Le wokisme, les drapeaux palestiniens, les Hijab Days, les discours en écriture inclusive, j’en ai vraiment marre !, s’irrite-t-elle. Quand j’ai osé émettre des critiques, j’ai perdu des amis. J’en ai assez de ne pas pouvoir dire ce que je pense sans être traitée de facho ! Je veux bien accueillir des gens d’autres cultures, mais je veux qu’ils respectent la nôtre ! Les outrances de mes camarades, plus les pétitions d’acteurs ou les messages d’influenceurs, pour moi, ça a eu l’effet inverse : comme on a tout essayé, j’aimerais bien, maintenant, voir ce que le RN est capable de faire. Quant à son programme économique délirant, grâce à cette alliance avec les LR, j’imagine qu’il sera tempéré».
«Le jeune qui n’est pas de gauche, il vote RN aujourd’hui !, tranche Guilhem Carayon, président des jeunes Républicains, acteur, avec Éric Ciotti, de l’alliance avec le RN. Le vote macroniste n’existe plus du tout, et LR n’a pas su capter ces jeunes-là. Leur vote, c’est à la fois de la colère, un ras-le-bol général, et de l’espérance, car la France a mille atouts. Simplement, on a besoin de dirigeants qui soient connectés à nos réalités». Entre les jeunes des différentes formations conservatrices et nationalistes, «il y a toujours eu cette complicité, cette camaraderie, sauf qu’avant, c’était parfaitement tabou, souligne celui qui est aujourd’hui candidat dans le Tarn, soutenu par le RN. Cette barrière morale a sauté : un jeune LR n’a plus aucun problème à se dire ami avec un RN. Le fait d’avoir défendu cette position, d’ailleurs, a permis à de nombreux jeunes LR de prendre cette trajectoire».
« Le racisme vient aujourd’hui de l’extrême-gauche »
C’est le cas d’Hanane Mansouri, 23 ans. Ancienne présidente des Jeunes Républicains de l’Isère, elle se présente aux législatives comme candidate de l’Alliance des droites. Un choix qui a déclenché une avalanche d’insultes racistes sur les réseaux sociaux : « Arabe de service, beurette, sale pute de vendue…». «Pendant que la gauche m’insulte, je préfère me battre aux côtés des vrais universalistes patriotes, qui eux ne m’ont jamais rappelé mes origines maghrébines, rétorque-t-elle. Ces attaques ne m’impressionnent pas, au contraire, elles me confortent ! Le racisme vient aujourd’hui de l’extrême-gauche : ce sont eux qui nous mettent dans des cases. À l’inverse, la droite LR-RN offre l’opportunité de se retrouver dans une histoire commune, qui permet de s’identifier comme Français ».
Ayant grandi en territoire rural, la jeune femme a été confrontée aux «problématiques de manque d’infrastructures, de transports, de pouvoir d’achat». Étudiante en droit à Grenoble, militante du syndicat étudiant l’UNI, elle a rencontré celles «de l’insécurité, de la violence et du burkini». Il y a deux ans, une attaque, par des antifas, l’avait laissée le visage en sang. «C’est l’urgence qui m’a fait opter pour cette alliance avec le RN, indique-t-elle. Toutes ces thématiques liées à la montée de l’extrême-gauche ultraviolente, sur lesquelles le président de la République n’a pas su se positionner. Aujourd’hui, il n’y a qu’une droite unie et forte qui puisse rendre la France plus prospère et libre».
Délégué national de l’UNI, Yvenn Le Coz, 21 ans, rappelle que son syndicat a «toujours prôné l’union des droites». «Aujourd’hui, l’énorme majorité de nos adhérents et des jeunes de droite que l’on peut connaître se fichent des digues et des cordons sanitaires, conclut cet étudiant à Sciences Po Grenoble. Ce qui leur importe avant tout, c’est de faire valoir leurs idées et leurs valeurs. Une figure charismatique pour les représenter, c’est tout ce qu’ils attendaient». ■ STEPHANE KOVACS
*Le prénom a été modifié