LE COMMENTAIRE DE PIERRE BUILLY.
Fanny (1932)
Fanny commence exactement où Marius s’achève : le grand bateau La Malaisie qui quitte la douceur de Marseille pour les îles dorées du bout du monde.
À son bord, un jeune homme égoïste et rêveur qui laisse là son pauvre bonhomme de père et la fille qui lui est promise de toute éternité, et dont il ne sait pas qu’elle est enceinte de lui.
Et deux heures plus tard, Fanny se terminera sur cette image des grands coursiers de haute mer qui cinglent au soir vers l’Orient avec les voiles faites pour que le vent emporte les enfants des autres. Entre-temps deux ans auront passé qui auront figé les rôles, les chagrins et les sacrifices. Du petit monde emporté, excessif et rieur décrit si tendrement dans Marius va sortir une histoire triste et l’évidence d’un grand gâchis.
Il y a dans Fanny vingt minutes admirables, émouvantes, bouleversantes : ce sont les dernières séquences, celles qui font éclater les rares petits bouts d’espérance qui pouvaient encore s’incruster un peu : Marius fait escale pour quelques heures à Marseille, et il veut reprendre Fanny, il veut aussi prendre l’enfant dont il ignorait jusqu’alors l’existence, l’arracher à Panisse qui l’élève à coup d’amour. Et Fanny n’est pas très loin de céder. Et César assiste à ce drame où chacun a ses raisons…
L’art immense de Marcel Pagnol et des acteurs qu’il met en scène c’est à ce moment là de faire oublier dans les regards et les propos de Raimu et de Charpin les blagues, les galéjades, les formules de rire et d’outrance, la petite vie paisible d’apparence si douce qui se situe sur le Vieux Port entre le Bar de la Marine et la voilerie de Maistre Panisse, celle du pastis frais, des tricheries aux cartes et des parties de pétanque. Pagnol, à ce moment donné, quitte le registre pittoresque, quitte le registre dramatique, quitte Marseille et les vieux amis aux voix tonitruantes et à l’haleine forte : il y a là quelques phrases sur la paternité, sur l’élection paternelle, plutôt, sur le choix de l’amour qui sont parmi les plus belles que j’aie jamais entendues.
Et en face, Marius, buté, fermé, le regard mauvais. Je me suis souvent interrogé sur le choix fait par Pagnol de l’Alsacien Pierre Fresnay (Pierre Laudenbach), dont l’accent très emprunté et la dégaine un peu rigide ne me semblaient pas trop convenir à un gamin de Provence ; et finalement, je crois que l’auteur a fait un très bon choix : Marius ne prendra finalement un peu d’humanité que dans César, vingt ans après : pour l’heure, c’est vraiment un sale petit crétin égoïste, perdu de chimères, dont on peut comprendre que les illusions et les mômeries aient ébloui Fanny, qui l’a toujours regardé comme la Huitième merveille du Monde, mais qui n’a pas beaucoup de substance et bien peu de générosité. Le côté engoncé, rigide, corseté de Fresnay va finalement tout à fait bien à cet irresponsable sans cœur…
Je trouve que Fanny est un soupçon moins bien bâti que Marius et qu’il souffre notamment, en son milieu, d’un petit essoufflement où Pagnol, dans une certaine facilité, tire à la ligne. Pourtant c’est sans doute le plus émouvant et le plus sensible des trois films. Mais on ne peut naturellement les dissocier dans l’admiration.
Nous allons voir si nous pouvons dire la même chose avec César. ■
DVD comportant les 3 films Marius, Fanny, César autour de 60 €
Retrouvez l’ensemble des chroniques de Pierre Builly dans notre catégorie Patrimoine cinématographique.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source