Par Mathieu Bock-Côté.
Cette chronique est parue dans le Figaro de ce samedi 6 juillet. Mathieu Bock-Côté y envisage et même y prévoit la sombre perspective d’établissement d’une forme nouvelle de dictature d’un parti unique de gauche destinée à empêcher et à mater par le biais de toute une série de mesures coercitives et réductrices des libertés citoyennes, toute espèce d’insurrection électorale ou populaire future, dont la nuit du 30 juin au 1er juillet a été, aux yeux des chefs de file de la classe dirigeante, la préfiguration terrifiante. N’en ont-ils pas la légitimité, après tout, s’ils parviennent à former contre le Rassemblement National une coalition majoritaire ? Mécaniquement, sans-doute. Mais en profondeur – on pourrait dire en vérité – leur légitimité ne sera que d’apparence car il n’empêche : sur les grands sujets existentiels, point par point (immigration, identité, insécurité, souveraineté nationale à retrouver, restauration de la transmission du savoir à l’école) leur programme sera à l’inverse de ce que souhaitent les Français à une très forte majorité (autour de 70%) parfaitement transpartisane. Sur ces sujets – régaliens – on refusera obstinément de les consulter. On gouvernera contre leur sentiment. Ce n’est qu’une forme dissimulée de dictature. En un sens, la pire, car elle mène à la mort.
« L’état d’exception est déclenché, et, pour sauver la démocratie d’un peuple à la veille de commettre un dérapage électoral collectif, tout est permis.. »
Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, la classe dirigeante française a eu peur. Par classe dirigeante, j’entends tout à la fois ceux qui gouvernent depuis quarante ans, environ, et ceux qui sont reconnus comme l’opposition légitime, qu’on peut maudire, et même accuser d’extrémisme, mais qui sont toujours réintégrés, à la dernière seconde, dans l’arc républicain, qui sont du bon côté du « cordon sanitaire ». J’entends tous ceux qui sont au cœur du système, qui en dépendent, qui s’y opposent de l’intérieur ou qui partagent ses a priori philosophiques. Pour cela, je parlerai du régime.
Le régime, donc, a pris peur. Il s’est imaginé, pour la première fois, vraiment, le RN au pouvoir – le RN qu’il assimile à l’extrême droite, et cette dernière représentant la catégorie négative fondatrice contre laquelle il s’est constitué. L’extrême droite, dont personne ne se revendique, et qui est une catégorie contestée par ceux à qui on l’accole, étant considérée comme le plus grand mal, tout est permis. Le dispositif antifasciste s’est activé. L’état d’exception est déclenché, et, pour sauver la démocratie d’un peuple à la veille de commettre un dérapage électoral collectif, tout est permis.
On notera que les gardiens idéologiques du régime interprètent cette jacquerie d’étonnante manière. La progression de la droite nationale (car c’est d’elle dont on devrait parler) n’est pas présentée comme celle d’une force politique rationnelle, gagnant des électeurs par ses diagnostics et ses propositions, mais comme celle d’un démon sorti des enfers s’emparant de l’esprit d’une population d’un coup possédée, et qu’on doit exorciser en répétant sans cesse la formule « extrême droite », censée la désenvoûter.
Première chose à faire : rappeler que la percée du parti dissident ouvrirait dans la société les valves de la haine raciste. Que cela soit vrai ou faux importe peu, qu’il s’articule à partir de rumeurs douteuses qui seront invalidées ensuite ne compte pas non plus. On a même entendu une leader du NFP expliquer que les immigrés sont victimes de ratonnades, la nuit, de la part de miliciens néofascistes. Le mensonge s’institutionnalise. Certains médias, et plus encore ceux du service public, fabriquent les scandales dont ils ont besoin pour favoriser la diabolisation. Ils nomment cela la vigilance citoyenne.
La doctrine du barrage
En un deuxième temps, on l’a vu, l’ensemble des forces politiques qui, hier encore, se combattaient, se fédèrent dans une forme de parti unique qui ne dit pas son nom, pour tenir les insurgés loin du pouvoir. C’est la fameuse doctrine du barrage. On découvre qu’en dernière instance leur différence n’est pas de nature, mais de degrés. Ils travaillent ensemble pour le Nouveau Front populaire. Ils partagent, devant l’émergence de la droite nationale, une vraie convergence « de valeurs ».
« Au final, les seuls à oser se révolter contre le régime sont ceux qui subissent le modèle de société qu’il promeut et qui, en plus, sont constamment humiliés par ceux qui leur expliquent qu’ils devraient plutôt se réjouir de leur sort »
Dans un troisième temps, la société civile est appelée à se mobiliser. Toutes les associations doivent afficher leur soutien au parti unique. Les tribunes se multiplient, et, à quelques nuances près, disent toutes la même chose. Le vote n’est plus secret, chacun doit dire le sien. La traque aux dissidents potentiels est lancée. Qui s’éloigne minimalement de la ligne, qui ne répète pas le bon slogan de la bonne manière est soupçonné publiquement de complicité avec la bête. On le dénoncera à coups de pétitions inquiètes.
Et, contrairement à ce que certains ont voulu croire ces dernières années, la diabolisation fonctionne encore. Ceux qui, de près ou de loin, vivent dans la lumière du pouvoir, ou qui en dépendent, ou qui le redoutent, s’y montrent très sensibles. On ne doit pas non plus sous-estimer les effets de quarante ans de conditionnement mental à réagir de manière pavlovienne dès lors qu’on entend le mot « extrême droite ». Ces quarante années s’inscrivent dans une histoire plus longue, et dans une structuration du clivage politique qui donne un avantage moral à la gauche.
L’insurrection matée
Au final, les seuls à oser se révolter contre le régime sont ceux qui subissent le modèle de société qu’il promeut et qui, en plus, sont constamment humiliés par ceux qui leur expliquent qu’ils devraient plutôt se réjouir de leur sort et sont moralement coupables de ne pas le faire. À l’échelle de l’histoire, le pouvoir l’emporte la plupart du temps, quand on se révolte contre lui. On le verra probablement dimanche soir. La mobilisation totale sera parvenue à ses fins.
Enfin viendra la majorité plurielle du parti unique. Et, une fois l’insurrection matée, le peuple sera puni. Il a voulu d’abord une politique de droite. On lui infligera une politique de gauche. On modifiera ensuite les institutions, par exemple en réformant le mode de scrutin. On essayera de fermer les médias jugés dissidents. On étendra le domaine des propos interdits. On multipliera les persécutions contre les opposants déclarés. Le dispositif antifasciste va jusqu’au bout de lui-même : plus jamais ça. Plus jamais d’insurrection électorale non maîtrisée. On appelle cela la démocratie. Peut-être même la République.
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Mathieu Bock-Côté
On appelle cela la République et peut-être même la démocratie!