Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« Le public d’un enterrement, c’est un peu toute la vie d’un homme »
Service à Notre-Dame-des-Victoires à la mémoire de Jules Lemaître : une simple messe basse, sans musique ni tentures. Du recueillement de l’émotion dans l’assistance la plus composite du monde. Le public d’un enterrement, c’est un peu toute la vie d’un homme, c’est l’image des berges entre lesquelles a coulé le fleuve de sa vie. La Sorbonne, le théâtre, le boulevard, le journalisme, l’Institut, la Patrie française et l’Action française, voilà ce qui est venu rendre un dernier hommage au pauvre « parrain ». Le duc et la duchesse de Vendôme s’étaient fait représenter et la marquise de Mac-Mahon avait fait célébrer la messe. Et Lemaître, qui avait si longtemps vécu dans les sentiments d’un pur « libertin », d’un disciple de Renan et même beaucoup plus sincèrement – ou naïvement, il en convenait volontiers, – que Renan, dans le sentiments d’un républicain libéral.
La messe célébrée, tout le monde parle de la guerre, de l’entrée des Allemands à Bruxelles. Grosclaude sort du ministère des Affaires étrangères. On continue, au Quai d’Orsay, à se réjouir de la situation pour les raisons suivantes. On estime que les Allemands sont allés à Bruxelles parce qu’ils avaient besoin de quelque chose qui fît impression sur les masses allemandes et qu’on pût présenter comme un succès. Mais, à ce besoin-là, ils ont sacrifié leur sécurité, ils se sont exposés dangereusement, en sorte que l’on ne doute pas du succès des armées alliées. Tout le monde veut bien le croire, même si c’est une pieuse fable… ■ JACQUES BAINVILLE
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