Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« La « guerre à outrance » qui deviendrait nécessaire à partir du moment où Paris serait investi constituerait une lourde épreuve. »
Ce qui étonne le public, c’est cette retraite ininterrompue de nos armées. Il semble que les Allemands avec la régularité d’une horloge, que leurs étapes soient fixées d’avance. Il semble aussi que, de notre côté, le commandement préfère garder nos armées intactes, même au prix de l’investissement de Paris, pour que nous puissions le jour où la pression russe se fera sentir trop vivement des Allemands en Prusse orientale, reprendre l’offensive avec des forces inentamées.
Cela, c’est l’explication optimiste du fait qu’il n’apparaît aucun nom de bataille et que, depuis que nos armées ses ont repliées de Belgique en France, tout a l’air de s’être passé en manœuvres défensives. A cette explication-là, toute la France, dans sa volonté de vivre, s’attache avec confiance, avec énergie.
Une explication pessimiste mais partielle, rendue malheureusement vraisemblable par le communiqué d’hier soir, c’est que notre aile gauche – celle où se trouvent les Anglais – est toujours sous la menace de se trouver débordée et enveloppée. Ce serait cette faiblesse qui nous obligerait au retrait sur toute la ligne. Quoi qu’il en soit la « guerre à outrance » qui deviendrait nécessaire à partir du moment où Paris serait investi constituerait une lourde épreuve. La presse s’efforce d’accoutumer l’opinion à l’idée des sacrifices nécessaires.
Le point de vue sur lequel on insiste, c’est que l’état-major prussien expose ses hommes avec une prodigalité folle, sans tenir compte de la difficulté, qui croît pour lui tous les jours, à mesure qu’il s’éloigne de sa base d’opérations, de « réétoffer » ses régiments décimés et de les ravitailler…
Hélas ! il y a trois semaines, on disait déjà que les soldats allemands mouraient de faim et que les uhlans se rendaient pour une tartine. Le peuple français est assez viril pour ne pas avoir besoin d’être bercé par ces niaises illusions. ■ JACQUES BAINVILLE
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