Par Pierre Builly.
Une histoire simple de Claude Sautet (1978).
Cinéma des années mortes.
Introduction : Quadragénaire radieuse, Marie conduit sa vie selon des principes d’indépendance. Elle décide de rompre avec son ami Serge, un brave garçon exubérant, et de se débarrasser de l’enfant qu’il lui a fait. Marie a un autre enfant, d’une quinzaine d’années, fils de Georges dont elle est séparée. Georges, homme faible sous des dehors de cadre désinvolte, vit avec Françoise, une jeune fille accorte. Il se laisse néanmoins séduire à nouveau par son ex-femme qui éprouve pour lui un retour de flamme.
Le film est évidemment d’une infinie justesse mais on peut estimer aussi trouvant qu’il est inférieur aux chefs-d’œuvre du début de la décennie (1970 : Les Choses de la vie, 1971 : Max et les ferrailleurs, 1972 : César et Rosalie, 1974 : Vincent, François, Paul… et les autres).
Ce qui me semble évident, c’est que Sautet a beau accumuler les recettes qui rendent si fascinantes les images de ces chefs-d’œuvre, rassembler dans un brouhaha extrêmement justes des tas de gens dans des bistrots enfumés (on souhaite bien du plaisir aux adeptes du tabagiquement correct qui voudront, quelque jour, éliminer les clopes de ces films, comme ils l’ont fait avec Lucky Luke et Jacques Tati !), qu’il a beau nous mettre sous le nez la convivialité artificielle des copains de bar et des copains tout court, il ne retrouve tout de même pas l’harmonie chorale de la période précédente.
Il est vrai pourtant que les acteurs sont formidables, des premiers rôles aux seconds ou troisièmes ; retrouver la beauté lisse et si rare de Francine Bergé, faire re-connaissance avec Sophie Daumier, qu’on n’avait plus guère vue depuis Dragées au poivre, quinze ans auparavant, découvrir Eva Darlan d’avant Palace, c’est un des grands bonheurs que donne Sautet.
Car si l’anecdote d’Une histoire simple ne m’a pas vraiment accroché, ce que je trouve de plus fort chez Sautet, quels que soient ses films, immenses ou moindres réussites, c’est le nombre de trames, de strates, de plans dans les paysages humains : à peu près tous les personnages pourraient, richement bâtis comme ils sont, donner lieu à une œuvre : ils ont de l’épaisseur, de la substance, du poids, ils n’apparaissent pas en ombres chinoises, ou en profils perdus disposés simplement là pour faire nombre, derrière les protagonistes principaux.
Au fil des années, Sautet apparaît vraiment comme le plus exact mémorialiste de ce qui fut la fin des Trente glorieuses, leur prospérité inquiète et les questions qu’elles se posaient en pensant les résoudre. Si, à l’époque, faire un bébé toute seule, comme Marie (Romy Schneider), pouvait sembler à la fois courageux et libérateur, à l’heure actuelle, c’est devenu d’une extrême banalité, mais surtout souvent un signe de désespérante solitude.
Le cinéma de Sautet montre une France aussi morte que celle des années Cinquante, monochrome et fumeuse, même si dans Une histoire simple, on distingue les signes avant-coureurs du désastre, les individus dépassés par la modernité, la dureté de l’adaptation à un travail de plus en plus exigeant et anonyme, le stress et l’angoisse, la rupture des liens avec le monde traditionnel, aussi castrateur que protecteur… ■
DVD autour de 10€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Il n’est, dit-on, jamais trop tard pour bien faire. Pourtant bien trop longtemps a passé sans que je félicite et remercie notre ami Pierre Builly de ses remarquables chroniques cinématographiques. Pleines de finesse et de science, elles m’apprennent, chaque semaine, à découvrir un art qui m’avait, jusqu’alors, échappé. Elles sont la démonstration du brillant éclectisme de l’Action française. Merci Pierre.
Ces remerciement et félicitations vont aussi aux administrateurs de ce site, Gérard Pol en particulier. L’Action française avait son journal papier quotidien. Je Suis français a repris avec bonheur cette formule, d’autres moyens étant, désormais, disponibles. Un travail considérable qui permet d’écouter, tous les jours, une voix originale et bienfaitrice au service de la France.
Nous profitons ainsi avec vous d’une « cure d’altitude mentale » permanente, marque inégalée des différentes publications – et il y en a d’autres ¬– de l’Action française. Merci les amis !
Henri Bec
Merci, Henri pour ces lignes mais aussi pour tout ce que tu continues de faire et d’apporter à l’Action Française. Quant à Pierre Builly, ami, lui aussi, de lointaine jeunesse, des camps, des séminaires régionaux de formation, et, bien sûr, de Montmajour et des Baux, je trouve là l’occasion d’ajouter mon remerciement au tien. Entre 2018 et aujourd’hui, c’est autour de 300 chroniques de « grands films » qu’il nous a adressées et qui, grâce à lui, sont consultables dans les colonnes de ce blog !
Merci, donc, à vous deux. Pour notre AF.