1967. Alain Delon et Mick Jagger sont assis sur un canapé. Entre les deux, Marianne Faithfull, la compagne de la rock-star. Elle n’a d’yeux que pour l’élégance française qui ringardise la coolitude…
Par Corinne Berger.
Cet article people en apparence est paru dans Causeur le 3 septembre. En réalité sur bien des sujets dits de société ou de civilisation, il remet avec intelligence et élégance les pendules à l’heure de ce qui est profond, authentique et ne change guère par delà les folies éphémères des certaines modes ou d’idéologies un temps destructrices. Elles passeront. Pas la nature des choses, ni la beauté.
Vous avez dit panache français ?
Alain Delon est mort. On le savait très affaibli depuis quelque temps, mais on se surprend à l’avoir espéré éternel. La vieillesse comme la mort sont un outrage à la beauté.
Et quelle beauté. Magnétique, insolente, éclaboussant le monde comme un soleil. Scandaleuse beauté, que le jeune homme portait comme une élection. Mireille Darc avouait il y a quelques années être parfois restée éveillée pour le regarder dormir. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de Delon que d’avoir été beau comme peut l’être une femme tout en incarnant le summum de la virilité.
La mélancolie tempérait l’acier du regard et « humanisait » ce visage trop parfait. Qui ne se serait damné pour des yeux aussi désarmants, où la tristesse le disputait à l’éclat ? Cette grâce, cette présence, injustes parce que données, ont séduit bien des femmes et sans doute irrité bien des hommes. La célèbre photographie prise en 1967, montrant Marianne Faithfull assise entre son compagnon d’alors, Mick Jagger, et Alain Delon, visage et sourire tout entiers tournés vers l’acteur, souligne plaisamment à quel point il devait être difficile pour un homme, fût-il une rockstar, d’exister à côté d’Alain Delon. La légende qui accompagne aujourd’hui l’image se passe de commentaire : « When you’re Mick Jagger but the other one is Alain Delon. » Impossible de lutter. Jagger semble penaud, absent, défraîchi ; Delon prend toute la lumière et tout l’espace, élégant, désinvolte. Jagger n’existe pas. Phèdre chez Racine décrit Hippolyte « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi ». Qu’aurait-elle dit si, par le jeu d’une improbable acrobatie temporelle, son regard s’était posé sur la beauté renversante du jeune Alain Delon ?
La beauté subjugue, elle est un sortilège. De nombreux réalisateurs, et pas des moindres, sont tombés sous le charme, jusqu’à la fascination amoureuse si l’on pense à Visconti. Notre paysage mental est peuplé du visage ironique et flamboyant de Tancrède, des grands yeux candides de Rocco, et chez les autres, les Clément, les Deray, les Melville, d’un corps solaire et délié, en pleine mer ou au bord d’une piscine, de la face hiératique et glaciale d’un samouraï dont la froideur n’altère jamais la beauté. Dans Plein soleil on se prend même, contre toute morale, à souhaiter que jamais ne se fasse coincer, pour reprendre le vers de Genet, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour »… Tous ont perçu la force de frappe de ce garçon qui crève l’écran, peut-être parce qu’il ne joue pas mais, comme il se plaisait à le dire, parce qu’il est chaque fois le personnage qu’on lui demande d’incarner, avec un engagement et une conviction qui semblent naturels. Il est sans conteste l’assassin machiavélique de Maurice Ronet, il est un monsieur Klein pris au piège de l’histoire, il est flic, truand ou tueur à gages avec la même force, comme il a été prince sicilien ou jeune frère désarmé par sa propre bonté.
Une présence incandescente jusque dans ses tourments, qu’ils soient cinématographiques ou personnels (car Delon n’est pas une image lisse sur papier glacé), portée par une élégance sans faille, dans l’apparence comme dans le verbe. C’est sans doute à ce titre qu’il représente si pleinement, pour autant que ce vocable ait encore un sens aujourd’hui, l’homme français : une mise impeccable sans être guindée, de la tenue, au propre comme au figuré, une séduction faite d’un charme puissant mâtiné de panache et de désinvolture. Là encore, il suffit de le revoir dans son costume gris clair, dans une décontraction presque insolente, à côté d’un Mick Jagger ringardisé par la coolitude étudiée de ses vêtements roses…
Alain Delon incarne l’homme français… et c’est bien le problème. Emmanuel Macron pourrait sans doute prétendre, avec beaucoup d’autres aujourd’hui, qu’il n’y a pas plus d’« homme français » qu’il n’y a de culture française, que l’homme français est divers, qu’il existe des hommes en France, pour parodier son assertion. Ce serait ignorer qu’il y eut longtemps un archétype dans lequel la grande majorité des Français se reconnaissait, et que Delon résume et sublime. Si aujourd’hui beaucoup (principalement à gauche) ne lui ont rendu aucun hommage après l’annonce de sa disparition, ou se sont répandus en vilenies à son propos, c’est précisément parce qu’il est trop français, trop blanc, trop catholique (il prétendait ne pas croire en Dieu, mais avouait une dévotion à Marie et s’était fait édifier une chapelle dans sa propriété de Douchy), trop peu conforme à la nouvelle population « créolisée » que d’aucuns appellent à remplacer l’encombrant peuple de souche.
Et même pas homosexuel, Delon. Ça l’aurait peut-être sauvé à l’heure où il est de bon ton d’appartenir à une minorité nécessairement opprimée. Mais non : Delon aimait les femmes, et en plus il se permettait d’avoir des critères de sélection, il les préférait plutôt grandes, belles et si possible intelligentes. Pas facile à proclamer dans une époque qui a l’égalitarisme prodigue et arrogant… Bien sûr Delon a pu faire preuve de goujaterie dans sa vie amoureuse, il n’est pas sans défaut, mais cela vaut-il le procès en misogynie intenté par certains, largement battu en brèche par les amitiés vraies qu’il a su nouer avec Romy Schneider ou Mireille Darc après leur rupture… Beaucoup des femmes qui l’ont aimé un jour l’ont aimé à jamais. Sandrine Rousseau et sa clique, au lieu de pointer sa « masculinité », toxique, forcément toxique, auraient pu au moins saluer l’immense acteur, son exceptionnelle contribution au rayonnement du septième art (… et de la France) ; mais Delon n’était pas un mâle suffisamment déconstruit pour être célébré.
Il ne coche donc aucune des cases qui valent aujourd’hui brevet de vertu : il prône l’ordre, la discipline, l’autorité (autant dire des valeurs fascistes !), il admire ceux qui risquent leur vie pour leur pays (on est loin du pitoyable « cheh » de la dispensable sociologue Ricordeau1), il est patriote, enraciné, il se reconnaît des maîtres. Il préfère l’exigence de la verticalité aux fausses promesses de l’horizontalité. Il prétendait, et on peut le croire, n’avoir aucun regret à quitter une époque aussi minable que la nôtre. Les réactions haineuses qui ont suivi sa mort apportent la triste confirmation de son verdict. Pour pouvoir s’incliner, il faut reconnaître plus grand que soi, se sentir redevable, héritier, ce dont notre temps est précisément incapable.
Brigitte Bardot écrit très justement qu’« Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue ». Une époque, dont le cinéma se faisait aussi l’écho, et que beaucoup, parfois même sans l’avoir vécue, se prennent à regretter… Une époque et des individus, libres dans leur façon d’être et d’aimer, quintessence de l’esprit français, que Delon comme Bardot incarnaient merveilleusement.
On lui a souvent reproché sa froideur et sa distance, exactement opposées à la gouaille et la jovialité d’un Belmondo plus accessible et disert. On n’a pas toujours compris la solitude et la mélancolie de cet être comblé par toutes les grâces. On l’a cru misanthrope, aigri. Et sans doute son amour des chiens disait-il sa déception des hommes, lui qui plaçait très haut les vieilles valeurs de fidélité et de loyauté. Cet homme issu du peuple était un aristocrate et savait qu’un chien ne trahit pas.
Finalement Alain Delon est un résidu scandaleux du monde d’avant, qui refusa toujours de communier, dans la liesse obligatoire, à l’avènement du bel aujourd’hui. Son péché capital est évidemment politique. Dans le milieu du cinéma, on est de gauche et on le montre, on fait constamment allégeance à la doxa progressiste, ou si on a le mauvais goût de ne pas en être, on ne la ramène pas. Delon, lui, la ramenait, il n’avait pas le tropisme droitier honteux, et c’est impardonnable. Il n’a pas (à l’exception du César de rattrapage en 2019) été récompensé par la profession à la hauteur de son talent et de sa filmographie, et plusieurs mettent cet « oubli » sur le compte de positions politiques non conformes. Les petits commissaires politiques d’internet s’en donnent à cœur joie, méconnaissant la décence commune qui consiste à ne pas cracher sur les morts de fraîche date : « conservateur en politique, mufle avec les femmes, père laissant à désirer » (où l’on voit bien que la faute première est politique, et que tout le reste apparaît comme une suite logique), « réac », « facho »…
L’insipide Nicolas Mathieu s’est lui aussi fendu d’un commentaire ahurissant de bêtise et de sectarisme : « Delon n’était pas un chic type. Tout de lui semble fait pour scandaliser nos susceptibilités actuelles. » Il reconnaît sa « beauté totale » (c’est bien le moins), mais rien d’autre ne trouve grâce à ses yeux parce que Delon n’était pas dans l’approbation béate de l’air du temps. Crime de lèse-progressisme ! Dans la vision de l’écrivain, inconsistant parangon des vertus du temps présent, gauche égale sympa, droite pas sympa. On a connu plus subtil. Mais Delon, c’est vrai, n’a jamais cherché à passer pour un « chic type », un mec cool prêt à se coucher devant tous les diktats de la modernité et à abdiquer ce qu’il était pour complaire aux nouveaux curés. Delon, qui a soutenu la droite giscardienne ou filloniste, n’a jamais caché son amitié pour Jean-Marie Le Pen, rencontré lors de la guerre d’Indochine. Un os à ronger pour les petits Torquemada, qui voient là la marque du diable, la preuve de l’infamie. De là où il est, on peut penser que Delon les emmerde.
Un plein soleil ne s’éteint jamais. ■ CORINNE BERGER
1. Sur les réseaux sociaux, la sociologue Gwenola Ricordeau a ironisé sur la mort de deux pilotes tués dans un accident en Meurthe-et-Moselle mercredi 14 août.
Remarquable article.
Bof ! La beauté physique est assez inintéressante, en comparaison de celle du ❤️ et de l’esprit, non ?
Oui et non. Je dirai.
L’âme et le corps…
« Les Grands Docteurs veulent qu’elle compose avec le corps une étroite unité »…
Résurrection de la chair … Corps glorieux… la Tradition n’oppose pas les beautés de la création.
Je trouve ça très bien. C’est la modernité qui oppose…
Qu’il soit permis de ne pas partager pas ce goût préférentiel pour une «beauté» que je vais comparativement me permettre de discuter.
Je n’ai rigoureusement rien à redire quant à Alain Delon, sauf que je ne l’ai jamais jugé réellement «grand» acteur, seulement intéressante personnalité de comédien ; personnalité, par exemple, éclipsée par le formidable et déchirant Burt Lancaster dans «Le Guépard»… Mais !!! Mais, et re-mais : les trois Melville, dont le sublimissime «Cercle rouge», avec l’ultime course de Delon chargé du sac de bijoux fatal – bouleversant ! … Mais c’est Melville qui «fait» ce Delon-là et c’est encore Melville qui fait ce que Delon a voulu reproduire, par une sorte d’imitation de ce lui-même melvillien, dans quelques films qu’il a produits ensuite. Quant à sa «beauté», sujet de l’article, comparée à celle de Mick Jagger, et mise en rapport avec ce que Delon pouvait peser intellectuellement, esthétiquement, artistiquement et, surtout, «a-typiquement», on me permettra d’accepter que j’en redise véhémentement : la beauté de Mick Jagger est stupéfiante et, qui plus est, elle stupéfie d’âge en âge, l’âge étant venu pour sublimer les séduisantes esquisses d’hier, jusqu’à l’accomplissement esthétique du vieillard d’à présent, beau comme un sage et véhément Peau-Rouge… Quant à ce qu’il pouvait avoir dans le crâne, il a choisi de le préserver par une discrétion rigoureuse. Je l’ai appris incidemment dans un entretien qu’il a donné, en français, à l’émission «Les Enfants du rock», si je me rappelle bien le titre, voilà quelque chose comme une bonne trentaine d’années : il lui fut soudain demandé comment il se faisait qu’il eût inscrit ses enfants dans une école catholique… Il adressa un gentil sourire un peu ironique à la caméra et il répondit avec son délicieux accent britannique : «Oh ! Cela, je ne crois pas que ce puisse intéresser les enfants du rocks.» Et il n’en dit pas un mot de plus. Or, il est catholique, si je ne m’abuse. On m’objectera «Sympathy for the Devil», à quoi j’opposerai le fait qu’il écrivit cette chanson après la lecture enthousiaste qu’il avait faite de «Le Maître et Marguerite» de Mikhaïl Boulgakov, dans quoi le «diable» est le docteur Woland, non le «diviseur» adversaire, mais celui qui «symbolise» ce à quoi s’expose tout humain acceptant de se soumettre aux complaisances égo-ïstes-tiques-centriques et autres lubricité cérébrales.
La suréminente beauté de Mick Jagger est confirmée par la multiplication de celle-ci comptabilisée par le nombre et la profondeur des rides venues la souligner plus certainement d’année en année.
Et puis, il ne faut pas oublier qu’il y a une grande part d’ironie dans l’activité artistique de Mick Jagger, en particulier, et des Rolling Stones, en général, ainsi, feu Charlie Watts était bien plus occupé de littérature que de rock-culture et il souriait intérieurement en frappant négligemment et mine de rien ses caisses, cymbales et autres «toms»…
Très amusante la photo mise en illustration.
A noter toutefois :
Alain Delon était moins imbu de sa personne que ce à quoi voulaient le réduire des esprits mesquins :
Lors d’ un entretien (re-diffuse à l’occasion de son DC) il répondait au journaliste amenant sur le plateau le sujet de sa beauté, que [s’il avait été une femme, il n’aurait pas été son type d’homme] .
Pour ce qui est de Mick Jagger, autre séquence TV vue il y a quelques années : Un des « frères Boulganov » narrait qu’invité à un dîner mondain, l’on se mit à chercher
le Rockeur qui avait disparu de la réunion avant de le retrouver dans la chambre à coucher de la maîtresse de maison, en galante compagnie.
[Le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas].
Qu’il me soit permis de préciser à David qu’Alain Delon est un grand acteur, beaucoup plus qu’un comédien, lui qui habite ses rôles au cinéma, comme Jeener le demande pour ses acteurs au théâtre. Maintenant si dans le » Guépard » Delon n’a pas le plus beau rôle, comme dans « Rocco et ses frères » c’est la faute à Visconti qui a délibérément choisi de noircir le personnage de Tancrède , qui annonce la bourgeoisie montante – que manifestement Visconti n’aime pas au profit du Guépard rescapé d’un monde qui se sent disparaitre, mais se montre le plus magnifique dans la scène du bal qui symbolise, non sans un raffinement qui plonge dans le temps, un monde qui cède la place, et surtout dans la dernière scène du film quand Burt Lancaster, (le guépard) s’agenouille devant le saint Sacrement porté à un mourant, annoncé par un enfant de cœur avec une clochette, hommage fabuleux à un monde qui s’en va. Par ailleurs la scène du film avec le garde chasse, joué par Serge Reggiani , qui « engueule » littéralement son patron, le guépard pour avoir lâché les Bourbons de Sicile pour la Maison de Savoie, révèle où vont les sympathies de cet aristocrate communiste: Visconti est fasciné par la beauté, mais cette fascination peut aussi conduire à la mort comme dans » mort à Venise ».
Pour revenir à Alain Delon, il était d’une beauté à couper le souffle, ce qui devrait nous inciter à chercher le beau et le vrai, non nous contempler et nous laisser piéger dans une consommation de soi purement narcissique. Toute sa vie il a cherché à exorciser ce piège, et le meilleur service à rendre à cet immense acteur, c’est de le remercier des moments de grâce qu’il nous a offert, pour s’en délivrer. Par son professionnalisme, , son exigence, il a creusé son talent, dépassé ses déchirements, exorcisé ses démons.. Il ne tient qu’à nous d’aimer malgré tout ce monde, en montrant qu’on peut dépasser sa finitude et trouver sa vocation, Question de travail. Combien dérisoire les polémiques à son propos!.
Cher Henri, ce n’est pas parce que quelqu’un est mort «dans le civil» qu’il faudrait s’agenouiller devant lui pour ce qui fut sa «vocation». Je suis en mesure de débattre «techniquement» sur la différence entre comédien et acteur, et encore, distinguer ces deux aspects de ce que j’appellerai des «personnalités» en art dramatique, au nombre desquelles je compte Alain Delon. Il n’y a aucune «polémique» là-dedans, mais de la considération pour «LE métier» (comme on disait autrefois dans ce milieu). Ainsi, par exemple, on sait que Delon s’est vu plus ou moins bombardé comédien sans rien savoir et a suivi le conseil de je ne sais plus quel réalisateur, lequel, comme seule direction d’acteur, lui a dit : «Ne joue pas, vis.» Et Delon a suivi cette direction. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais un fait. Voilà ce que j’appelle ici une «personnalité».
Cher Henri, lorsque je compare Burt Lancaster et Alain Delon dans «Le Guépard», cela est sans aucun rapport avec ce qui a été scénario pour les rôles qu’ils y tiennent respectivement ; seulement, Burt Lancaster accomplit là un travail d’acteur, en grand artisan de cet art, tandis que Delon «vit» le personnage sans que celui-ci diffère en notablement de celui de «La Tulipe noire», par exemple (sensiblement de la même époque, sauf erreur).
Par ailleurs, «dans le civil», avant une carrière de comédien, Delon s’essaya militaire, apprenti truand, vague gigolo et je ne sais quoi d’autre… C’est assurément pittoresque. Cependant, en matière de «beauté», cela donne un aperçu esthétique du genre de celle-ci. Ici encore, je pourrais exposer ce que l’on peut en dire de manière rigoureusement «technique» et discuter âprement la question du lieu commun voulant que «les femmes cèdent à la séduction des mauvais garçons». Eh bien ! ce sont surtout les hommes qui y sont réellement sensibles et, qui plus est, les hommes se voulant les plus «virils» vont y céder les premiers. C’est un aspect du psychisme strictement masculin – et de tendance exclusivement moderne – que nul n’a étudié jusque-là et que je n’ai aucune envie d’observer de plus près, quoique je sache le repérer aussi sûrement que je repère l’alcoolique véritable (celui qui souffre de cette maladie)…
Alain Delon est un type sociologique archi-moderne ; si cela n’afflige en rien ses qualités propres, ce seront pourtant ses travers qui, socialement, compteront le plus pour la «réussite» de ses entreprises, quelles qu’elles soient.
On établit un différentiel avec Belmondo ; c’est «techniquement» absurde : les deux types ne sont pas à mettre en parallèle. En revanche, la comparaison avec Maurice Ronet s’impose, à tous les points de vue, jusqu’à celui de la concurrence ou de la compétition, et aussi, sans aucune idée de valeurs respectives mais pour un contraste rigoureux, avec Laurent Terzieff… Je laisse le soin aux «connaisseurs» de réfléchir à ces questions.
Alain Delon «débarque», à la fin d’un temps de très grands comédiens et acteurs français, temps pour lequel la satanée Nouvelle Vague est devenue la «bise vente» (pour reprendre Rutebeuf) et «le vent les a ôtés». Temps de pitoyables «relativisme» et «individualisme», misérablement «starificateurs»…
Aaaaah ! s’il vous plaît : Louis Jouvet (et sa formidable «beauté», je le dis au passage), Alain Cuny, Jules Berry, Michel Simon, Marcel Herrand, Harry Baur, Pierre Brasseur, Louis Salou, Michel Lonsdale, Jacques Dufilho, Roland Dubillard, bien d’autres encore, et ce sont des exclamations aussi bien que des acclamations.
Comme le reste, l’art dramatique français a été bouleversé et mis cul par-dessus tête par la Seconde Guerre mondiale, la colonisation culturelle américaine, celle de la guerre d’Algérie et la soixantehuitardise, c’est là-dessus que s’est faite la vogue Alain Delon, d’un côté, et celle Depardieu-Dewaere, de l’autre, avec la notion interlope des «beautés» afférentes. Or, la Beauté n’est faite humaine que pour nous donner une approximation sensible de la Vérité, qui est tout intellectuelle ; c’est pourquoi il ne faut jamais se laisser séduire par sa relativisation et les mauvais charmes avec lesquels cette dernière peut nous abuser – ce que l’on appelle «la beauté du diable» ; non en tant qu’elle serait effectivement la sienne, mais en tant que nous serions tentés de pouvoir la refléter…
Cher David, nous sommes bien d’accord sur un point au moins: je ne crois pas à la beauté du diable, mais à sa séduction hélas, et il me semble que comme » personnalité » et son charme ambigu Alain Delon nous met au pied du mur : le jeu des regards dans » la Piscine « et « Plein soleil » est quand même saisissant, pour ne pas dire plus, et peut révéler bien de nos abîmes intérieurs. C’est tout ce que je voulais dire.
. . NB Je salue une vocation, mais je ne m’agenouille que devant le Saint Sacrement, comme le Prince Salina, et là il n’y a aucune ambigüité!