Par Pierre Builly.
L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski (1975).
Grand film baroque.
Introduction : Le photographe Servais Mont (Fabio Testi) rencontre la comédienne Nadine Chevalier (Romy Schneider) sur le tournage d’un film pornographique sanguinolent qu’elle est contrainte d’accepter pour survivre et faire survivre Jacques (Jacques Dutronc), son mari, onirique et désespérant. Après avoir pris quelques clichés de Nadine en plein désarroi, il finit par être expulsé par l’équipe technique du film. Servais travaille habituellement pour un certain Mazelli (Claude Dauphin), un maître chanteur qui le force à prendre des photos sordides.
Combien de défauts dans ce film fatigant et bouleversant ! Des défauts considérables, évidents, outranciers, terrifiants…
Le titre, d’abord, d’une rare idiotie, suggéré, indique Zulawski dans une intéressante interview, par un des distributeurs. Niais, connivent, compassionnel, empathique, je ne lui vois pas de rapport avec le film, autre que la fin et les retrouvailles de Romy Schneider et de Fabio Testi, tout autant niaises, compassionnelles, conniventes et empathiques, et, en plus, invraisemblables (du moins dans la durée).
La musique, une des pires compositions de Georges Delerue, pompeuse, claironnante, d’une extrême médiocrité. Zulawski a beau dire, dans l’interview précité, qu’il était très satisfait du thème principal, on ne le voit pas très enthousiaste pour le reste… Et puis la nullité totale de l’intrigue, cette histoire tordue, invraisemblable, ennuyeuse, mélodramatique entre les protagonistes du trio amoureux, la comédienne médiocre, le raté lunaire, le photographe douteux…
Seulement, évidemment, cette intrigue infantile est la trame du récit et on est obligé de la subir, d’en (pré)voir les développements et circonvolutions, d’en accepter les puérilités. Et c’est dans les coins qu’il faut trouver toutes les qualités du film. Et elles sont nombreuses.
D’abord l’atmosphère, la saleté de l’atmosphère… je connais peu de films aussi écœurants, aussi saisissants dans l’exhibition des pustules du monde, dans son ignominie. La galerie des horreurs exploitées par l’immonde Mazelli (Claude Dauphin), et dont on perçoit bien, dans le propre confort de sa vie, qu’elles existent (qui prend les photos porno ? qui fait du chantage sur les partouzes ? qui est le paparazzi traqueur d’images obscènes ?), la galerie de ces horreurs nous arrive en pleine figure, sans fioriture, sans préambule, sans dissimulation…
Et la galerie de cinglés, de saligauds, d’horreurs diverses est à faire cauchemarder : on est plongé d’emblée dans un monde à vomir, le nabot sadique à chapeau mou et matraque, l’homo perruqué des photos porno prises avec un noir bodybuildé, la vieille gouine à gode-ceinture, tout un enfer dominé par la figure doucereuse et écœurante de Mazelli (Claude Dauphin).
Claude Dauphin est un acteur étonnant. Physique anodin, bonhomme, passe-partout. Et, en même temps, une capacité de cruauté bluffante : Félix Leca de Casque d’or et ce Mazelli de L’important, c’est d’aimer, deux figures de crapules remarquables.
Je n’ai jamais vu meilleur qu’ici Roger Blin, qui joue le père de Servais Mont (Fabio Testi), père lâche, veule, gluant. Michel Robin, total alcoolique enivré de livres, Guy Mairesse, metteur en scène cinglé, Gabrièle Doulcet, la femme de Mazelli, sucrée, abjecte, misérable.
Et naturellement, je n’évoque pas Kinski, dont on peut penser ce qu’on veut, qui a joué davantage de bêtises, quelquefois même infâmes, que de bons films, mais qui, lorsque le rôle correspond à son intrinsèque folie, peut y être éclatant. Et c’est le cas ici. Comme c’est le cas de Jacques Dutronc, léger, désinvolte, creux, pathétique, méprisable, magnifique.
Quant à Romy Schneider, qu’en dire ? Ce n’est pas là, sûrement, et loin de là, son meilleur rôle, affaibli par la bêtise de l’anecdote… Mais sa beauté triste, accablée, profonde, y est magnifique…
Certains ont pu comparer, à l’époque L’important c’est d’aimer avec les chroniques de Claude Sautet (Les choses de la vie, César et Rosalie, etc.). Quelle absurdité ! le cinéma de Claude Sautet est un cinéma absolument français et classique : le plus classique et le plus français qui se puisse : mesure, harmonie, rationalité ; c’est Versailles ! Le cinéma de Zulawski est le cinéma d’un Slave, baroque, excessif, plein de mauvais goût et de coups de génie… Comment comparer ?
L’important c’est d’aimer est un film d’un merveilleux mauvais goût, puéril (le parallèle entre les premières et dernières images : les deux amants, Schneider et Testi, l’un, puis l’autre couverts de sang, l’une au début, l’autre à la fin), jouant trop sur le pathétique et le sordide.
Mais qui peut l’oublier ? ■
DVD autour de 10€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Il fallait savoir débrouiller les contradictions insolubles produites par ce film… Pierre Builly s’en est débrouillé lui-même, en sachant ne céder à rien – avec sévérité, qui est rigueur. Je regrette seulement qu’il n’ait pas tressé les lauriers que Klaus Kinski appellent à cor et à cri.
Pierre Builly dit de Roger Blin qu’il apparaît ici sous son jour le plus beau – au cinéma, sans doute..
Il faut ajouter que c’est dans ce film-là que l’on peut mesurer la dimension tragique de Kinski : la scène où il donne le plus hallucinant Richard III qui se puisse espérer – je crois me rappeler (sans être tout à fait sûr su souvenir) que, sur les scènes allemandes, Kinski aurait été un acteur shakespearien reconnu – et sa dimension aristocratique, aussi – il a revendiqué une ascendance polonaise noble, celle des Nakszynski…
C’est avec ce film que Dutronc s’est révélé comme, à mon avis, le plus grand acteur français de sa génération (et de quelques autres suivantes).
Et Claude Dauphin ! terrifiant…
Ce film, que je n’ai pas revu depuis sa sortie, pour la raison majeure qu’il est effectivement odieux, laisse pourtant une empreinte indélébile chez n’importe quel amateur d’art. Je crois que cela tient à deux facteurs, étroitement liés entre eux : certains acteurs ébouriffants, que j’ai nommés, et la capacité du réalisateur à les diriger (ou à leur laisser la bride sur le cou jusqu’à leur ultime extrémité)…
Pierre Builly observe au passage que ce ne serait pas le «meilleur rôle» de Romy Schneider… Pour ma part, je me souviens, tout au contraire, avoir jugé ce rôle comme son meilleur (avec, un peu plus tard, celui tenu dans «Clair de femme»). Je n’ai d’ailleurs jamais compris l’engouement généralisé pour cette comédienne…
Outre les acteurs et leur direction exemplaire, ce film vaut pour ce qu’il est une folie reflétant l’horreur moderne ; seulement, je soupçonne Zulawski de céder à la complaisance…
Pour rendre l’horreur déshumanisante «supportable» à la conscience de tout individu bien né, il y a nécessité impérative de FOI, d’ESPÉRANCE et de CHARITÉ ; or, je juge aujourd’hui que, en telle matière vertueuse, ce quelqu’un nommé Zulawski, s’est entièrement remis à ce qu’en pouvaient recéler l’âme de ses acteurs.
Pour finir, je reviendrai à Klaus Kinski… Pierre Builly nous signale qu’il a pu sombrer jusqu’à se satisfaire de films «infâmes» ; c’est, malheureusement, un fait Mais, outre ce qu’il a pu donner au théâtre – que nous n’avons pas pu connaître –, il faut se le rappeler surtout dans le fugitif méchant bossu d’«Et pour quelques dollars de plus», de Sergio Leone (première fois que je le vis à l’écran), dans le sadique chasseur de primes du remarquable «Grand Silence» (de Sergio Corbucci, sauf erreur), dans le Renfield des «Nuits de Dracula» (de je ne sais plus qui), et, forcément, dans «Aguirre, la colère de Dieu», de Werner Herzog – il en est l’âme absolue, conjointement avec la forêt amazonienne, ce qui n’est pas peu dire…
Bref, je sais infiniment gré à notre Pierre Builly d’avoir tenté et réussi la gageure de parler de cet «Important c’est d’aimer», dont, réflexion faite, le titre n’est peut être pas aussi niais qu’il y paraît au premier coup d’œil…
L’Important c’est d’aimer est excessivement théâtral.
La surabondance d’émotions fatigue, et le film laisse peu de place à l’espoir ou à la légèreté.
Il n’y a presque aucun répit dans l’intensité dramatique, ce qui le rend difficile à regarder pour ceux qui cherchent une narration plus équilibrée.
Pierre Builly a superbement analysé les fores et tles faiblesses de ce film fou et déjanté. quelques pépites dans une grande confusion. Mais enfin il s’y passe quelque chose. Quant à Claude Sautet, oui, le réalisateur d e César et Rosalie, désolé, il ne passe finalement rien : malgré le talent des acteurs; on effleure une histoire sans la creuser, c’est très cinéma français. Ce n’est que mon avis, éminemment contestable, et il va rendre furieux certains mais enfin il fallait que je dise un jour
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Que de choses à dire sur cette suite d’excellents messages, chers camarades !
@Paul Léonetti : tu as raison, vieil ami, « L’important c’est d’aimer » est un film profondément déprimant qui ne donne sur l’âme humaine que des aperçus salis ; mais on ne peut pas faire semblant de croire que ça n’existe pas. Je crains, malheureusement, que la réalité soit plus proche du film de Zulawski que des délicieuses histoires des « Quatre fille du docteur March » ou de « La mélodie du bonheur », films que, par ailleurs, j’aime infiniment.
@David Gattegno : vous avez parfaitement raison de défendre et de célébrer l’immense acteur Klaus Kinski ; je donnerai quelque jour une chronique sur « Aguirre, la colère de Dieu » où il est époustouflant comme l’est le film. Par ailleurs « Les nuits de Dracula » est l’oeuvre de l’incroyable Jésus (ou Jess) Franco, réalisateur de nanards de très grand talent. De nanards horrifiques et pornographiques (films qui présentaient des scènes « hard » différentes en fonction de la censure des pays où ils étaient montrés). « Les nuits de Dracula » sont la plus fidèle adaptation que je connaisse du roman indépassable de Bram Stoker. Film minable mais avec des instants de grâce horrifique – si on aime ça -. En tout cas Kinski, en Renfield, l’esclave de Dracula est remarquable.
@Henri ; Comme ç, comme David Gattegno, tu n’apprécies par Romy Schneider (même « La piscine » ?) et tu n’apprécies pas Claude Sautet ? Que dire ? J’ai un avis bien inverse, mais « de gustibus… »
Si j’apprécie Romy Schneider,( et bien sûr elle est fabuleuse dans la piscine ) mais si elle est une présence extraordinaire dans le film de Sautet , elle le porte à bout de bras , elle ne le sauve pas totalement, et le film reste en deçà des mes attentes . . C’est Sautet que je visais. ( A tort ou à …)