Cette tribune a été publiée le 24.09 dans Le Figaro. Contrairement à sa présentation, nous ne parlerions pas « du service que rendent les familles à la société ». Il n’y a en effet tout simplement pas de sociétés humaines naturelles sans familles. Elles ne rendent pas un service à… elles sont la société. Affaiblies ou dissoutes, elles forment des sociétés affaiblies ou dissoutes. Pour le reste, on lira avec profit cet intéressant article sur ce sujet majeur. JSF
Par Elizabeth Montfort.
TRIBUNE – Après l’éviction de Laurence Garnier, la nouvelle ministre déléguée à la Famille et à la Petite enfance, Agnès Canayer, devra mener une politique familiale à la hauteur du service que rendent les familles à la société, estime Elizabeth Montfort.
Elizabeth Montfort est ancienne députée européenne et directeur de recherche à l’Institut Thomas More.
Changer son regard sur la famille oblige à considérer que la politique familiale est une juste reconnaissance pour le rôle social, moral, culturel et économique exercé par les familles.
Le premier ministre Michel Barnier a annoncé la composition de son gouvernement. Laurence Garnier, sénatrice de Loire Atlantique, un temps pressentie au ministère de la Famille, a fait les frais d’un tir de barrage. Motif ? Son engagement passé contre le mariage de personnes de même sexe et contre l’adoption par ces couples – comme l’immense majorité des parlementaires UMP, UDI et Modem. Elle a finalement été nommée secrétaire d’État chargée de la consommation.
La police de la pensée progressiste a donc frappé – avec succès – en condamnant a priori une femme qui connaît le terrain, mesure la déchirure du tissu social à laquelle la famille devrait être la première solution et aurait pu, qui sait, tenter de remettre sur pied une politique familiale méticuleusement débâtie sous les présidences Hollande et Macron. Sa remplaçante Agnès Canayer aura-t-elle les mêmes exigences, alors que certains s’indignent déjà de l’appellation dudit ministère «de la Famille et de la petite Enfance» ?
Ce constat oblige à se poser la question de la finalité de la politique familiale. Notre pays est proche de la cote d’alerte en matière d’évolution de sa démographie. Régulièrement, l’Insee nous fournit les chiffres de la démographie française. Alors que le taux de fécondité de la France était un modèle en Europe – 25% plus élevé que la moyenne européenne, elle a perdu cet atout en dix ans (le taux de fécondité est passé de 2% entre 2006 et 2014 à 1,7% en 2023). Oui, nous pouvons parler d’atout, car une fécondité dynamique est un indicateur de bonne santé d’une société et un signe de sa confiance en l’avenir.
Au contraire, une fécondité en berne ne permet plus de renouveler les générations, exprime une méfiance dans l’avenir et freine le dynamisme économique d’une société. Depuis plusieurs années, le pouvoir politique n’aide pas les familles à satisfaire leur désir d’enfants : fin de l’universalité des allocations familiales, plafonnement du quotient familial, réforme à la baisse du congé parental pour concilier vie professionnelle et vie familiale, insuffisance du nombre de crèches, ralentissement de la construction de logements, etc.
La politique familiale ne répond plus à sa mission. Car il ne s’agit pas d’une politique de redistribution, mais de compensation en juste reconnaissance du service rendu par les familles à la société tout entière, et non exclusivement sur le plan économique. Même le financement des retraites (pourrons-nous continuer à financer les retraites par répartition ?) et la résolution de la dette abyssale sont des sujets qui ont à voir avec l’enjeu démographique.
N’oublions pas, ensuite, que la famille est le premier lieu d’accueil de l’enfant, le lieu des premiers apprentissages de la vie en société et le lieu de la découverte des personnes différentes. Plus généralement, ainsi que le rappelle la Déclaration universelle des droits de l’homme, «la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État» (article 16, alinéa 3). Lieu de solidarité entre ses membres, la famille peut aussi servir de modèle dans toutes les politiques locales pour retisser le lien social distendu ou rompu entre les générations et entre les citoyens et rejeter l’individualisme conquérant.
Ainsi, la famille est en quelque sorte la matrice de toute organisation sociale, une sorte de chaînon et de corps intermédiaire, ce dont les progressistes se méfient, eux qui ne connaissent que l’individu et l’État. Pourtant, la famille garantit la cohésion sociale minée par tant de comportements individualistes qui entraînent la solitude : solitude des jeunes éloignés de leur famille, solitude des mères isolées plus fragiles et financièrement plus vulnérables que les familles traditionnelles, solitude des personnes âgées laissées dans les Ehpad ou ailleurs.
La réalité est que la famille ne joue plus le rôle d’amortisseurs des aléas ou des blessures de la vie. Notamment parce que la politique familiale est l’angle mort de tous nos responsables politiques depuis plus d’une décennie. Deux raisons à cela : l’une financière, l’autre idéologique. Faute de donner du sens aux décisions qu’ils prennent, les responsables politiques ont une vision à court terme et réduisent la politique familiale à une politique sociale fondée sur des allocations ou des aides financières, s’interdisant ainsi de construire une société pacifiée durable. Et pour ces responsables politiques, la famille est suspecte, car elle maintiendrait une société patriarcale.
Pour atteindre l’«égalité réelle», il leur paraît nécessaire de déconstruire la famille, l’homme ou le père, la filiation, le genre, etc. et se soumettre à la toute-puissance de l’individu souverain qui se choisit ses intérêts dans une société où règnent en maître le «wokisme» et la «cancel culture». Le mouvement «No kids», au motif que les enfants seraient un inconvénient pour la planète, en est la sinistre illustration. Année après année, les lois se sont succédé, toujours plus transgressives, mais n’ont pas résolu les questions de solitude ou de mal-être. Nous pouvons dire, études après études, qu’elles les ont même aggravées. Il est urgent de regarder la famille pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle coûte. Est-il possible d’inverser la tendance ? Oui, à condition de sortir de l’ambiguïté et de l’idéologie.
Changer son regard sur la famille oblige à considérer que la politique familiale est une juste reconnaissance pour le rôle social, moral, culturel et économique exercé par les familles. Elle n’est en rien une variable d’ajustement par rapport aux revenus des ménages qui relève de la politique sociale notamment sur son aspect redistributif. La nouvelle ministre Agnès Canayer nous entendra-t-elle ? Il y a urgence à réparer le tissu social déchiré de la France. Et cela ne pourra se faire sans le rétablissement d’une politique familiale au service de tous. ■ ELIZABETH MONFORT