Par Pierre Builly.
Les diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955).
L’ombre d’un doute.
Introduction : La femme et la maîtresse de Michel Delasalle, directeur d’un pensionnat de garçons, ne supportent plus la tyrannie brutale de cet homme. Elles organisent minutieusement son meurtre et jettent le corps dans la piscine de l’établissement. Mais quelques jours plus tard, le cadavre disparaît mystérieusement.
À l’entrée des salles de cinéma qui présentaient le film et qui étaient denses, parce que Clouzot était un cinéaste d’immense notoriété, au somment de son succès après Le salaire de la peur de 1953, il y avait un panneau qui indiquait à la file qui patientait : « Ne soyez pas diaboliques. Ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu ». Opération de parfait marketing qui se réitérait dans le générique final.
Et qui était parfaitement justifiée.
Cela étant, il y a toujours des choses à écrire sur Les Diaboliques, qui est vraiment une parfaite réussite, au-delà de ses invraisemblances qu’on pourrait qualifier aussi d’ambiguïtés, qu’on ne remarque guère, toutefois, que lorsque l’on a vu plusieurs fois le film et que l’on peut fixer plus calmement son attention sur les développements et les ressorts de l’intrigue. Et parfaite réussite dès le générique, qui est pourtant un seul plan fixe : l’image de la piscine visqueuse, huileuse, sale, gluante, envahie par les algues, sur quoi tombe une méchante petite pluie de printemps ; tout cela sur une musique grinçante de Georges van Parys qu’on n’entendra plus qu’à la fin.
Une partie de la qualité du film est l’intégration très réussie par Clouzot de plusieurs thèmes qui s’enchâssent, se répondent et dialoguent intelligemment jusqu’à ce que la nécessité de la révélation terminale avec sa machinerie horrifique prenne un peu trop le devant de la scène (mais les ultimes images et leurs formidables incertitudes rehaussent cette toute petite baisse de niveau).
D’abord le monde si particulier des internats privés où des milieux plutôt aisés plaçaient à grand frais des rejetons généralement peu doués pour les études ou particulièrement indisciplinés. Avant la loi Debré de 1959, qui leur octroya sous contrat des aides publiques, ces établissements avaient toute latitude dans le choix des programmes et la sélection des enseignants. D’où le ramassis singulier de professeurs insolites, dépourvus de diplômes ou affligés de tares douteuses qu’on y trouvait (revoir Les disparus de Saint Agil ou Topaze). Dans Les Diaboliques, certaines des meilleures séquences sont celles des relations obséquieuses entretenues par le personnel du collège (Pierre Larquey, extraordinaire, Michel Serrault et l’homme de peine Jean Brochard) avec son tyrannique directeur Michel Delasalle (Paul Meurisse, un soupçon trop âgé pour le rôle : censé avoir 34 ans, il en avait déjà 42).
Autre thème, flamboyant et sulfureux, qui s’éclaire davantage encore lorsque l’on a quelques lumières sur les orientations érotiques de Clouzot (voir, si l’on est curieux, La Prisonnière) et son sadisme notoire vis-à-vis de ses acteurs (sa femme Véra Clouzot, mais aussi Cécile Aubry dans Manon ou Brigitte Bardot dans La vérité). À l’époque (serait-ce d’ailleurs vraiment différent aujourd’hui ?), le triangle sexuel (je n’écris évidemment pas triangle amoureux) formé par Delassalle/Meurisse, sa femme Christina/Véra Clouzot et leur maîtresse Nicole Horner/Simone Signoret avait fait scandale. Et si j’ai écrit leur maîtresse, c’est que, sauf à ne pas voir l’évidence, la relation homosexuelle des deux femmes ne fait pas de doute.
Pas davantage que le masochisme de Christina et l’impact charnel qu’exerce Delassalle sur les femmes (brève séquence dans le train qui le conduit à Niort, où il capte le regard d’une oie blanche).
Troisième orientation : l’intrigue meurtrière proprement dite, qui s’engage avec le voyage à Niort, dont était originaire Clouzot, Niort filmée sans complaisance et même avec un certain mépris. Province, désert sans solitude, selon le mot de François Mauriac, rues pavées étroites et rancies, couple effarant de mesquinerie (et délicieux de talent, Noël Roquevert et Thérèse Dorny), appartement mesquin. Delassalle boit son whisky drogué (ou non ?) comme si c’était du vin, et l’on perçoit bien là combien ce breuvage, en 54, était presque exotique (d’ailleurs Nicole le dit : Je n’en ai jamais bu). Violence de l’assassinat. Retour à Saint-Cloud.
Puis irruption d’un commissaire à la retraite fouineur et matois, Alfred Fichet/Charles Vanel. Je suis moins satisfait du film, à partir de ce moment-là, le trouvant plus banal et plus convenu, malgré la scène surréaliste de la chambre du meublé où le valet de chambre (Jean Temerson) brouille les pistes (Personne n’a jamais vu M. Delassalle). Et les dernières séquences, ombres angoissantes, rais de lumière sous les portes, grincements, bruits étranges, hurlements. Du Mario Bava qui ne s’insère pas parfaitement dans le puzzle… Jusqu’à cette fin incertaine et presque ouverte.
Et finalement ces Diaboliques demeurent haletantes jusqu’au bout, surprenantes, angoissantes, terrifiantes. On a beau les voir et revoir, on s’y laisse toujours prendre. ■
DVD autour de 30€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Superbe ce film, vu et revu à la télévision.
Curieux comme le cinéma des années 40 et 50 semble avoir été à son âge d’or, mais enfin, ce n’est que l’avis d’un béotien et qui n’est point cinéphile de surcroît.
Il y a tant de » navets » à l’heure actuelle (depuis une bonne quarantaine d’années devrait on dire) que l’on ne va au cinéma qu’une fois par an au maximum.
Bien entendu, mais cela a déjà été dit et redit, les chroniques de Pierre Builly sont une vraie »malle aux trésors », libre à chacun de laisser de côté les films scabreux parfois présentés.
Comment ne pas penser à ce film de Pasolini (de mémoire) Salo ou quelque chose comme ça, où m’avait traîné un camarade, à mon grande déception.
Des spectateurs quittaient la salle avant la fin du film ; ils avaient raison. Mais enfin, et pour conclure, à propos de ce film Pasolini, il y a des fantasmes qui en disent long sur ce qui les conçoivent.
Merci de lire *à mon grand désappointement* et non *à mon grand déception*
« Les Diaboliques » est un film d’une grande subtilité psychologique, une œuvre pionnière dans l’art du thriller et du suspense. Il a influencé toute une génération de cinéastes et reste un incontournable pour les amateurs de cinéma. Malgré quelques lenteurs, il reste un modèle d’efficacité dans la construction du suspense et un chef-d’œuvre de la manipulation cinématographique.