Le flamboyant-de-salon BHL vient donc de publier une lettre de Polanski, valant remerciement pour ces innombrables anonymes qui -il l’assure – l’ont assuré de leur soutien. On n’a aucune preuve de ce que Polanski affirme (qu’ils soient une telle masse à l’avoir soutenu) mais BHL s’en fiche, il le croit. Et, du coup, cela veut dire qu’il avait raison de soutenir son copain Roman.
Donc, il persiste et il signe, BHL. Il n’y a pas de loi commune, s’imposant à tous, et partout. Ou plutôt, si: il y en a une, de loi commune: pour la plèbe, pour le vulgum pecus, pour vous et moi, c’est-à-dire le commun des mortels. Mais « eux » en sont exemptés. Qui donc, « eux » ? Mais, « eux », bien sûr, l’élite, les guides de la pauvre piétaille que nous sommes, incapable de rien comprendre à rien, et à qui il faut qu’en permanence ses guides (BHL par exemple…) disent quoi faire et quoi penser.
Et, pour cette piétaille, là oui, il faut une loi, et même sévère: par exemple, la pédophilie est un crime odieux. Mais plus si elle est pratiquée par un de la haute. Vous ne comprenez pas ? C’est normal, vous n’en faites pas partie, de la haute…
Comment BHL qui, malgré tout, n’est pas un sot, ne voit-il pas qu’en agissant de la sorte il donne des arguments à l’hydre que, par ailleurs, il appelle à combattre ?…
Ce qu’il y a de déplaisant et même de choquant, dans l’affaire Polanski, c’est la manière dont le monde du spectacle, des paillettes, du bling-bling, ce monde qui n’avait pas pétitionné en faveur des innocents incarcérés dans le désastre d’Outreau, obéit à un réflexe corporatiste, communautaire, dès qu’il s’agit de défendre l’un des siens, contre lequel les chefs d’accusation ne sont pourtant pas négligeables et dont les droits à la défense sont garantis.
La pétition proposée par la Revue La Règle du jeu, que dirige BHL s’achève sur ce paragraphe : « Nous demandons à la justice fédérale helvétique de le remettre en liberté immédiatement et de ne pas transformer ce génial cinéaste en martyr [sic] d’un imbroglio juridico-politique indigne de deux démocraties telles que la Suisse et les Etats-Unis. Le bon sens, autant que l’honneur, y invitent ».
Pourquoi avoir inscrit le mot « honneur » à cette place ? Par souci de grandiloquence je suppose?
Face à ce ce communautarisme, le « commun des mortels » , pourrait rappeler ce mot connu de Surcouf : à un officier anglais qu’il venait de vaincre et qui lui lançait, amer, « Nous, les Anglais, nous nous battons pour l’honneur, vous, les Français, vous vous battez pour l’argent », le célèbre corsaire malouin avait répondu : « Chacun se bat pour ce qui lui manque ».
Il ne faut tout de même pas cacher que ceux qui ont non pas défendu, ce qui aurait pu, à la rigueur, se comprendre, au nom de telles ou telles circonstances atténuantes, mais encensé Polanski et lancé tous leurs feux, toutes les flammes de l’indignation, de la haine, du mépris, de la vindicte ou de l’opprobre, contre les pauvres gens qui ne partageaient pas leur admiration pour Polanski et leur indignation, en brandissant, sur tous les médias, parfois sur un mode assez hystérique, leur moralisme à rebours, ceux-là l’ont fait essentiellement pour des raisons d’appartenance communautaire.
Citons des cas très différents : Gabriel Matzneff a pris parti pour Polanski par soldaité d' »esthéte », en réalité par solidarité pédophile.
Ce n’est le cas ni de Bernard-Henri Lévy, ni d’Alain Finkielkraut. Je crois leurs raisons de défendre Polanski, chacun selon sa manière, à la fois différentes sur ce qui est accessoire et, sur l’essentiel, semblables. Même s’il me paraît tout à fait exclu de songer à mettre ces deux personnalités dans le même sac, ce que Finkielkraut, malgré sa détestable position dans l’affaire Polanski, ne mérite, selon moi, vraiment pas.
La raison accessoire de BHL, c’est, avec Polanski, sa solidarité paillettes et bling-bling, dont parle Thulé, dans le commentaire précédent. Il fait, en effet, aussi partie de ce monde. La raison principale, c’est, tout simplement, la solidaité juive, qui n’a, d’ailleurs, rien d’inexplicable ni de honteux, sauf qu’elle éprouve, ici encore, le besoin, comme c’est courant, de se cacher sous les mobiles de la morale, de la démocratie, des droits de l’homme, des prétendus droits spécifiques des artistes en matière de morale privée, etc .. etc ..
La position d’Alain Finkielkraut n’a rien à voir avec les paillettes et le bling-bling. Ce n’est pas son genre. A mon sens, son indignation, sa colère, ses imprécations, même, n’ont qu’une raison, qui est, aussi, la solidarité juive. (Il aurait fait beau voir que les faits reprochés à Roman Polanski aient été commis par un quelconque Tarek Ramadan !)
Cela prouve que, malgré la mondialisation, il est des gens, fussent-ils des « intellectuels », des groupes, pour qui la puissance des racines, n’est pas un vain mot.
On peut les comprendre, même si l’attachement aux racines, n’excuse ni n’explique tout à fait, la mauvaise foi, et la négation de toutes règles communes.
Qu’en est-il de notre attachement collectif aux racines historiques de la France ? Là est, en fait, le seul et vrai problème.
Puissance des racines d’autant plus grande que, tels les Toltèques et les Hilotes face aux Aztèques et aux Laconiens, nous n’avons pas le droit de lever les yeux sur elles, ni même de les nommer. Vous êtes une briseuse de tabous, chère Lori!
Je choisis la pureté, par Michel Onfray
BHL a le droit de défendre la pédophilie et le tourisme sexuel sous couvert de soutenir un ami probable, mais pas avec n’importe quel type d’arguments. Nous n’avons pas le même passé, ni la même enfance, et de loin. Pour ma part, j’ai connu pendant quatre années la terreur dans un orphelinat parce que quelques prêtres y étaient pédophiles. Je n’ai pas été leur proie, mais ça, on le sait plus tard, quand on quitte l’enfer dans lequel on a vécu de 10 à 14 ans. Après ça, plus grand-chose ne saurait nous faire peur.
Dès lors, on comprendra que j’aie du mal à voir les prédateurs défendus et les proies oubliées. Il me semble ne pas avoir un sens sélectif de la justice et encore moins décider de mes indignations suivant le faciès. Car, comme il y a délit de faciès dans le racisme ordinaire, il y a délit de faciès, positif, dans le cas du joli minois sociologique. Parce qu’on est cinéaste de renom ou ministre, on ne serait pas soumis aux mêmes lois que tout le monde ? Si crime il y a, qu’est-ce qui justifie qu’on se démène pour faire échapper tel ou tel à l’exercice normal de la justice ? Sodomiser une fille de 13 ans après l’avoir alcoolisée, est-ce un crime, oui ou non ? Que la victime ait renoncé à sa plainte après remise d’un chèque ne change rien : la justice n’est pas l’affaire du coupable ou de la victime, mais des magistrats. Pratiquer le tourisme sexuel avec des mineurs prostitués, est-ce un crime, oui ou non ? De s’en être rendus coupables en Thaïlande, des quidams se sont retrouvés derrière les barreaux, pourquoi pas ceux qui sont dans le Who’s Who ?
BHL pense que, quand Marine Le Pen dit que la justice doit être faite, il faut qu’elle ne soit pas rendue parce que c’est la fille de Le Pen qui le demande. Etrange conception de la justice. BHL pense que, quand le porte-parole du PS signale que dans cette affaire on doit se soucier de justice, il dit comme Marine Le Pen et que, voir plus haut, il ne faut pas que justice soit faite. Etrange conception de la justice. Il faudrait préférer l’injustice sans Marine Le Pen plutôt que la justice avec elle ? Mais la justice passe avant les beaux yeux de cette dame qui peut ici dire vrai, comme il peut arriver à BHL de dire faux. BHL pense que demander le règne de la loi, c’est se faire complice de l’ordre moral et, conséquemment, emboîter le pas à Villiers ou Christine Boutin : or, la morale n’est pas affaire de moralisme benêt mais de justice sociale. BHL pense qu’un pédophile qui avoue son crime est courageux, alors qu’un être soucieux de justice devient un «brigadiste des mœurs». Etrange conception de la justice.
Le pire dans cet article : l’amalgame. Assimiler le violeur de petites filles et le pédophile pratiquant le tourisme sexuel à Léon Blum faisant l’éloge de l’adultère dans la Revue Blanche, à Malraux fumant de l’opium, à Rousseau écrivant ses Confessions,c’est un paralogisme de normalien. Inutile d’argumenter : la mauvaise foi saute aux yeux. BHL on le sait, trouve la pureté dangereuse mais ça n’est pas une raison pour trouver l’impureté délicieuse. J’ai choisi, pour ma part, la pureté dangereuse et la proximité systématique avec les victimes. Depuis l’orphelinat, la compagnie des bourreaux m’insupporte, on ne se refait pas. Chacun ses justices, affaire d’idiosyncrasie dirait Nietzsche.
Michel Onfray, pour Libération