Par Pierre Builly.
Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis (2000).
Profondément dérangeant.
L’histoire véridique des sœurs Papin, Christine (Sylvie Testud) et Léa (Julie-Marie Parmentier) a si extraordinairement frappé l’opinion publique et fasciné les auteurs que Les blessures assassines semble être la cinquième adaptation après Les bonnes de Jean Genet au théâtre, Les Abysses de Nikos Papatakis (avec les sœurs Francine et Colette Bergé), Sister, my sister de Nancy Meckler et La cérémonie de Claude Chabrol (cette interprétation-là prenant de grandes libertés avec le récit).
Il y a toujours une part de spéculation dans l’ adaptation cinématographique d’un crime aussi affreux et aussi retentissant. Mais mon Wikipédia habituel me relate que Les blessures assassines suivent d’assez près la réalité de la pauvre existence des deux criminelles au moins dans l’esprit présumé, même si, pour les besoins de la démonstration qu’il veut faire, le réalisateur, Jean-Pierre Denis, travestit la littéralité des faits, notamment au moment de l’assassinat et accentue l’aspect homosexuel incestueux.
Et comme le fait divers est riche de sens, que les criminologues, psychiatres, psychothérapeutes et autres aliénistes tentent de le décrypter depuis soixante-quinze ans, ajoutant à chaque fois une couche d’interprétations, le film fait un peu fouillis, juxtaposant, au cœur d’un récit linéaire lui-même assez convaincant et bien construit, des scènes ou des images brutes dont la signification est peu compréhensible pour qui ne connaît pas les détails de l’affaire (ainsi l’énucléation et les scarifications quasiment rituelles subies par les victimes).
Le propos est de surcroît un peu affaibli par le parti pris de Jean-Pierre Denis qui se range aux côtés de tous ceux qui ont vu dans les sœurs Papin des victimes emblématiques de l’obscurantisme religieux et de l’exploitation de classe, alors qu’il y a, bien davantage, un drame de la folie obsessionnelle et de l’enfermement mental. Le réalisateur paraît d’ailleurs hésiter entre la métaphore militante fictionnelle (d’après ce qu’on m’a dit, c’était là un peu le fond des Abysses, film lui-même adapté du subversif Jean Genet) et le compte-rendu objectif.
Cela étant, et si on veut bien oublier l’ancrage dans la réalité historique de cette terrible histoire de passion et de mort, le film est d’un grand intérêt : la reconstitution d’époque est réussie, le rythme du récit très soutenu, et il y a deux formidables actrices, Sylvie Testud, aussi parfaite que dans Karnaval, (de Thomas Vincent – 1999) qui parvient à donner une grande cohérence à son personnage déchiré, qui s’enfonce graduellement dans la violence et la folie, et Julie-Marie Parmentier, qui interprète avec un rare talent le rôle de la jeune sœur un peu retardée. La passion exclusive qui unit les deux sœurs – dont on ignore si elle fut vraiment incestueuse, donc – est dans la parfaite logique du déroulement des faits et – là encore si l’on ne s’attache pas à l’exactitude historique – intervient avec une grande évidence. Toute la montée de la tension est remarquablement mise en scène, et la scène du massacre est difficilement soutenable (et c’est un amateur de gore qui écrit cela).
Malgré un sujet trop riche et des incohérences ou anomalies, voilà un impressionnant, agressif, même, qui ne nous laisse pas dormir tranquille. ■
DVD autour de 20€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.