Ceux, parmi nous, qui suivent les emissions du vendredi de Philippe de Villiers sur CNEWS reconnaîtront ici son style, l’ampleur de ses vues, de sa culture, la vigueur de ses analyses et de sa pensée inspirée par la Tradition et, en définitive, par l’école de la Contre-Révolution. Mue par cette même angor patriae qui anima aussi Maurras, Bainveille, leurs amis et leurs disciples à l’aube du siècle dernier. Villiers suppose la France d’aujourd’hui en état de mort imminente ou quasi accomplie. Et s’emploie à espérer qu’elle puisse renaître, comme par un acte de volonté politique et humaine de ses survivants. Cela lui est arrivé déjà quelques fois. Telle est désormais l’espérance de Philippe de Villiers. Et sans-doute aussi la nôtre. JSF
GRAND ENTRETIEN – La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques est venue aiguiser sa plume. Dans son nouveau livre, l’écrivain et fondateur du Puy du Fou estime que ce moment a constitué un véritable tournant, actant la rupture de la France avec sa propre Histoire.
Il ne s’agit plus de savoir si la France va pouvoir récupérer les ressources morales suffisantes pour se redonner de l’allant, il s’agit de savoir si elle peut renaître
LE FIGARO MAGAZINE. – Dans votre chapitre introductif, vous expliquez que vous avez écrit ce livre en réaction à la cérémonie d’ouverture des JO. « Nous avons acté devant le monde entier le suicide de la France », écrivez-vous. N’est-ce pas un peu excessif ? De même que la comparaison avec la chute de l’Empire romain ?
Philippe DE VILLIERS. – Ce moment de nihilisme festif et exubérant restera dans l’histoire contemporaine comme un marqueur indélébile, le signe manifeste que l’imaginaire postfrançais a cru devoir, dans les allégresses publiques, au moment où la France – pays hôte – se donnait en spectacle au monde entier, officialiser sa rupture avec le pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. La multiscénie qui nous a été administrée fut une allégorie de nos abaissements: la France ne va plus chercher ses prosopopées dans ses souvenirs. Elle plastronne et s’affuble d’un mépris somptueux et grinçant de ce pour quoi on l’a tant admirée dans le monde. Effectivement, cette cérémonie m’a fait penser à la fin de l’Empire romain, quand les patriciens, au bord de leurs hypocaustes, ricanaient en répétant : « mourir en s’amusant ».
Plus qu’une «transgression» cette cérémonie marque, selon vous, un tournant, voire un basculement. Pourquoi dites-vous cela ?
Une civilisation, c’est un état social dans lequel celui qui arrive au monde s’aperçoit très vite que ce qu’il croit pouvoir apporter est infiniment moins subtil que ce qu’il reçoit malgré lui. Eh bien, nous avons basculé dans un état social inverse. Et c’est en cela que cette cérémonie est une préfiguration d’un monde posthistorique. Un monde de l’inconsistance où le temps long s’efface derrière le caprice fugitif de l’illimitation marchande. Un monde où l’instant d’après vient manger l’instant d’avant. Où la lubie chasse la luciole. Où l’«adolescentrique» abrite le pervers et le scabreux. Les nouveaux thaumaturges des écrouelles médiatiques ont pratiqué la transmémoire, ils ont greffé une mémoire sur une autre. C’est Jacques Attali qui a le mieux résumé le filigrane de la cérémonie: «Ce qu’on retiendra, c’est l’ensemble des transgressions qu’on y a vues, de toute nature. Je pense que ce qui s’annonce ici est une période où la France aura ouvert une voie.» Voici venir la grande Transgression.
Si cette cérémonie vous a ébranlé intimement, n’est-ce pas aussi parce qu’elle était un «anti-Puy du Fou»? Toute votre vie semble avoir été guidée par la volonté de renouer avec les trésors du passé, soit la démarche inverse de celle du progressisme déconstructeur…
Ce n’est pas moi qui ai parlé d’un «anti-Puy du Fou». Ce sont les organisateurs eux-mêmes. Ils se sont décrits comme un «contre-modèle», désignant ainsi un modèle. Ils ont élevé le Puy du Fou au statut de référence matricielle de l’hymne à la France de toujours. Ils ont ainsi salué, à leur manière, un des hauts lieux de la mémoire vivante du Dépôt millénaire.
Que signifie votre titre, Mémoricide? Est-ce une référence implicite au génocide vendéen? Le mémoricide, est-ce la destruction méthodique de notre passé, de notre histoire, de tout ce qui faisait la France ?
Le mémoricide, c’est quand, au nom des droits de l’homme, devenus les droits de l’homme de sable de la société liquide, on décide d’amputer une population de l’acquis le plus précieux des vieux peuples: le droit à la continuité historique, le droit d’aller chercher dans les siècles passés, les mélodies manquantes.
Vous expliquez que vous ne reconnaissez plus la France. Quelle est votre France? Comment la définissez-vous ?
La France souffre de l’ablation de sa mémoire. Tout un peuple tente de survivre avec une mémoire atrophiée, qu’on ne transmet plus. Une mémoire pénitentielle: on pratique l’amnésie des grandeurs et l’hypermnésie des lâchetés. Pire, une mémoire invertie: on vit à l’envers ce que nos pères ont vécu. Nous vivons une inversion des repères, des filiations, des voisinages et des idéaux. Je pense que le pronostic vital de notre pays est engagé. Nos élites sont, pour beaucoup, ce qu’on appelait du temps de Jeanne d’Arc, des «Français reniés». Ce qui a mis le feu à ma plume, c’est que, chaque nuit, je me réveillais en sursaut: que vont devenir nos petits-enfants? Que va-t-on leur dire? Que va-t-on leur transmettre? J’ai voulu me délester à leur adresse de tout ce que j’ai reçu de plus précieux. Ce livre sera, je l’espère, un viatique de survie. Avec un essai de définition de ce que signifie la déchéance et l’espérance françaises.
Il triture la société en cherchant à faire de la France un laboratoire planétaire de la diversité. Il dynamite tous les liens
Quel rôle Emmanuel Macron a-t-il joué dans le grand effacement que vous décrivez? Si le processus avait commencé avant sa présidence et le dépasse, avons-nous franchi une étape décisive durant sa présidence ?
Il vient du monde des Anywhere qui n’a que mépris dédaigneux pour le monde des Somewhere. Nulle part contre quelque part. Il est la figure éponyme de la bourgeoisie mondialisée qui s’en prend aux beaufs, au modèle du pavillon avec jardin, au duo des Bodins, au virilisme du barbecue. Il incarne le progressisme élitaire des Anywhere. Il triture la société en cherchant à faire de la France un laboratoire planétaire de la diversité. Il dynamite tous les liens. Il touche à la mort, à la vie, à la transmission, à la filiation. «Eritis sicut dei», vous serez comme des dieux. Il est faustien, prométhéen. Il déteste par-dessus tout l’ancienne France. Il désaffilie tout ce qui lui tombe sous la main. Il hait le mot «tradition». Il veut tout inverser, «changer de paradigme», comme il le confie pompeusement dans ses leçons de la Sorbonne. En d’autres temps, il eût rêvé d’être l’alchimiste, avec ses cornues pour transformer le plomb en or. Le problème, c’est qu’il a fait le contraire. Il a plombé son mandat.
Quel rôle a également joué l’Europe dans ce processus ?
Elle a été un accélérateur dissimulé. Je pense que le Moment de l’Occident est passé. On est entré en dépendance. Les deux slogans répétés à satiété par le Cercle de la Raison: «l’Europe-puissance», et «l’Europe, c’est la paix», ont reçu chacun leur coup de grâce avec le Green Deal et l’Ukraine. Premier coup de grâce: le Green Deal. Il opère une strangulation de nos entreprises mais surtout il favorise le Buy China Act, c’est-à-dire l’invitation à se tourner vers la Chine. Avec les normes du Green Deal, nous n’avons pas le choix, il faut acheter chinois. C’est de la belle ouvrage. Quant à la guerre en Ukraine, elle favorise le Buy American Act, car les grands bénéficiaires des sanctions sont les Américains. Voilà la double servitude européenne. Et nous sommes devenus le seul espace au monde qui ne sait plus d’où il vient, qui ne croit plus en lui-même. La France a perdu sa souveraineté au profit de l’Europe qui est devenue un protectorat américain, chinois, africain, avant de passer à la phase du califat.
Ce mémoricide que vous décrivez passe par une forme de «populicide». Le progressisme militant est-il en train de détruire toute forme de culture populaire? Assiste-t-on cependant à une révolte du peuple par les urnes ?
Oui, il y a des grumeaux sur la purée. Ayant été nourries au lait de la culture postnationale, les élites de la France mégapolisée ont retrouvé leur instinct censitaire. Elles regardent vers le monde. Elles ne regardent plus vers le peuple. Elles s’en méfient. Elles croient voir partout se former la vague irrédentiste du populisme. On sent bienque monte la confrontation entre la Metropolia, qui réclame des migrants pour faire la plonge dans les 3 étoiles,et la Peripheria de la société du formica, dépossédée de son avenir. Nous vivons une crise de régime. Le petit peupleest désigné du doigt. On le tient à distance. Le pouvoir n’a plus de légitimité. Les élites décarbonées ont pris congé et font rentrer en France un nouveau peuple essouché, dessouché, arraché à sa glèbe: de nouveaux bras, de nouveaux ventres, de nouveaux agrégats de consommateurs et futurs livreurs de sushis de l’avenue Foch.
Il y a comme une rédemption française au cœur de toutes ces déchéances
Votre livre est sombre, mais ce n’est pas seulement un livre pour dire que tout est foutu. Croyez-vous à la renaissance de la France comme à celle de Notre-Dame? Dans le chaos actuel existe-t-il des signes de sursaut? En quoi la mémoire peut-elle être salvatrice ?
La matrice chrétienne de la société est morte. À 18 ans, j’ai forgé une devise: «Une société se sauve non pas par des mises en garde, mais par des réalisations qu’on accroche à contrepente.» La France rime avec la souffrance où elle trouve parfois le sublime de nouveaux fleurissements. La France atermoie, puis retrouve son élan. Il y a toujours une circonstance qui retourne les situations désespérées. Il y a comme une rédemption française au cœur de toutes ces déchéances. Elle tombe. Elle se relève. Elle se renie. Elle se retrouve. Elle glisse. Elle se reprend. Elle se déchire. Et elle renoue. Au fil de notre longue histoire, il y a un mot qui revient tout le temps, comme s’il était tramé dans la tapisserie de nos heurs et malheurs: «Tout est perdu…» Et puis il y a un autre mot – celui de la catharsis – qui vient très vite flanquer et contrarier le premier: «Tout est sauf…» Rarement accolés, ils marchent ensemble. Ce sont deux millénaires d’une sémantiquede relèvement. Ma conclusion porte sur la mémoire salvatrice. Tout est perdu? Tout est sauf.
Ce livre, vous l’avez écrit pour les générations futures ?
Je me suis souvenu d’une conversation avec Alexandre Soljenitsyne lorsqu’il est venu chez moi en 1993. Il m’a raconté: «Le soir, au couvre-feu, nous attendions chez nous, dans l’obscurité. Parfois, nous apercevions, sous la porte, un rai de lumière tremblante. Cela voulait dire que, derrière la porte, il y avait un refuznik, porteur de luciole. Il fallait ouvrir. Il était revêtu d’une grande cape. Sous la cape, il cachait un manuscrit dactylographié, un manifeste de résistance clandestin qu’on appelait un samizdat.» Eh bien, ce livre est un samizdat. Les dissidents étaient à l’Est, ils sont passés à l’Ouest. À nos jeunes refuzniks de guetter sous la porte, à l’heure des lectures vespérales, le rai de lumière, porteur du samizdat.
En filigrane, il peut aussi se lire comme une autobiographie déguisée. Vous vous y définissez comme un réfractaire, fier d’être minoritaire… Pourquoi ?
Condamné à remonter le courant comme le saumon dans la Loire boueuse des crues hivernales, j’étais un paria, un réprouvé, toisé par les vertébrés supérieurs du Système qui me regardaient comme un spécimen de vertébré inférieur, juste sorti des collections du Musée Buffon. Pendant cinquante ans, on m’a demandé de porter une crécelle aux portes de la Cité. La seule lèpre qu’on ne soigne plus en France que par une désignation à la vindicte, c’est la lèpre conservatrice. J’étais un lépreux, guignolisé. J’ai passé ma vie à relever deux défis: le premier, c’était de réparer un génocide, celui de ma Vendée natale. Je rêvais qu’elle accède à la promotion symbolique d’une province de l’esprit. Le Vendéen est un réfractaire. Être vendéen, c’est affronter les Colonnes infernales d’hier et… d’aujourd’hui. La Vendée est devenue une pédagogie de l’esquive face à la Terreur. Le deuxième défi, ce fut justement de réparer un mémoricide, celui de notre pays. Aujourd’hui, la question n’est plus la même. Nous sommes dans un trou noir. Il ne s’agit plus de savoir si la France va pouvoir récupérer les ressources morales suffisantes pour se redonner de l’allant, il s’agit de savoir si elle peut renaître. Si je devais retenir une seule leçon de toute ma vie, pour la laisser en partage à la jeunesse à venir, je n’hésiterais pas une seconde. Le fait de se savoir minoritaire n’est un obstacle que d’apparence. La minorité, c’est l’avant-garde. Les minorités à venir seront composées de réchappés, de rescapés de la science et des nouvelles convenances médicales. Ils dormiront l’œil ouvert. Les morts-vivants du Système seront balayés par le feu ardent et la pureté cristalline des nouvelles intentions françaises de ces esprits rétifs, débarrassées des peurs bourgeoises et censitaires. C’est pour ces minorités que j’ai écrit ces lignes. «Minoritaire»? Le grand luxe de notre temps… ■
Le peuple français a des ressources que même ceux qui le défendent ne soupçonnent pas. Nous sommes un vieux peuple qui garde en mémoire tout ce que l’on veut effacer . Nous avons survécu à la Révolution, autrement redoutable. Certes le peuple était alors villageois, agricole, mais on a détruit ses villages, massacré ses élites et les réfractaires, et pas seulement en Vendée, N’y a-t-il pas aujourd’hui encore consensus pour défendre notre agriculture et notre patrimoine même si on ne défend pas sa religion comme avant? Croire à notre renouveau entrainera même les populations venues chez nous par hasard.
Chaque période a ses armes, la nôtre tient la jeunesse dans le carcan du smart phone et de l’audio visuel parisien.
D’accord Claude Armand Dubois certains nouveaux venus et fils des anciennes colonies sont aussi désemparés que les vielles familles de France, quant on voit le niveau intellectuel de nos dirigeants et les erreurs qu’ils commettent qui vont nous conduire à la guerre avec l’étranger ou la plus grave la civile .
L’espoir comme le dit si bien de Villier, c’est que le français ne s’arrête pas à la couleur de sa peau, par contre il possède un esprit unique qui lui vient de ses connaissances historiques qui bien raisonnées lui autorisent de construire encore le pays de ses rêves.
Souhaitons qu’ensemble nous puissions trouver le bien et repousser le mal.