Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« C’est à en mourir de rage. »
Même sujet qu’hier. Je découpe ceci dans Le Temps (toujours lui !) :
« Evidemment, il y a dans la situation plusieurs points douloureux : la destruction de richesses nationales, le bombardement de Reims, par des batteries installées près des forts qui entouraient cette ville. Ce bombardement et l’occupation de ces forts ne peuvent avoir aucune influence décisive sur le résultat final, mais ils comportent un enseignement qu’il faut mettre en lumière dès à présent, car plus tard on pourrait l’oublier : il ne doit pas subsister de place forte qui ne puisse fournir une résistance prolongée. La résistance possible d’une place forte ne se mesure pas seulement au nombre de ses forts, à celui de leurs tourelles et à l’épaisseur de leur béton; tourelles et béton trouveront toujours un engin qui en aura raison – tel que le gros mortier allemand. Le critérium de la résistance d’une place forte réside dans la solidité de sa garnison. Une garnison solide ne se trouve que dans des prélèvements fait sur l’armée de campagne.
Les places fortes doivent donc être réduites au strict minimum, et toutes celles dont la résistance n’est pas certaine doivent être rasées. Un des motifs qui, il y a une quinzaine d’années, a été donné contre cette mesure radicale était que, si nous avions à nous battre dans une région où se trouvent des ouvrages insuffisants pour résister à un siège, ils donneraient une carcasse solide à notre ligne de bataille. Nous nous battons aujourd’hui dans les régions de ces mauvais ouvrages, et c’est la ligne ennemie qu’ils renforcent ! » (suit un blanc imposé par la censure.).
Ainsi les forts qui n’ont pu nous servir, à nous, pour arrêter les Allemands (Lille, La Fère, Reims ne se sont même pas défendus) servent aux Allemands pour se protéger contre notre offensive. Ô chef-d’œuvre d’imprévoyance ! Ô ironie ! Les forts que nous ne pouvons tenir même une journée à cause de la puissante artillerie allemande, nous ne pourrons les reprendre aux Allemands à cause de l’insuffisance de notre grosse artillerie… C’est à en mourir de rage.
Aujourd’hui, d’ailleurs, du haut de nos forts, le bombardement de Reims a recommencé. ■ JACQUES BAINVILLE
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