« Le bilan du quart de siècle de règne de Mohammed VI le prouve amplement : c’est parce qu’il sait d’où il vient que le Maroc sait où il va. »
Parue le 24 octobre au JDD, nous reprenons cette intéressante tribune de Christophe Boutin sans y ajouter de commentaire, ce dont s’acquitteront sans doute les lecteurs souvent actifs et lucides de notre quotidien.
TRIBUNE. La France doit davantage prendre en considération l’importance stratégique du Maroc, pays à la fois méditerranéen, saharien et atlantique, souligne le politologue et professeur de droit Christophe Boutin.
Lorsque nos concitoyens pensent au Maroc, c’est souvent avant tout comme à un pays méditerranéen comme la Tunisie ou l’Algérie, le plus à l’ouest de ce Maghreb avec lequel la France entretient des liens complexes. Un peu comme si le territoire de ce royaume où Emmanuel Macron se rend en visite officielle s’arrêtait à quelques kilomètres de Tanger. Mais c’est faire ici une énorme erreur de perspective, car par son littoral le Maroc est avant tout Atlantique, et c’est face à cet océan que sont placées ses capitales, la politique, Rabat, et l’économique, Casablanca.
Par ailleurs, l’ampleur des liens économiques actuels du Maroc avec ses voisins de l’Union européenne placés de l’autre côté de la Méditerranée, Espagne France ou Italie, comme ceux qui se développent avec d’autres États de l’Union, ne doivent pas conduire à n’envisager que cette dimension Nord/Sud de la politique marocaine. Depuis le début de son règne en effet, le roi Mohammed VI a porté une attention toute particulière au dialogue Sud/Sud à destination des pays de l’Afrique subsaharienne, dialogue renforcé encore depuis que le royaume a repris son siège au sein de l’Union africaine.
Dans ce cadre, la dimension atlantique a acquis ces dernières années une importance particulière. Il est vrai que la zone est riche : réserves halieutiques ou d’énergies fossiles, potentiel d’énergies renouvelables, richesse en hommes aussi, puisque la façade atlantique de l’Afrique c’est 70 % de la population et 40 % du commerce interafricain. Mais elle est aussi menacée, de la surpêche à l’insécurité et au terrorisme, du changement climatique à l’instabilité politique, et depuis le début des années 90 le Maroc tente, pour faciliter son développement, de favoriser la coopération entre les 23 pays africains riverains des 15 000 km de côtes atlantiques, ce que les États européens concernés font dans leur zone dans le cadre de l’Arc atlantique.
Comme d’autres de ses partenaires, le Maroc s’est certes engagé dans une dynamique de développement de sa propre façade littorale atlantique, du cap Spartel à ses provinces du Sud : pêche, projets touristiques, développement des énergies renouvelables, mise en chantier d’une zone portuaire majeure, dans la suite de ce qui a été réalisé avec Tanger-Med, autour de Dakhla-Atlantique. Mais le royaume souhaite aussi coconstruire ce développement avec d’autres États africains, mettant en place le processus des États africains riverains de l’Atlantique ou le projet de gazoduc côtier Nigeria-Maroc.
Au-delà, le Maroc compte clairement ouvrir la dimension atlantique sur la profondeur sahélienne. On sait combien le Sahel, zone d’insécurité majeure, a besoin de développement pour surmonter ses crises. Le constat en avait été fait avec la création du G5 qui associait Mauritanie, Mali, Burkina-Fasso, Niger et Tchad, et qui aurait dû porter, à côté de sa dimension sécuritaire, des projets de désenclavement. Cette perspective a été reprise par le souverain marocain, et « l’Initiative atlantique » devrait être aussi une porte ouverte pour les économies du Sahel.
Cette coopération atlantique dépasse enfin les seuls États africains. C’est le cas dans le domaine de la sécurité internationale, car c’est au Maroc que les États-Unis organisent les exercices multinationaux African Lion. Quant au « processus de Rabat », visant au dialogue euro-africain sur la migration et le développement, il associe, sur un sujet dont nul ne peut nier l’actualité, 28 pays européens et 29 pays de l’Ouest africain.
Cette dimension géopolitique du Maroc doit être appréhendée pleinement par la France, partenaire logique de tels projets. D’une part, parce que la propre façade atlantique de notre pays rend évident les éléments communs pêche, tourisme, énergies renouvelables, lutte contre les effets du changement climatique sur les zones littorales sur lesquels échanges et collaborations sont nécessaires. Ensuite, parce que les forums de coopération mis en place par le Maroc intéressent doublement notre pays, pour lui et comme membre de l’Union européenne selon les domaines de compétence concernés, et qu’il est donc essentiel d’y faire entendre notre voix. Enfin, parce que la dimension sécuritaire, dont les répercussions sont si importantes, ne doit pas être abandonnée à l’action délétère d’intervenants qui visent à nous déstabiliser.
Au moment où la voix de la France est souvent bien mal comprise en Afrique, le temps n’est pas où notre pays peut se détourner d’un continent dont le Maroc, pays à la fois méditerranéen, saharien et atlantique, est une clef. Souhaitons que le chef de l’État lors de la visite officielle qu’il va y faire donne tout son poids à une coopération renforcée, notamment tout au long de sa façade atlantique avec cet acteur stratégique majeur. ■ CHRISTOPHE BOUTIN
Christophe Boutin est professeur de droit public à l’université de Caen. Derniers ouvrages : avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, Dictionnaire du progressisme (Le Cerf, 2022) ; avec Frédéric Rouvillois, Le référendum, ou comment redonner le pouvoir au peuple (La Nouvelle librairie, 2023).