Cet article – finalement assez amusant même s’il est aussi instructif – est paru dans Libération, le 28 juillet, signé de Charlotte Belaïch. L’affaire Matzneff aura décidément amené tous les secteurs de l’opinion à des contorsions parfois plutôt cocasses et bien compliquées, que ce soit pour défendre Matzneff, par exemple quand on est catho tendances tradi, ou pour l’attaquer au nom d’un néo-moralisme radical restauré par une certaine gauche ou ultra-gauche, où il était naguère interdit d’interdire. et où la liberté des mœurs était pratique installée, règle absolue. Le féminisme activiste néo-religieux est passé par là et se marie aisément à certain rigorisme écolo à dominante fanatique. Dans cette affaire, les élus écolos, trahis par Hidalgo qui les a pris pour des cons, se disent sur le cul. C’est parlant. Tout ce petit monde se chamaille, son homogénéité idéologique éclate, son union politique pareillement. Les écolos ont toujours eu les plus grandes difficultés à s’entendre durablement avec qui que ce soit. Entre eux non plus, d’ailleurs. Ce qui a toujours rendu leur avenir plus qu’incertain, ce qui n’est pas triste. Il n’est pas interdit de s’en amuser. Ce n’est pas de la grande Histoire. Ni même de la petite. Plutôt une comédie de mœurs. Et ce n’est pas inintéressant du tout.
Soudés derrière Christophe Girard, les socialistes de la majorité parisienne sont gênés depuis la découverte des notes de frais de ses repas avec Matzneff. Et ne comprennent plus la stratégie d’Anne Hidalgo.
Après une semaine agitée, les élus de la majorité au conseil de Paris espéraient partir en vacances et laisser la polémique Girard se tasser. Ils espéraient qu’à la rentrée, la démission de l’adjoint à la culture d’Anne Hidalgo serait rangée au rayon des vieilles histoires de famille. Mais les révélations de Mediapart, lundi soir, ont fait l’effet d’une réplique sismique. Selon le site d’information, les services de la mairie ont découvert jeudi dernier trois notes de frais de repas entre l’élu parisien et l’écrivain Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour « viols sur mineurs ». L’addition la plus récente, qui correspond à un déjeuner datant de février 2019, a été transmise par la maire au parquet de Paris.
Christophe Girard, ancien secrétaire général de la Maison Yves Saint Laurent, qui a apporté un soutien financier à l’écrivain dans les années 80, a été entendu dans le cadre de cette enquête en mars. L’élu a toujours affirmé qu’il n’avait pas connaissance des agissements de l’écrivain, bien qu’ils soient décrits en détail dans ses livres depuis trente ans. Il avait d’ailleurs relaté sa relation avec Vanessa Springora – 14 ans à l’époque – dans un ouvrage de 1993, qu’il avait dédié à Christophe Girard. Vingt ans plus tard, devenu adjoint à la culture, c’est encore Christophe Girard qui a obtenu pour l’auteur une allocation annuelle à vie du Centre national du livre, comme l’a révélé une enquête du New York Times publiée pendant la campagne des municipales. « Christophe n’a jamais voulu défendre un pédophile mais il paie son ego surdimensionné, analyse un ancien de la majorité Hidalgo. Il aime briller donc il veut intervenir pour tout et pour tout le monde. »
Pendant l’entre-deux-tours, la place de Christophe Girard au sein de l’exécutif faisait déjà l’objet de tensions entre socialistes et écolos. Bien qu’aucune procédure judiciaire ne vise l’élu, les Verts considéraient qu’il était moralement périlleux de lui redonner un portefeuille. « Ils ont eu de la chance que l’enquête du New York Times soit éclipsée par la crise du covid, estime un élu vert. Hidalgo n’avait pas pris d’engagement mais pour nous, c’était réglé. Quand on a appris qu’il était nommé, on était sur le cul. » Après des tentatives avortées de court-circuitage et avec l’aval du groupe EE-LV, deux nouvelles élues écolos, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, ont organisé une manifestation devant l’hôtel de ville au premier jour du conseil de Paris. Le soir même, Christophe Girard démissionnait, dénonçant « les nouveaux maccarthysmes » et la « Cancel culture ». Dans un communiqué, il expliquait aussi s’éclipser pour qu’Anne Hidalgo puisse exercer son mandat « sereinement ». « Je suis écœurée. Dans quelle démocratie vivons-nous où le droit est piétiné par la rumeur, les amalgames et les soupçons ? » avait réagi la maire de Paris dans la foulée sur Twitter.
« Elle nous a pris pour des cons »
Une colère aussi forte qu’étonnante puisque, à ce moment-là, la socialiste était donc déjà au courant des rencontres entre Girard et Matzneff. Selon Mediapart, l’entourage de la maire a d’ailleurs convoqué l’adjoint pour lui conseiller de démissionner. Rétrospectivement, plusieurs élus de la majorité admettent ne pas comprendre l’attitude d’Anne Hidalgo. « J’avoue que je ne me l’explique pas. Vendredi matin, elle a demandé aux présidents de groupe qu’on s’exprime publiquement sur la manif alors qu’elle savait. Elle nous a pris pour des cons », admet un adjoint. Dans l’entourage d’Hidalgo, on brandit la carte de la conviction et des principes. « C’est notre liberté qui est en jeu. Il n’y a pas d’affaire Girard. On n’écarte pas quelqu’un pour des amalgames », affirme ainsi Rémi Feraud, président du groupe socialiste au conseil de Paris. L’insoumise Danielle Simonnet, qui soutient depuis le début les deux élues écolos, voit les choses autrement : « Ce n’est pas un problème judiciaire mais la question du message politique qu’on envoie sur la culture du viol. Girard n’a jamais eu de mots de condamnation. » Jeudi dernier, l’adjoint à la culture minimisait encore, évoquant les « amours d’un écrivain avec une jeune femme ».
C’est aussi la méthode employée qui a suscité la colère de la maire : « Anne Hidalgo refuse que certains élus participent à une manifestation où il y a des slogans diffamatoires et haineux envers la majorité. » Une référence aux pancartes – notamment « Bienvenue à Pédoland » – brandies par des manifestants devant l’hôtel de ville lors du rassemblement organisé par Alice Coffin et Raphaelle Rémy Leleu. « Dans une manif où il y a 30 personnes, dont la plupart sont des proches, on peut contrôler les pancartes », s’agace Feraud. Au-delà de ces bouts de carton, ce sont deux cultures politiques qui s’affrontent, les socialistes et certains de leurs alliés dénonçant la « méthode brutale » des deux militantes, issues de l’activisme féministe. « Ce n’est pas comme ça qu’on fait, on ne manifeste pas contre des élus de sa majorité », déplore une élue Génération.s., pourtant d’accord avec elles sur le fond. Le patron des socialistes, qui ne décolère pas contre les Verts, va plus loin : « Il y a beaucoup d’hypocrisie chez les écolos. Je peux comprendre que ça pose un problème moral mais à ce moment-là, on n’est pas dans l’exécutif. Les contradictions, elles sont chez eux. »
« Il y a eu une erreur politique »
Sauf que les socialistes sont de plus en plus nombreux, aussi, à faire part de leur gêne. « Il y a eu une erreur politique, il faut le reconnaître », admet une élue PS, avouant un « dilemme humain ». D’un côté, il y a les principes moraux, de l’autre, la loyauté envers une personne qu’on côtoie et à laquelle on s’attache parfois. C’est ainsi que certains s’expliquent le soutien d’Anne Hidalgo à Christophe Girard : les deux élus siègent ensemble depuis des années et la maire elle-même le qualifie d’« ami ». « Il y a de ça mais c’est surtout qu’elle n’aime pas être prise en défaut, analyse un ancien proche de la socialiste. C’est une forme de déni. Elle n’a pas voulu reconnaître son erreur alors qu’elle l’a imposé à tout le monde .»
Avant même l’affaire Matzneff, en novembre, les alliés de Génération.s., avaient en effet demandé la tête de Christophe Girard, nommé adjoint pour la première fois en 2001 au début de l’ère Delanoë. Une question de « renouvellement », défendaient-ils. En janvier, quand l’enquête du New York Times est sortie, les très proches de la maire, dont son premier adjoint Emmanuel Grégoire, ont reposé la question de sa place sur la liste du XVIIIe arrondissement. « Le problème Girard, ce n’est pas Coffin et Leleu qui le posent, affirme un adjoint. Le malaise est assez ancien. Le sujet, ce n’est pas l’affaire en elle-même mais la façon dont il se défend .» Contre toute attente, Anne Hidalgo, va décider de le reconduire à son poste. « Elle s’est enfermée dans son truc », déplore le même adjoint. Chacun a son bout d’explication : « Il a beaucoup insisté », « elle est loyale », « elle se disait qu’il valait mieux l’avoir avec soi que contre soi », « il est très apprécié dans le monde de la culture »… Pendant des mois, malgré les désaccords, les bouches sont restées cousues. Discipline de groupe. Jusqu’à l’élection d’élus issus d’une autre culture politique. « Les Verts ne peuvent pas crier victoire, relativise un élu de Génération.s. Cela n’arrange personne cette histoire. Vous voyez dans quelle merde ça a foutu tout le monde ? Commencer un mandat comme ça, c’est terrible. » ■