Par Gabrielle Cluzel.
Cet article, auquel il n’y a rien à redire ni à ajouter, est paru le 8 novembre dans Boulevard Voltaire. Philippe Meyer, en d’autres temps, entamait régulièrement ses chroniques sur France Inter — où il y avait encore de l’élégance et de l’esprit — par la formule : « Nous vivons une époque moderne », ce qui moquait les béats de la modernité. Il ajoutait souvent : « Le progrès fait rage », deux termes apparemment contradictoires et dissonants. Le progrès continue de faire rage et s’accompagne désormais de l’inculture : inculture linguistique, historique, littéraire, et même religieuse, y compris chez les catholiques dont nous doutons qu’ils soient capables, en nombre significatif, d’expliquer ce que signifie la Dormition de la Vierge Marie. Gabrielle Cluzel l’explique ici très bien. Y a-t-il une liberté sans culture, autre que vide de sens et de substance ? Notre époque moderne gagnerait à se poser cette question !
« jadis la gauche quand elle avait encore des lettres… »
« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet », disait Courteline. Philippe de Villiers doit donc boire du petit-lait. Dans un encart qui se veut assassin, Le Canard enchaîné se gausse de Mémoricide (Fayard), le nouveau (remarquable) livre de Philippe de Villiers, qualifiant ce dernier de « graphomane [devant] s’éclairer à la bougie quand il écrit ».
Dormition et lecturation
L’article s’intitule « Vicomte de Mandragore », du nom, dans Harry Potter, de la plante qui crie quand on la déracine. On voit à peu près la métaphore. Mais visiblement, les humanités de l’auteur ne dépassent pas les œuvres compètes de J.K. Rowling. En conclusion, il se moque d’une phrase de Philippe de Villiers – « Face au Wokistan et à l’Islamistan, comment réagit la France ? Elle est en dormition ». II rajoute « sic », comme si c’était une incongruité, puis ce qu’il pense être un mot d’esprit : « Bonne lecturation. » Comme si « dormition » était un barbarisme du même registre que la « bravitude » de Ségolène Royal. Euh… les gars, les barbares, c’est vous ! Pas un seul, au Canard enchaîné – car l’article a été nécessairement lu et relu avant d’être publié -, ne connaît donc ce mot ? Il n’y a donc pas un seul dictionnaire, à la rédaction du Canard enchaîné ? Si Villiers écrit à la bougie, eux autres ont besoin d’un éclairage en culture générale.
Même leurs amis de Wikipédia y consacrent une entrée : « Le terme dormition (du latin : dormitio, « sommeil, sommeil éternel, mort » ; grec ancien : κοίμησις, kímisis) est utilisé, dans le vocabulaire chrétien, pour désigner la mort des saints et des pieux fidèles, quand ce n’est pas une mort violente. […] Ce terme s’applique plus particulièrement à la mort de Marie, Mère de Jésus. »
L’écrivain Huysmans – ancien ami de Zola et de Bloy, que connaissait jadis la gauche quand elle avait encore des lettres, puisque cet écrivain catholique converti sur le tard ne détestait rien tant que les notables et les bourgeois – explique la dormition dans L’Oblat : « La Vierge ne mourut, ni de vieillesse, ni de maladie ; elle fut emportée par la véhémence du pur amour ; et son visage fut si calme, si rayonnant, si heureux, qu’on appela son trépas la dormition. »
Assomption
Le mot, particulièrement, utilisé par les orthodoxes, est le thème de nombreuses icônes. Mais chez les catholiques aussi, la Dormition précédant l’Assomption a inspiré de nombreux retables ou tableaux. Une dormition de la Vierge, de Bruegel l’Ancien, a même réussi à émouvoir aux larmes un journaliste de Télérama – c’est dire ! – qui le raconte dans un article assez touchant : « C’est, me semble-t-il, le premier tableau qui me fit pleurer, sans que je sache encore aujourd’hui la raison exacte de ces larmes. »
Faut-il que ce Canard soit enchaîné à ses certitudes, ignorant de tout y compris de ses propre lacunes pour oser dispenser des leçons de langue française à… Philippe de Villiers. Mais il vient parfaitement étayer le livre qu’il prétend étriller. Le « mémoricide », c’est aussi cette méconnaissance : une « langue française » que l’on « brutalise », comme l’écrit Philippe de Villiers, jusqu’à l’ignorer, y compris dans un corps de métier dont elle est en principe l’outil de travail.
Si l’auteur de cette recension lapidaire avait fait une meilleure « lecturation », s’attachant au fond au lieu de se moquer (bêtement) de la forme, il aurait posé la seule question essentielle : la Dormition de la France annonce-t-elle son Assomption ? Mais connaît-il ce dernier mot ? ■ GABRIELLE CLUZEL
Les catholiques avertis connaissent bien ce mot , les autres parlent sans savoir comme font les ignares . A ce propos j’ai trouvé étonnant que Pascal Praud de C News parle de Choderlos de Laclos en disant que Choderlos était un joli prénom …. J’espère qu’il plaisantait !
L’étendue de nos lacunes n’a plus de limites et partout on y est confronté .Il faut faire très attention à ce qu’on dit car un mot inconnu n’est pas l’objet de recherche , il est immanquablement pris de travers et souvent sujet à des insultes .
Il n’y a de mémoricide ( un néologisme comme féminicide ) que pour les gens incultes. Une catégorie sociale en expansion puisque l’école ne transmet plus les savoirs de base indispensables à tout citoyen. De plus quand on écoute notre classe dirigeante soi-disant cultivée on a l’impression à avoir à faire à des crétins éduqués selon l’heureuse expression d’Emmanuel Todd.