Fondateur du Puy du Fou et ancien ministre, Philippe de Villiers intervient tous les vendredis soirs à 19h sur CNews.
Cette tribune est parue dans le JDD le 13 novembre. Nous n’avons vraiment rien à y ajouter sauf pour saluer une fois de plus la lucidité, le patriotisme des sommets et somme toute le talent ou plutôt le grand art de Philippe de Villiers. Il n’ignore pas de quel côté pourrait se trouver le saut de a France.
CHRONIQUE. Les fermetures d’usines Michelin et le plan social chez Auchan symbolisent, selon Philippe de Villiers, la panne générale qui touche une France toujours plus endettée, tiers-mondisée, smicardisée et déclassée…
Dans la même semaine, le glas aura sonné deux fois : pour Michelin et pour Auchan. On enterre les Trente Glorieuses. Deux symboles d’une économie d’abondance et de prospérité, la voiture qui crisse et le caddie qui glisse, l’ubiquité consumériste. On pensait que ce serait éternel. Le meilleur pneu du monde. Les prix les plus bas sur tout le formica. C’est fini. Michelin, c’est la production ; Auchan, c’est la consommation. La panne est générale. Tous les moteurs se grippent. Notre pays a décroché ; nous vivons dans une France endettée, tiers-mondisée, smicardisée, déclassée.
Depuis quarante ans, toutes les majorités politiques qui se sont succédé au pouvoir ont vanté et appliqué un nouveau modèle économique qui reposait sur deux postulats : l’extension permanente de la sphère publique, de la dépense improductive. Et le primat accordé à la consommation comme principal moteur de la croissance, au détriment de la production. Ce nouveau modèle a engendré la spirale du déficit et de l’endettement, la désindustrialisation et la métropolisation de la France.
Nos élites globalisées ont cru que l’économie allait se déplacer
J’ai vécu le moment historique où la classe dirigeante a changé de paradigme : on est passé d’un pays de producteurs à un marché de consommateurs. Le point de bascule fut l’accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, au nom du libre-échange mondialisé : la nation n’est plus considérée comme un espace économique pertinent ; le marché mondial a vocation à remplacer les marchés locaux. On ira produire là où c’est le moins cher et on reviendra vendre là où il y a encore du pouvoir d’achat. La sémantique va suivre : on ne parlera plus du « marché commun » ou de la « préférence communautaire ».
Déclin de notre appareil de production
Alors se profile, avec la fermeture de nos usines, le déclin de notre appareil de production. On ne produit plus, on importe. Mais c’est surtout l’émergence de la grande distribution qui forme un binôme à succès avec l’importation. Le culte du bas prix élit son temple à la sortie du bourg : le hangar transcendantal des nouvelles ferveurs de l’homme hors-de-soi. Puis viennent les effets mécaniques de ce choix euphorisant : l’appel à l’immigration comme armée de réserve des consommateurs manquants. L’État bascule dans la politique de l’assistance pour favoriser le consumérisme.
Derrière ce point de bascule, il y a un corpus idéologique nouveau : nos élites globalisées ont cru que l’économie allait se déplacer. Elles ont revisité la célèbre théorie de Jean Fourastié : « Une économie équilibrée entretient simultanément trois secteurs : d’abord le secteur primaire – l’agriculture –, ensuite le secteur secondaire – l’industrie –, enfin le secteur tertiaire – les services. »
Nous sommes remplacés dans nos productions traditionnelles
Le nouveau discours invitait à se dépouiller pour mieux s’enrichir. On nous rassurait sur le calcul à venir : « Nous allons abandonner nos secteurs primaire et secondaire, nos victuailles, nos usines, à des pays émergents à bas coût de main-d’œuvre. Mais nous allons compenser – et au-delà – cette perte par le développement des services, de la matière grise et de la haute technologie. Ce n’est pas demain la veille que les Indiens et les Chinois vont former des informaticiens et imaginer de la high-tech ! Laissons-les fabriquer nos chaussures et notre bas-de-gamme industriel. »
Le résultat est sous nos yeux. Les nouvelles puissances émergentes ont formé des informaticiens, des ingénieurs, et fabriquent nos chaussures. Mais voici qu’ils produisent aussi des semi-conducteurs, des batteries électriques, des panneaux photovoltaïques. Après avoir bien profité du mondialisme, ils ont réinventé le protectionnisme – la préférence chinoise, le marché commun américain.
Nous sommes remplacés dans nos productions traditionnelles. Et nous voilà supplantés dans la matière grise et la haute technologie, par des pays neufs qui ont su jouer de la mondialisation des échanges et d’un double tamis – défensif, celui de la fermeture à l’import, et offensif, celui de la subvention à l’export. Les deux mâchoires se sont refermées sur l’Europe et sur la France. ■