Cette chronique se veut ironique – et l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, voire y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 18 novembre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique reflétant, de fait, l’actualité et chargée de sens. Discutable d’ailleurs… Bonne lecture !
CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, Samuel Fitoussi pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il imagine les raisons qui ont poussé les Américains à ne pas voter démocrate.
Pourquoi Donald Trump, malgré tous les défauts qu’on lui connaît, a-t-il remporté l’élection avec un nombre record de voix ? Peut-être est-il plus simple de comprendre pourquoi les démocrates ont perdu. Émettons quelques hypothèses.
Peut-être que les Américains ne pensent pas que ce soit une bonne idée de mutiler des enfants qui se sentiraient nés dans le mauvais corps. Peut-être qu’ils ne sont pas favorables à ce que l’école apprenne à leur fille que si elle aime jouer au ballon, elle est peut-être un garçon et doit ingérer de la testostérone ; à leur fils que s’il aime la danse, il peut réclamer des bloqueurs de puberté.
Peut-être que les Américains n’aiment pas se faire culpabiliser pour leur couleur de peau, ne se sentent pas responsables des fautes de leurs ancêtres. Peut-être qu’ils ne considèrent pas que l’on puisse être coupable de ce que l’on est, et rejettent ceux qui les encouragent à se repentir en posant un genou à terre. Peut-être comprennent-ils que l’encouragement au ressentiment ethnique, en général, n’engendre rien de bon. Et peut-être sont-ils mal à l’aise à l’idée que le gouvernement accorde des prêts financiers selon la couleur de peau, comme le proposait Kamala Harris.
Peut-être que certains Américains ont souhaité rappeler qu’ils sont des individus et non les prototypes interchangeables d’un groupe social, et que par conséquent, rien ne justifie qu’on les discrimine à l’embauche ou dans les admissions universitaires. Peut-être que certains citoyens d’origine asiatique ont protesté contre le racisme systémique dont ils sont les victimes à l’université, au nom d’une logique de quotas qui les punit pour leur réussite.
Peut-être que les Américains, plus largement, déplorent la disparition de la méritocratie, des examens standardisés d’admission et des processus anonymisés de recrutement au profit de l’obsession racialiste mal nommée « Diversité, Équité, Inclusion ». Peut-être s’opposent-ils non seulement à l’injustice qu’elle engendre, mais aussi à la baisse de niveau généralisée.
Peut-être que les Américains aiment leur pays, ne considèrent pas qu’il soit structurellement raciste, patriarcal et oppressif, éprouvent pour lui de la gratitude plutôt que de la rancune. Peut-être que le vote républicain n’est pas pour eux un vote de colère, mais au contraire, une affirmation de leur confiance en leur nation, une réponse à la colère d’une gauche, qui, elle, instruit sans cesse le procès à charge des États-Unis.
Peut-être que les Américains n’éprouvent pas de grande sympathie pour le mouvement «Black Lives Matter» que les démocrates adorent, n’apprécient pas la récupération malhonnête de faits divers pour alimenter des récits mensongers et justifier les émeutes violentes, le pillage et le lynchage. Peut-être qu’ils aiment la police, ne pensent pas qu’il faille la définancer ou la désarmer. Peut-être éprouvent-ils davantage de sympathie pour les victimes de la délinquance que pour les délinquants.
Peut-être qu’ils ne souhaitent pas que leur pays connaisse la même tendance que celle qu’ont connue certaines grandes villes tenues par des maires démocrates comme San Francisco et Los Angeles : explosion de la violence, des vols à l’étalage, des cambriolages, de la consommation de drogues dans l’espace public.
Peut-être que les hommes américains ne pensent pas que la masculinité soit toujours toxique. Peut-être que les agriculteurs, éboueurs, ouvriers du bâtiment, conducteurs de poids lourds, pêcheurs en haute mer et opérateurs de grue supportent mal d’être méprisés par des diplômés qui leur expliquent, depuis une salle de classe à Columbia, qu’ils sont privilégiés et toxiques.
Peut-être que les Américains aiment Elon Musk, malgré son excentricité et ses défauts, parce qu’ils préfèrent ceux qui agissent à ceux qui critiquent ceux qui agissent, ceux qui créent de la valeur à ceux qui créent des régulations, des impôts, des nouvelles strates bureaucratiques.
Peut-être qu’en entreprise, une majorité d’Américains ne se réjouit pas d’assister à des formations où on leur apprend à employer les bons « pronoms » et où on leur explique qu’ils sont inconsciemment racistes, misogynes et transphobes. Peut-être qu’ils préféreraient que leurs patrons financent des augmentations de salaire plutôt que des séances de rééducation.
Peut-être que les Américains s’opposent à l’immigration illégale peu qualifiée, et tiennent à leur identité culturelle.
Peut-être que les Américains – s’apercevant que l’élite diplômée adhère à des croyances de plus en plus éloignées du bon sens populaire – redoutent l’augmentation de la pression fiscale, se méfiant des lubies idéologiques que leurs impôts pourraient financer. Peut-être ne souhaitent-ils pas que leur pays devienne comme la France, où les maires de gauche disposent de suffisamment d’argent pour placer des puces GPS sur les écoliers pour combattre les stéréotypes de genre dans la cour de récréation.
En réalité, tout cela est fort improbable. La vraie cause du rejet des démocrates est sans doute la désinformation populiste qui a manipulé les élections. Il est urgent de réguler davantage les réseaux sociaux. ■ SAMUEL FITOUSSI