Par Iris Bridier.
Ce billet intéressant, bien étayé et même croustillant, est paru dans Boulevard Voltaire le 20 de ce mois. Qu’y ajouter si ce n’est pour relever ce même mouvement mouvement de généralisation de toutes les formes possibles de censure, que l’on observe partout, en tous lieux et venant de tous les côtés de ce qu’on appelait du temps de J.M. Le Pen, l’Établissement. De droite, d’extrême centre, de gauche, extrême ou non. .
« J’habite depuis trente ans à Paris et je passe tous les jours devant le Jardin des plantes ou des Tuileries, et je n’avais jamais vu les arbres comme cela. Alors que je les connais tous, et que je n’avais pas compris qu’il y avait un autre plan de réalité. » Touché par la sensibilité artistique du travail de la photographe singapourienne Melisa Teo, c’est tout naturellement que l’écrivain Sylvain Tesson acceptait en ces mots, de préfacer l’ouvrage de photos représentant Les Arbres de Paris. D’ailleurs, qui mieux qu’un Sylvain pour écrire sur les arbres ? Qui mieux que cet aventurier pour décrire le lien qui unit l’homme à la nature, lui qui fuit le virtuel pour s’enraciner dans le réel ? Un discours à l’unisson avec celle qui veut montrer qu’« on ne peut pas voir l’invisible, mais on peut le photographier ».
Récemment, ces photographies ont été exposées à la Sorbonne du 12 septembre au 19 octobre. Et Melisa Teo avait prévu d’insérer dans la muséographie cette citation de Sylvain Tesson : « Les photos des arbres de Melisa révèlent ce que le regard ne peut soupçonner. Les arbres irradient. Un rayonnement les auréole. Une onde les enveloppe. Parfois, on dirait un tulle diaphane, parfois un voile pulsatile : « un vortex d’énergie », préfère-t-elle avancer. » Des propos hautement subversifs, vous en conviendrez ! Dans un monde normal, les étudiants auraient pu apprécier cette préface et s’élever devant la beauté et la poésie qui n’ont jamais tué qui que ce soit. Mais quelques minorités wokistes patentées ont jugé que ces propos sur le monde végétal, qu’auraient pu applaudir les écolos, méritent bel et bien le brûlot et qu’il faut les effacer. Quelle n’a donc pas été la surprise de la Singapourienne de découvrir que non seulement la citation de Sylvain Tesson était absente de son exposition, mais qu’en plus, la prestigieuse Sorbonne justifiait cet acte de censure par une volonté de ne pas « être associée à des prises de position éloignées de ses valeurs », expliquant que Sylvain Tesson est une personne « controversée » et qu’il ne peut donc pas être cité.
L’université, le lieu du débat ?
Quelles sont donc ces valeurs si « éloignées » et si dangereuses, en somme, qu’il faille en protéger les étudiants présents ? Contactée par nos soins, Clémentine Vignal, la vice-doyenne de la faculté des sciences et ingénierie de Sorbonne Université, n’a pas souhaité, pour l’heure, nous répondre. Est-ce parce qu’il est le fils de feu le journaliste Philippe Tesson ? Est-ce parce qu’il défend l’Arménie, ce berceau de la civilisation chrétienne ? Face à cet acte de cancel culture digne de la Pravda, Sylvain Tesson a écrit à la Sorbonne une lettre savoureuse qu’il a partagée aux lecteurs du Point. Maniant aussi bien la plume que la dérision, ce subtil esprit se défend donc ainsi : « Vous avez raison de souligner notre différence de « valeurs ». Pour moi, l’université est le lieu du débat. Les écrivains y sont reçus, s’opposent. Parfois même, ils sont lus. Je n’avais rien à faire en vos murs. C’est votre honneur de faire régner ordre moral et vertu dans « votre communauté ». Vos élèves sont fragiles, sans esprit critique, jeunes âmes blanches. Vous faites bien de les protéger des influences. »
Ce n’est pas la première fois que Sylvain Tesson subit le wokisme de notre civilisation en voie de perdition. Il y a quelques mois, alors qu’il était nommé parrain du Printemps des poètes 2024, 1.200 cultureux s’y opposaient par une tribune dans Libération pour revendiquer « le queer, le trash, la barbarie, le vulgaire ». Des atteintes récurrentes au pluralisme et à la liberté d’expression devant lesquelles plus personne ne réagit, tant on finit par s’habituer et annihiler notre réactivité ; mais qui font constater à Sylvain Tesson, venu inaugurer la statue d’Ulysse aux Sables-d’Olonne, le mois dernier, qu’« il n’y a qu’ici que le niveau monte ! » ■ IRIS BRIDIER
Iris Bridier
Merci à Marc Vergier de sa transmission.
« la République n’a pas besoin de savants » ; ni de poètes..