Publié avant-hier, 25 novembre, dans Le Figaro, cet entretien, contrairement au titre qui lui a été donné, ne porte pas seulement sur le cas judiciaire Marine Le Pen, mais aussi sur d’autres points fort importants, qu’ils soient institutionnels, économiques ou géostratégiques. Notamment sur notre possible engagement direct sur le théâtre du conflit russo-ukrainien dont Emmanuel Macron fait l’essentiel de ses rodomontades habituelles. Républicain mais patriote, voire nationaliste, Chevènement s’y oppose, tout comme nous, qui considérons que faire prendre à la France, et surtout à sa jeunesse, un aussi grand risque existentiel serait tout simplement de nature criminelle. JSF
ENTRETIEN – À l’occasion de la publication du manifeste de la Fondation Res Publica, l’ancien ministre livre son diagnostic sur l’état de la France et le nouvel ordre géopolitique qui se dessine avec notamment l’élection américaine.
LE FIGARO. – L’actualité a été marquée par l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. En tant que président d’honneur de l’Association France-Algérie, que vous inspire cet événement ?
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT. – Je presse l’Algérie, un pays qui connaît le prix de la liberté, à respecter la liberté d’expression et d’opinion, en particulier celle d’un écrivain. Les autorités algériennes s’honoreraient de libérer, sans tarder, Boualem Sansal, ce à quoi nous appelons avec force avec le président et les présidents successifs de l’Association France-Algérie.
Dans le cadre du procès des assistants parlementaires du FN, le parquet de Paris a requis contre Marine Le Pen cinq ans de prison, dont trois avec sursis, 300.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Quel regard portez-vous sur ces réquisitions ?
La pénalisation à outrance de la vie publique est un aspect de ce qu’on appelle le gouvernement des juges. Marine Le Pen, comme d’autres personnalités politiques avant elle, subit un harcèlement judiciaire disproportionné au regard de ce qui lui est reproché. Comment justifier par l’utilisation détournée d’assistants parlementaires l’interdiction faite de se présenter à l’élection présidentielle, et cela sans appel possible, à une personne qui a déjà été candidate à cette élection où elle a recueilli plusieurs millions de voix ?
Le tribunal, s’il devait suivre le parquet, porterait un coup très grave à la démocratie. Celle-ci est d’abord et avant tout dans le vote des électeurs. Et le tribunal n’est pas le pilori
Je suis choqué par les peines requises par le parquet à son égard. Rien ne justifie l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité dans la mesure où il n’y a ni risque de récidive ni menace à l’ordre public. Le tribunal, s’il devait suivre le parquet, porterait un coup très grave à la démocratie. Celle-ci est d’abord et avant tout dans le vote des électeurs. Et le tribunal n’est pas le pilori.
La justice a également été au cœur de l’élection présidentielle américaine. Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump à celle-ci ? Quelles en seront les conséquences pour l’ordre international ?
L’élection de Donald Trump illustre la crise des deux grands partis américains qui, à force de multiplier les assignations identitaires, ont fini par oublier le citoyen. Donald Trump est également le produit des évolutions du système international. Après 2003, et jusqu’au retrait américain d’Afghanistan, la « guerre contre la terreur » proclamée par George W. Bush a débouché sur les guerres sans fin. Trump veut rompre avec ces engrenages. JD Vance, vétéran de la guerre en Irak et farouche opposant à l’aide américaine à l’Ukraine, montre qu’on ne peut pas qualifier Trump de belliciste pur et simple. Mais l’accent mis sur le déficit américain vis-à-vis de la Chine, et même vis-à-vis de l’Europe, laisse augurer un monde de tensions commerciales croissantes.
Trump a annoncé qu’il mettrait fin rapidement à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. On peut penser qu’il est inspiré par le souci de limiter le rapprochement de la Russie et de la Chine. Le moment est venu d’entamer une négociation, comme le suggère Pierre Lellouche dans son excellent ouvrage Engrenages. Il montre au passage que la guerre russo-ukrainienne pouvait être évitée et qu’elle entraîne des conséquences mondiales, en rassemblant contre l’Occident ce que Lellouche appelle le « Sud global ».
Le général de Gaulle avait judicieusement expliqué que le temps n’était plus à la colonisation et qu’il fallait aller vers une formule de reconnaissance de deux États : Israël, dont la sécurité doit être garantie, et la Palestine, qui a droit à une vie indépendante, si elle ne menace pas celle de son voisin
On peut espérer que Trump cherchera à mettre fin à cette dynamique. Le retour de la paix, que devaient permettre les accords de Minsk comme les amorces de négociations qui ont suivi, correspond à notre intérêt et à celui de l’Europe. Il est évidemment celui de l’Ukraine, pays agressé et martyrisé par son voisin. Tout comme il est celui de la Russie, que l’enlisement dans une guerre au long cours priverait de ses marges de développement.
J’espère, par ailleurs, que le retour de Trump au pouvoir permettra de trouver une issue au conflit entre Israël, le Hamas, l’Iran et les peuples musulmans de la région. Le général de Gaulle avait judicieusement expliqué que le temps n’était plus à la colonisation et qu’il fallait aller vers une formule de reconnaissance de deux États : Israël, dont la sécurité doit être garantie, et la Palestine, qui a droit à une vie indépendante, si elle ne menace pas celle de son voisin.
En 2022, vous avez soutenu un européiste convaincu, Emmanuel Macron, alors que votre « logiciel » semble aux antipodes du sien. Pourquoi ? Vous est-il arrivé de regretter ce choix ?
J’ai pensé, en février 2022, que compte tenu des inflexions qu’Emmanuel Macron avait données à sa politique à partir du début de la crise du Covid, à savoir sa volonté de reconquérir l’indépendance industrielle, agricole, énergétique et technologique de la France, ce choix pouvait être pertinent. J’ai néanmoins rappelé dans mon entretien au Journal du dimanche que ce soutien n’était pas un blanc-seing, notamment en matière de construction européenne.
Il aurait difficilement pu en être autrement dans la mesure où, comme partisan d’une Europe des nations, j’avais combattu le traité constitutionnel en 2005, rejeté par 55 % des Français avant que le congrès de Versailles permette la ratification du traité de Lisbonne, instaurant sur les grands choix européens un parfum d’illégitimité.
La politique est faite de paris, et il n’y a pas de pari sans risque. La seule chose qu’on puisse me reprocher, c’est d’avoir accordé ma confiance « en dynamique », avec par exemple une conséquence heureuse : la relance du nucléaire et le rachat par EDF des turbines Arabelle. Sans naturellement remettre en cause le fait que Moscou soit l’agresseur en Ukraine, j’ai par ailleurs été surpris, depuis, d’entendre le président de la République évoquer l’envoi de troupes françaises sur le sol ukrainien. Comme ancien ministre de la Défense, je sais qu’il y a un engrenage entre les interventions de type conventionnel et les possibilités d’escalade en matière nucléaire. La position de la France ne peut pas être déterminée indépendamment de celle de nos grands alliés et de la règle constitutionnelle consistant à saisir le Parlement dès qu’il est question d’engager une guerre. ■
Je ne regrette vraiment pas mon vote au premier tour de 2002 !