Cette chronique se veut ironique – et l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, voire y sont contraires. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation avec esprit et intelligence des circonstances. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 9 décembre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique reflétant, de fait, l’actualité et chargée de sens. Discutable d’ailleurs… Bonne lecture !
CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, Samuel Fitoussi pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il imagine le discours d’explication du président de la République aux Français, au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier.
Je vous annonce que vous avez toutes et tous échoué. En provoquant la dissolution de l’Assemblée il y a quelques mois, je vous avais donné l’opportunité de voter correctement. Vous avez préféré élire des irresponsables de tous bords. Il ne faisait pourtant aucun doute que mon projet pour relever le pays était le meilleur. Certes, je ne savais pas moi-même quel était mon projet (pour Matignon, j’allais tirer au sort entre Jean-Michel Blanquer et Pap N’Diaye), mais il était le plus raisonnable, le plus à même de libérer les énergies tout en renouvelant notre ambition climatique. Malheureusement, plutôt que d’utiliser votre raison pour démêler le vrai du faux, vous avez préféré gober naïvement les fake news populistes de Cyril Hanouna.
Mon bilan à la tête du pays est excellent. J’ai organisé les JO, reconstruit Notre-Dame, parlé 8000 fois à Vladimir Poutine au téléphone en février 2022, fait rayonner la France en inventant le système d’auto-attestation, interdit les pailles en plastique, permis l’éclosion de personnalités charismatiques comme Elisabeth Borne, et réussi l’expulsion d’au moins une dizaine d’individus sous OQTF. Les mauvaises langues diront que je n’ai pas provoqué la révolution économique que je promettais en 2017, que je n’ai pas su impulser le choc libéral et simplificateur que j’annonçais. Mais les mauvaises langues sont ingrates, car elles oublient que j’ai fait beaucoup mieux que cela. J’ai par exemple créé le bonus réparation textile. Grâce à moi, vous avez désormais droit à une réduction de 7€ pour recoudre un pantalon troué, de 18€ pour une nouvelle semelle en caoutchouc, et de 8€ à 20€ pour réparer une braguette cassée (j’ai établi un barème précis en fonction de la taille de la braguette). J’ai aussi créé la prime covoiturage, qui vous autorise à recevoir 100€ (en deux versements, et sous réserve de remplir un dossier validé par les services de l’État) si vous effectuez dix trajets d’une distance inférieure à 80 km avec un passager à bord. Enfin, n’oubliez pas le chèque culture : 168 fonctionnaires s’occupent désormais de verser 300€ à chaque Français pour qu’il puisse s’acheter des mangas et des jeux vidéo à la majorité. Alors oui, le déficit et les prélèvements obligatoires ont augmenté et étouffent la croissance, mais quelle dépense voudriez-vous réduire ? Je rappelle que s’opposer au bonus réparation, à la prime covoiturage ou au chèque culture, c’est s’exclure de l’arc républicain.
Français, Françaises, comprenez que les extrêmes (qui se rejoignent) voudraient nous entraîner vers le chaos, alors que la France, si elle continue dans la direction que je lui ai impulsée, est lancée sur le chemin de la prospérité, de la laïcité heureuse, du calme dans la rue et de l’innovation. Les signaux sont là. Par exemple, si on lit le classement TIMMS de bas en haut, comme j’ai choisi de le faire, les écoliers français sont parmi les meilleurs au monde en Maths. De même, les atteintes à la laïcité progressent à l’école, mais l’État mène une action courageuse pour interdire les calendriers de l’Avent, ce qui devrait bientôt donner des résultats. Et certes, le taux d’intérêt sur la dette française est désormais supérieur à celui de la dette grecque, mais j’ai créé un impôt sur les livres d’occasion qui devrait renflouer les caisses de l’État. Quant à la violence, elle semble augmenter rapidement, mais c’est une construction de l’esprit : si l’on arrête d’écouter CNews et que l’on reste chez soi, la violence n’est plus un problème. Enfin, je dis à ceux qui critiquent ma politique migratoire de se souvenir d’une chose : Charles Aznavour était un immigré. Parce que nous accueillons entre 300 000 et 500 000 nouveaux arrivants par an, la production musicale française devrait rapidement s’améliorer. De toutes façons, Laurent Fabius ne veut pas d’une autre politique migratoire, et ceux qui souhaitent gouverner contre l’avis de Laurent Fabius sont des ennemis de l’État de Droit qui sapent les fondements de notre civilisation et pavent le chemin vers l’anarchie, vers la guerre de tous contre tous.
Françaises, français, faites très attention : de même que les supporters du PSG regrettent d’avoir poussé Neymar, Messi et Mbappé vers la sortie (ils se retrouvent avec Kolo Muani), vous vous languirez de moi lorsque je ne serai plus Président. La plupart d’entre vous ne me méritent pas. Beaucoup parmi vous sont même des ennemis de la République. Vous avez plongé le pays dans une situation politique compliquée. Heureusement pour vous, je ne suis pas rancunier, et continuerai à vous protéger : je ne démissionnerai pas. ■ SAMUEL FITOUSSI